Sa pizzeria de 25 places est devenue un incontournable de la scène culinaire parisienne. Des recettes qui changent, des produits de saison et Graziella Buontempo a transformé la pizza, ce plat rapide réservé aux soirs de matchs, en un hommage gastronomique à sa ville natale, Naples. Elle répond à notre interview “Top Cheffe”.
D’abord l’odeur, un mélange d’origan, de basilic et de tomates. Un supplice à l’heure à laquelle nous nous rencontrons pour l’interview, une heure avant le dîner. Ensuite le pizzaïolo, Francesco Manfredonia, en train de travailler sa pâte avant l’ouverture du restaurant. Enfin, le monde qui se presse dans cette minuscule adresse du 10ème arrondissement de la capitale. 25 places, tous les soirs prises d’assaut par des foodistas à la recherche de la fameuse “meilleure pizza de Paris”. Beaucoup s’accordent pour dire que Da Graziella mérite la place de numéro 1. Pizzas napolitaines faites dans les règles de l’art -donc au feu de bois-, pizzas frites et carte des vins illustrant une nouvelle génération de vignobles italiens portés sur le naturel: tout est le fruit du travail de Graziella Buontempo.
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“J’ai un amour instinctif et viscéral pour la pizza napolitaine.”
À 18 ans, la jeune Italienne débarque à Paris pour ses études sans parler un seul mot de français. L’essai est peu concluant et elle part quatre ans et demi aux États-Unis faire des études de communication et de relations internationales à Boston. Si la cuisine la suit, c’est surtout parce qu’elle concocte assidûment les plats de sa mère et de sa grand-mère partout où elle passe. Master à Londres puis retour à Paris, où elle rencontre Arnaud Lacombe (son mari depuis quelques mois), restaurateur aux manettes du regretté Bronco, puis des actuels Vivant et Déviant. Passionnés par sa région natale, la Campanie, ils passent leur premier week-end ensemble, à Rome, à parler exclusivement bouffe. “On a très vite eu envie de créer un lieu ensemble”, raconte celle qui est en charge des recettes. Après réflexion, ce sera la pizza, qu’en tant que napolitaine, Graziella connaît bien. Avec une idée précise de ce qu’elle veut en tête, elle quitte son job pour partir sourcer les produits de son enfance et recruter un pizzaïolo. Da Graziella ouvre en 2016 et rencontre un succès instantané. La pizza comme plat élaboré à partir de recettes travaillées est née. Aujourd’hui, celle qui a su prendre confiance avec le succès rêve d’une formule où elle pourrait passer derrière les fourneaux, cuisiner “la pasta comme à la maison” et prendre du bon temps. On ne s’appelle pas Buontempo pour rien. Interview.
Comment est né ton restaurant Da Graziella en novembre 2016?
Avec mon mari, Arnaud Lacombe, on s’est posé la question “Qu’est ce qui nous manque le plus à Paris et qu’on a envie de manger?” Evidemment, c’était de la pizza. À l’époque, en 2015, on ne trouvait pas la pizza de nos rêves, alors on a choisi de monter une pizzeria.
Ce qui tombe bien puisque tu es napolitaine…
Je suis née à Naples et j’y ai grandi jusqu’à mes 18 ans. J’ai un amour instinctif et viscéral pour la pizza napolitaine. Mais j’ai également fait des études aux États-Unis, à Boston, où l’un de mes meilleurs souvenirs était d’aller dans des rades douteux déguster des pizzas gigantesques qu’on saupoudrait de mauvais parmesan pré-rappé. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise pizza, il y en a des dizaines. C’est important pour moi de le rappeler, car je n’ai pas ouvert ce restaurant pour faire la morale à qui que ce soit ou montrer aux Parisiens comment on fait la pizza, je fais juste la pizza que j’aime, moi.
“Je cherche la combinaison qui sortira de l’ordinaire.”
Que mange-t-on chez Da Graziella?
Des pizzas napolitaines cuites au feu de bois selon la tradition. On en a toujours 12 à la carte dont les trois traditionnelles, margherita, marinara et calzone. Mais on a surtout une spécialité napolitaine: la pizza frite. À Naples, on est fous de fritures. Tout ce qui peut être plongé dans l’huile bouillante est mis sans réflexion dans la marmite. Donc on y plonge également la pâte à pizza! La nôtre est très croustillante et moelleuse à l’intérieur. À l’intérieur ou dessus, on ajoute des produits qui changent avec les saisons et mes envies, tous issus d’un sourcing patient que j’ai réalisé dans la région de Naples durant un an. Je ne suis pas pizzaïolo mais j’élabore moi-même les recettes. C’est ma façon de mettre la main à la pâte. Je puise beaucoup dans les recettes de ma mère, ma tante et ma grand-mère qui sont les trois femmes que j’ai toujours vues en cuisine, et je les twiste en changeant un ingrédient ou en rajoutant une acidité. Je cherche la combinaison qui sortira de l’ordinaire.
Quels produits aimes-tu travailler?
La tomate. Nous en avons plusieurs sortes, la San Marzano, classique, la Corbarino, très iodée, qui pousse sur les hauteurs des côtes amalfitaine et de Sorrento et la Piennolo, “le prince de Naples” avec une peau très épaisse qu’on voit accroché dans toutes les vitrines d’épiceries et qui pousse exclusivement sur le Vésuve.
Quelle est la différence entre la culture de la pizza en France et celle d’Italie?
Je ne connais pas Nice ni les abords méditerranéens, où la culture de la pizza est importante. À Paris, la différence majeure est qu’il existe une multitude de pizzas différentes qui ne convergent pas du tout dans le même sens. Depuis deux ans, on sent que ça change et que les gens ont envie de pizzas napolitaines élaborées. Tant mieux! Ils commencent à se dire qu’une pizza n’est pas forcément de la junk food à 5 euros, que ça peut être un plat de qualité avec lequel on s’amuse!
Tu as obtenu le prix Fooding 2018 de la Meilleure Pizza. Qu’est-ce que cela t’a apporté?
Ça m’a d’abord bouleversée! Moi, qui n’avais jamais fait aucune formation, qui avais lancé mon restaurant onze mois avant, je recevais un prix convoité. Il faut savoir qu’avant d’ouvrir, j’étais anxieuse. Je passais mon temps à m’imaginer que ça ne marcherait jamais et que le restaurant serait vide. Et au début, pour se roder, on n’a pas du tout communiqué, ça a marché au bouche-à-oreille. Après le prix, ça a été la folie et nous nous sommes mieux organisés. Pour faire plaisir aux habitués comme aux nouveaux venus, on fonctionne sur un système de réservation. Dans un restaurant de 25 places, je ne peux pas demander aux gens de faire la queue…
Quels sont tes restaurants préférés à Paris et à Naples?
A Paris, hors Vivant et Déviant que j’adore (Ndlr: les restaurants de son conjoint dont le chef est Pierre Touitou), je suis une inconditionnelle de Passerini du chef Giovanni Passerini dans le 12ème arrondissement. Il fait la cuisine italienne que j’aime: celle de nos grand-mères avec une pointe de modernité. Sans chichi, généreuse et parfumée. Il faut goûter sa version de la genovese, un plat de pâtes aux oignons si fondus qu’ils deviennent de la crème.
À Naples, l’institution Rosiello est un must! Situé dans l’ancien quartier des maisons de campagne des napolitains il y a un siècle, le restaurant dispose d’un immense potager d’où 90% des ingrédients proviennent. La vue donne sur Capri, c’est un endroit magique. Dans un style plus traditionnel, je vais souvent chez Cap’Alice dans la rue des antiquaires. Et si j’adore sa nourriture, j’y vais aussi pour sa carte des vins étonnante et riche, tournée vers des vignerons qui aiment la nature. À Naples, les cartes des vins n’ont pas changé depuis que je suis née!
Que cuisines-tu chez toi?
Presque exclusivement italien! On essaie de cuisiner autre chose, j’ai même eu une grande période cuisine japonaise, mais on revient toujours aux fondamentaux. Ce qu’on préfère: les pâtes et les légumes.
Quelle est ta junk food préférée?
Le Beef jerky! J’ai été contaminée aux États-Unis où ces sachets de viande séchée s’achètent un dollar au supermarché. Je sais, ce n’est même pas de la vraie viande mais j’adore… Encore mieux s’il y a un goût barbecue ou teppanyaki (Ndlr: barbecue japonais).
“En tant que restaurateurs, il faut parler aux enfants et enseigner aux filles comme aux garçons que c’est un métier ouvert à tous.”
Comment faire progresser le nombre de femmes cheffes?
Je conseillerais de foncer et de ne pas avoir peur de se lancer. Je me suis souvent demandé “Où sont les femmes?” Même si l’Italie ne comprend pas plus de femmes étoilées, elles sont présentes dans les restaurants familiaux, plus nombreux qu’en France. Beaucoup de femmes ont tendance à se faire toutes petites alors qu’elles ont les mêmes capacités que les hommes… Mais je suis intimement persuadée qu’on est sur une vague de changement. En tant que restaurateurs, il faut parler aux enfants et enseigner aux filles comme aux garçons que c’est un métier ouvert à tous.
Si tu étais jurée Top Chef, qui choisirais-tu dans ton jury?
D’abord, une personnalité détendue qui ne se prend pas au sérieux: David Chang, propriétaire du groupe Momofuku. Ensuite, Massimo Bottura, le chef trois étoiles de l’Osteria Francescana à Modène. En plus d’être un excellent chef, il est drôle. Forcément, j’ajouterais Pierre Touitou, le chef de Vivant qui aime bien donner des conseils et être vigilant pour que tout se passe bien. Enfin, une personnalité hors du monde de la cuisine: ma maman! Parce qu’elle est très italienne mais, avant tout, ouverte d’esprit. Je suis certaine que le courant passerait super bien entre eux quatre.
Propos recueillis par Bérengère Perrocheau
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