Après plusieurs expériences dans la crème des restaurants parisiens, Céline Pham, 27 ans, est désormais chef indépendante. Que ce soit pour des comités intimes ou de grosses assemblées d’affamés, elle concocte une cuisine franco-vietnamienne fine, précise, inspirée de ses souvenirs d’enfance. Elle répond à notre interview “Top Chef”.
Ils sont quelques centaines de veinards à avoir pu, ces derniers mois, participer à ses deux sessions de la Table Ronde, ce restau-salle de spectacle qui invite des chefs à cuisiner en direct, et avoir été ébahis par la prestation de Céline Pham. Née dans le Val-d’Oise de parents vietnamiens, la jeune femme a passé, petite, beaucoup de temps à observer sa mère et sa grand-mère préparer des plats traditionnels. Mais aussi à jouer le rôle du petit commis efficace: faire les courses, éplucher des kilos d’ail ou découenner le porc… Après une licence en info-com et un début de vie professionnelle au sein du label Pias, voilà que Céline Pham, tout juste 21 ans, réalise qu’elle voit son avenir ailleurs, très précisément en cuisine. Avec une forte envie de travailler manuellement, de rendre hommage à sa grand-mère, de créer et recréer des choses.
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Elle commence par faire la plonge et le commis, le week-end, dans le restaurant d’un ancien de l’Arpège, et obtient la confirmation qu’elle s’est trompée de voie. Céline Pham démissionne de chez Pias et entame une formation à l’école Ferrandi, en alternance dans un bistrot, suivie d’un premier travail en tant que demi-chef de partie dans un étoilé, avec organisation carrée et grande brigade.
Elle décide de plonger dans le grand bain de l’auto-entreprenariat, avec une envie de laisser s’exprimer la cuisine vietnamienne et de défendre son propre boulot.
Lorsque son frère, Julien Pham, lance le magazine food Fricote, la jeune femme démarre les soirées Radish to crumble (en écho à Ready to rumble, la formule qui ouvre les matchs de boxe), publie des recettes dans le mag, multiplie les évènements street food et cuisine traditionnelle. Elle continue de se former à des tables parisiennes prestigieuses comme Saturne ou Septime jusqu’au jour où, il y a quelques mois, elle décide de plonger dans le grand bain de l’auto-entreprenariat, avec une envie de laisser s’exprimer la cuisine vietnamienne et de défendre son propre boulot.
Au printemps dernier, elle conçoit ainsi une série de brunchs à l’Archipel, sous forme de cantoche fine pour plus de 100 couverts, concoctée par la très gastronome “Phamily”, et publie un livre de recettes coécrit avec Anne-Laure Pham, journaliste homonyme mais sans aucun lien de parenté. Cet été, après avoir cuisiné pour la Big Cantine du Big Festival à Biarritz, Céline Pham a pris l’Eurostar avec son matos, pour un tour au Carousel, à Londres, où elle était guest en cuisine pendant quelques jours. En bref, la jeune chef n’en finit pas d’expérimenter et d’inventer, en mélangeant techniques maîtrisées et improvisations plus instinctives, avec des recettes inspirées, bien souvent, de beaux souvenirs. Nous l’avons soumise à notre interview “Top Chef”.
Peut-on dire que tu es une chef free-lance?
Je dirais auto-entrepreneuse et chef sur-mesure; je m’adapte, je demande aux gens de me raconter une histoire, pour que l’on fasse le menu ensemble. Aussi bien pour une marque que pour un mariage. J’ai eu ce déclic l’année dernière, en faisant des écrevisses à l’armoricaine, un plat que la grand-mère de ma copine faisait. À table avec sa famille, le silence s’est fait et les souvenirs sont remontés: c’était le goût de sa grand-mère qui revenait.
“Je veux créer le “hé mamie”, le goût qui te prend aux tripes et te rappelle quelque chose!”
C’est cette émotion qui définit ta cuisine?
Je dis souvent qu’après le salé, le sucré, l’umami, je veux créer le “hé mamie”, le goût qui te prend aux tripes et te rappelle quelque chose! C’était ma ligne directrice à la Table Ronde, de privilégier ce qui me rappelait ma mère et ma grand-mère: des bouillons au tamarin, des réductions, de la saumure de poisson, des goûts forts et marqués. Et puis bien sûr, l’amour des bons produits. Chaque produit compte.
Est-ce qu’il y a un plat que tu as mis longtemps à réussir?
Un gâteau de ma grand-mère que je n’ai toujours pas réussi à refaire, car il n’y a pas de recette: le Banh Da Lon, ou gâteau vert au Pandan, à base de tapioca et de graines de soja. Ma mère essaye de le faire, mon oncle, tout le monde… Sans succès. Un jour, j’en ai goûté un parfait au Vietnam, mais la dame n’a pas voulu me donner la recette. Je ne suis pas très dessert, mais à chaque fois que ma grand-mère le faisait, ça me mettait une claque.
“Je rêve d’ouvrir une rôtisserie végétarienne, où les gens viendraient chercher leurs légumes fondants, arrosés pendant des heures d’aromates et d’amour.”
Quel(s) produit(s) aimes-tu le plus travailler?
Les herbes, définitivement! Pour moi, c’est la clé d’un plat. Dans un second temps, le légume ou le fruit longuement rôti. J’ai plein de rêves, mais celui qui fait du chemin dans ma tête en ce moment serait d’ouvrir une rôtisserie végétarienne, où les gens viendraient chercher leurs légumes fondants, arrosés pendant des heures d’aromates et d’amour. Cela pourrait remplacer ou accompagner le traditionnel poulet rôti par exemple.
© Anthony Mathevon
Que cuisines-tu chez toi?
J’adore les grandes tablées à la maison, je me lance des défis Thanksgiving (12 kilos de dinde!), des thématiques sur les souvenirs d’enfance de mes amis, des thématiques par pays. Je cuisine tout, tout, tout: selon l’humeur et l’envie, il n’y a pas de limites.
“Ma junk food préférée? La friture sur les marchés en Asie.”
Est-ce que tu as un plat du dimanche soir?
Le dimanche soir, c’est relâche, j’ai la tradition du super léger non cuisiné: salades, plateau de fromages, ou bien une récente passion ramenée d’Australie, l’avocado toast. Tous les dimanches midi, c’est festin pantagruélique chez mes parents et je n’ai plus la force de bouger après, même pas le petit doigt!
Quelle est ta junk food préférée?
Comme dirait Valérie Lemercier dans L’École du fan: de l’huile! La friture sur les marchés en Asie, le banh khot, le banh xeo, le cha gio… Toujours enroulés de feuilles de salades et d’une tonne d’herbes pour se donner bonne conscience, bien sûr. Sinon le banh mi décadent made in Vietnam, je ne sais pas comment ils font pour mettre autant d’éléments dans un morceau de pain! Sans blague, au moins sept déclinaisons de viande (pâté, mortadelle, jambon, etc.), des pickles en folie, moult coriandre, de la mayonnaise à l’ail et du piment!
“Il y a plein de femmes chefs! Elles sont juste un peu moins visibles pour le moment.”
Quelles sont tes adresses fétiches à Paris ou ailleurs?
À Paris, pas une semaine ne passe sans que je n’aille Chez Aline ou chez Clamato. Sinon, top 3 sans ordre: Saturne, Garance et Yam’tcha. Et ma petite perle discrète mais tellement juste et parfaite: Au bon accueil, dans le 7ème. À l’étranger, sans appel: State Bird Provisions à San Francisco et Cuc Gach Quan à Hô-Chi-Minh.
À ton avis, comment faire progresser le nombre de femmes chefs?
Il y a plein de femmes chefs! Elles sont juste un peu moins visibles pour le moment, mais ça arrive, je le vois, je peux t’en présenter mille! À l’école de cuisine, il y avait autant, voire plus de filles que de garçons.
Si tu étais jurée de Top Chef, qui choisirais-tu dans ton jury?
Je prendrais ma mère car elle est sans filtre, très spontanée et directe, elle critique énormément mais ça vient toujours du fond du cœur, donc ce n’est jamais vexant. Je prendrais aussi ma copine car elle n’est pas du milieu, elle a donc une autre sensibilité et surtout un palais incroyable. Et enfin mon amie Léo parce qu’elle imite à la perfection l’accent chantant de Christian Constant et qu’elle a d’excellentes punchlines à l’instar du jury actuel (“C’est beau mais est-ce que c’est bon?”) Ah j’oubliais: Diego, le fils de 8 ans d’une amie, également un chouette point de vue, très spontané.
Propos recueillis par Lucie de la Héronnière
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