Aujourd’hui sort en salles Free Love de Peter Sollett. Un film inspiré d’une histoire vraie, celle de deux femmes qui demandent l’égalité pour leur couple. Les amours lesbiennes deviendraient-elles un sujet à ne plus cacher sur grand écran? Retour sur la longue et discrète histoire de leur représentation au cinéma.
Un scénario signé Ron Nyswaner, à qui l’on doit le célèbre Philadelphia, deux actrices en vue -Julianne Moore et Ellen Page, dont le coming out a fait grand bruit-, Free Love est un film quatre étoiles, qui sort quelques semaines après le Carol de Todd Haynes au casting tout aussi brillant (Cate Blanchett et Rooney Mara). Deux mélodrames classiques et lissés, qui font bosser vos glandes lacrymales et mettent en avant une minorité sexuelle qui vient tout juste d’obtenir le droit au mariage aux États-Unis, après l’avoir obtenu dans l’Hexagone -où l’on a pu voir ces derniers temps, au registre des histoires entre femmes, La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche et La Belle saison de Catherine Corsini. Les héroïnes lesbiennes seraient-elles devenues les nouvelles stars d’Hollywood?
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“Il y a toujours eu des lesbiennes sur grand écran. Cela dit, elles n’étaient pas nommées ou identifiées comme telles.”
Si le cinéma grand public semble aujourd’hui investir plus qu’avant l’amour lesbien, le septième art a toujours mis en scène des couples saphiques. “Il y a toujours eu des lesbiennes sur grand écran, raconte Brigitte Rollet, spécialiste du genre au cinéma. Cela dit, elles n’étaient pas nommées ou identifiées comme telles, mais repérables pour un public averti.” Comme le souligne cette dernière, les femmes entre elles ont toujours joui d’une certaine aura auprès des hommes hétérosexuels, et les représentations sont anciennes et multiples. “Ce qui change aujourd’hui, c’est que certains films s’adressent avant tout à des lesbiennes”, note-t-elle.
© Bac Films
Sexualité absente et vampirette lubrique
Retour au début du siècle dernier aux États-Unis, avant le Code Hays (un code de censure mis en place de 1934 à 1968 dans le cinéma américain). On trouve alors des rôles, ou des stars bisexuelles comme l’actrice suédoise Greta Garbo ou l’Allemande Marlene Dietrich, qui peuvent interpeller un public lesbien.
Outre-Atlantique, lors de la mise en application du code Hays, les scènes évoquant l’homosexualité sont coupées au montage, ou les films interdits de diffusion.
À l’époque, la réception de certains films semble d’ailleurs, de prime abord, plus tolérante qu’aujourd’hui. Quand sort dans la France des années 30 Jeunes filles en uniforme de Léontine Sagan, qui raconte les élans amoureux entre une adolescente et son enseignante, l’accueil est plutôt positif. Une réaction qui peut étonner en 2016, alors que La Vie d’Adèle vient de voir son visa d’exploitation interdit, à la demande de l’association catholique Promouvoir. “La réception favorable du film de Sagan dans les années 30 en France s’inscrit dans un contexte différent certes, mais c’est aussi l’absence de sexualité explicite qui permet une certaine tolérance”, précise Brigitte Rollet.
Outre-Atlantique, lors de la mise en application du code Hays, les scènes évoquant l’homosexualité sont coupées au montage, ou les films interdits de diffusion. Un exemple de cette censure se retrouve dans le traitement subi par la pièce de théâtre de Lillian Hellman The Children’s Hour. Celle-ci voit son intrigue modifiée pour sa première adaptation sur grand écran au début des années 30. Racontant initialement la rumeur portant sur une relation entre deux directrices d’internat pour filles, la pièce devient Ils étaient trois, où est évoquée une rumeur d’adultère entre l’une des femmes et le compagnon de l’autre.
Mais le code Hays fut aussi plusieurs fois détourné. Dans un article issu de la revue Circe, Emilie Marolleau, doctorante à l’université de Tours sur la représentation de l’homosexualité féminine à l’écran, explique que si manifestation dite et claire de l’homosexualité il n’y a pas, elle peut être sous-entendue. Ainsi, une femme pouvait se voir prêter des attitudes dites “masculines”. C’est le cas dans Sylvia Scarlett de George Cukor (1935), où Katharine Hepburn campe le rôle d’une jeune femme, Sylvia, grimée en homme. Une femme qui la croit homme flirte avec elle et l’embrasse. Une scène approuvée car Sylvia repousse sa prétendante.
Le genre horrifique met aussi en scène nombre de lesbiennes, notamment dans les films de vampire, avec par exemple La fille de Dracula de Lambert Hillyer. En effet, ce genre autorise cette représentation car il présente un monde dénué de morale, en dehors de la réalité, où le désir monstrueux des vampirettes lubriques est exigé par la soif de sang.
Les “à-côtés” et le renouvellement narratif
Quant aux années 60 et 70, période de libéralisation des mœurs, elles ne favorisent pas pour autant l’arrivée des lesbiennes sur grand écran. “Néa de Nelly Kaplan (1976), Féminin féminin d’Henri Calef (1973), Les Biches de Claude Chabrol (1968) montrent plutôt des femmes hétérosexuelles ayant des ‘à-côtés’ avec d’autres femmes et pour un public hétérosexuel. Dit autrement, le saphisme n’est pas vraiment une option ou alternative et les histoires finissent souvent mal pour elles”, souligne Brigitte Rollet.
La chercheuse ajoute que la vague de films indépendants des années 80, comme Personal Best en 1982, Lianna en 1983 ou Desert Hearts en 1985, va faire le lit des productions des années 2000, offrant davantage de personnages lesbiens. Une tendance initiée par des “auteurs ou identifiés comme tels”, à l’image de David Lynch, qui met en scène un couple glamour de femmes dans son mémorable Mulholland Drive.
Dans le glissement de la culture d’élite à celle de masse, les grands festivals ont un rôle déterminant, comme le montre The Kids Are Alright de Lisa Cholodenko (dans lequel jouait déjà Julianne Moore), passé par la Berlinale en 2010 et évidemment la palme d’or à Cannes remise à Kechiche pour La Vie d’Adèle.
Mais pourquoi s’emparer d’un tel sujet? Les scénaristes se contenteraient-ils de saisir l’air du temps? Les personnages gays et lesbiens serviraient en fait un renouvellement. “À défaut d’avoir de nouvelles histoires à raconter, on adapte les mêmes avec des personnages différents”, avance Brigitte Rollet. L’exemple le plus frappant est l’arrivée de la série The L Word, sur la vie d’une bande d’amies lesbiennes à Los Angeles, sur Showtime en 2004, alors que la série culte de HBO Sex and The City, qui narrait les frasques amoureuses et sexuelles de quatre New-yorkaises, tirait sa révérence.
“Attaquer l’homophobe de service est un moyen de se donner bonne conscience sans nécessairement démonter les mécanismes de l’homophobie.”
Et que dire de Free Love, basée sur l’histoire vraie de Laurel et Stacie? La première est officier de police et va découvrir qu’elle est atteinte d’un cancer qui lui sera fatal. Elle demande alors à ce que sa compagne, Stacie, puisse bénéficier après sa mort d’une pension, comme tous les autres compagnons et compagnes de membres de la police. Un droit qui lui sera refusé en raison de leur homosexualité. “Nous sommes ici dans la tendance ‘compassionnelle’ et ‘basée sur une histoire vraie’ typique de Philadelphia (Ndlr: dont le scénariste est, on le rappelle, le même que Free love) où la mort à venir des protagonistes permet au public une empathie, non pour ce que les personnages sont, mais pour l’humanité souffrante qu’ils incarnent. Attaquer l’homophobe de service est un moyen de se donner bonne conscience sans nécessairement démonter les mécanismes de l’homophobie et ce sur quoi elle repose”, conclut Brigitte Rollet. Bref, il y a encore du boulot.
Lisa Agostini
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