Lors de chaque concours de Miss, les candidates et gagnantes noires sont systématiquement harcelées par des trolls les jugeant “indignes” de représenter le pays.
“On dirait Booba avec une perruque”, “qu’est-ce qu’elle fout là la pakpak”, “elle vend des marrons chauds à la Gare du Nord”. Voici quelques-uns des milliers de tweets racistes qu’avait reçus, en 2017, Meggy Pyaneeandee, d’origine mauricienne, quand elle remportait le titre de Miss Ile-de-France. Ce harcèlement, elle n’est malheureusement pas la seule à l’avoir subi: les candidates noires sont systématiquement attaquées lors des concours nationaux, par une partie de la population qui ne supporte pas l’idée d’un visage non-blanc désigné comme un symbole de beauté nationale.
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Insultes et menaces de mort
“Je suis pas raciste mais ça devrait pas juste être ouvert aux blanches?”, interroge un internaute en 2013, lorsque Flora Coquerel, Miss Orléans d’origine béninoise, remporte la couronne cette année-là. Elle suscite une animosité similaire (“Putain une négresse”), et reçoit des centaines de tweets et lettres d’injures, fureurs qui amènent son père à signer une tribune dans Le Monde, pour dénoncer le racisme ambiant.
Et ce n’est rien comparé à Sonia Rolland, Miss France 2000. Cette dernière reçoit près de 3 000 lettres d’insultes, des menaces de mort, sa voiture est rayée du mot “négresse”, et elle reçoit des enveloppes d’excréments avec le mot “Voilà ce que tu m’évoques quand je te vois à la télé”.
On parle d’une usurpation, d’un vol d’identité. “Humiliation nationale”, “imposture”, “C’est n’importe quoi”, “La prochaine aura le voile intégral”, hurle Internet. À l’époque, elle préfère ne pas porter plainte pour éviter un scandale médiatique. Optimiste, elle dit vouloir se concentrer sur le positivisme que lui évoque sa victoire, dans une France qui lui semble alors bouger: “C’était la France black blanc beur… celle de Jamel Debbouze, Zinedine Zidane, la Coupe du Monde.”
Une longue histoire coloniale
Traits réguliers, visage mutin, ces jeunes gagnantes correspondent pourtant en tout point à l’esthétique des Miss France. À un détail près. La couleur de leur peau. Dans un pays où l’on ne nomme pas la race, le racisme, lui, est bien présent, trop peu reconnu, et ces réactions soulèvent une longue histoire de colonisation niée.
“C’est moins le problème d’admettre la beauté de ces femmes que de hisser au rang de Miss une femme issue d’anciennes colonies, estime Wissale Achargui du collectif VSCyber, contre le cyber-harcelèment des femmes racisées. En France, les femmes blanches ont participé à l’entreprise coloniale en s’imposant comme la seule féminité respectable: pas la seule baisable ni même la seule tout court, c’est juste que la blancheur est synonyme de pureté et de beauté. Toutes les autres, on les baise sans soucis, mais il faudrait pas qu’elles prennent trop de place quoi.”
“Nous ne sommes pas dans une société multiculturelle mais universaliste qui fait mine de ne pas voir la différence, ajoute la sociologue Carol Mann. Sauf qu’on se rend bien compte par la haine face à la mixité qu’on a un lourd héritage néo-colonial, hyper-centralisé et qui ne supporte aucun métissage.” En somme, la blancheur devient un idéal nationaliste, une norme autant qu’un idéal, une filiation franco-française. Bien loin, donc, de la réalité de la France actuelle, mais qui en dit tristement long sur les mentalités ancrées du pays.
Alice Pfeiffer
Cet article a été initialement publié sur le site des Inrocks.
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