Oui, Noël est la fête la plus sexiste qui soit. Oui, renforcer les stéréotypes en faisant croire aux enfants que les poupées c’est pour les filles, et les fusils en plastique pour les garçons, c’est mal. Mais faut-il pour autant empêcher les filles de vouloir un costume de fée?
C’est facile pour moi de polémiquer, j’en conviens. Mon ventre n’a jamais servi de studio tout équipé pendant neuf mois à quiconque, et personne ne m’a donc jamais envoyé de wish liste embarrassante pour Noël -personne de moins d’un mètre trente, en tout cas. J’ai toutefois deux filleuls, un garçon et une fille, que tous les ans, je couvre docilement des jouets sexistes que leurs parents éreintés me réclament:
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Copine n°1: “Non, pas un bloc de dessin, elle sait pas faire marcher un Bic, achète-lui une poupée Shopkins, plutôt: prends la plus pute, elle l’a pas encore.”
Copain n°2: “Un livre, mais pour quoi faire, il a trois iPads! Achète-lui le jeu ‘Kill them all’, plutôt. Le 7, les autres, il les a déjà.”
Bien sûr, ça me navre. Et je n’ai pas besoin de lire les nouveaux articles consacrées tous les ans au même sujet, ni d’avoir fabriqué mon propre mini-suppôt du capitalisme réac’ pour constater que les jouets sont plus sexistes aujourd’hui qu’ils ne l’étaient avant, à l’époque où tout était mieux (la télé, le Parti Socialiste, la météo, Tom Cruise, ma gueule au réveil…), et où je jouais aux Lego et aux Playmobil avec mes copains, filles et garçons. Car à la fin des années 80, les filles et les garçons jouaient ensemble aux mêmes jeux. C’était jadis, il y a très longtemps, quand les Lego et les Playmobil n’avaient pas de sexe ni de couleur: ils étaient tou(te)s jaunes avec une bosse carrée sur la tête ou beiges avec des coupes de cheveux soviétiques et une boîte bleue, et personne n’y trouvait rien à redire.
Aujourd’hui, il existe des Legotes et des Playmobiles “Top modèle et tenue de mariée” (Christine Boutin compte double), “Princesse et son bateau cygne” (WTF?!?), “Maman avec son bébé à langer”, et “Femme de service”, mais j’ai eu beau chercher des Playmobiles “Ingénieure aéronautique” ou “Footballeuse”, je n’en ai trouvé aucune: sold out, sans doute.
Alors chaque année depuis une dizaine d’années, ça recommence: les scientifiques, les féministes et la plupart des parents hurlent, mais la caravane rose et son poney pailleté passent. En dépit des études récentes démontrant que les jouets “neutres” développent l’imagination et la confiance en soi des enfants, et malgré quelques initiatives isolées de marchands de jouets qui proposent des jouets moins sexués, 89% des jouets destinés aux filles sont roses, et seuls 11% ont un rapport avec la science, la technologie ou la construction (contre 31% des jouets destinés aux garçons).
C’est honteux.
C’est abject.
C’est scandaleux.
Maintenant qu’on s’est bien indigné(e)s, que faire?
Acheter des jouets dans des enseignes plus progressistes que d’autres, comme Système U, dont les catalogues de jouets mettent en scène des petites filles et des perceuses et des petits garçons qui pouponnent?
Remplacer les Bratz et autres Barbie puputes par des livres féministes, et rétorquer: “Tu me remercieras quand tu seras ingénieure” à la descendance qui braille “c’est quoi cette merde, tu veux que je me fasse bizuter ou quoi?!” sous le sapin?
Offrir un pistolet en plastique avec chaque My Little Pony, pour compenser?
Convaincre ses héritières que l’on s’amuse bien plus avec des quilles en bois qu’avec un coffret de maquillage Claire’s édité en collaboration avec une YouTubeuse de douze ans titulaire d’un doctorat en Contouring?
Jouer exclusivement au Scrabble et au Trivial Pursuit, des jeux de droite, certes, mais non connotés sexuellement (on ne peut plus tout avoir, surtout en 2017)?
Arrêter de stigmatiser le rose, et cesser de propager l’idée selon laquelle le fait de se maquiller, de prendre soin de soi et de s’intéresser à la mode aliène les femmes, et contribue à les MelaniaTrumpiser*?
Hey, pas con!
Permettez que je glisse ici une anecdote personnelle? Quand j’étais petite, je n’avais pas de jouets roses, parce que mes parents me jugeaient, je cite, “trop intelligente pour ça”. Résultat, j’ai lu la Comtesse de Ségur à six ans et Jules Verne à huit, sans arrêter une seconde de fantasmer sur cette poupée blonde dont les cheveux poussaient quand on lui levait le bras droit. Résultat aussi, un jour, j’ai échangé la montre Swatch que j’avais reçue pour ma communion** contre le jeu “Dessinons la mode”, auquel je m’adonnais tous les soirs sous mon lit, avec le sentiment de commettre le 8ème péché capital. Résultat enfin, la première fois qu’un garçon m’a dit que j’étais jolie, je lui ai mis une claque, persuadée qu’il m’insultait.
En vérité je vous le dis, ce n’est pas le rose, le carrosse ou la licorne pailletée qui fait la couillonne décérébrée, mais les a priori, et l’absence d’alternatives. Angela Merkel et Hillary Clinton sont les preuves que l’on peut aimer le rose et réussir pas trop mal sa carrière. Chimamanda Ngozi Adichie démontre que l’on peut être écrivaine à succès, féministe, bête de mode, et égérie d’une crème anti-âge. Grâce à Amy Schumer, on sait désormais que l’on peut avoir de l’humour, des formes, 35 ans, et le rôle de Barbie au cinéma.
Pour 2017, je souhaite que ces exemples se multiplient, et que “glamour” rime avec “bravoure” plutôt qu’avec “basse-cour”. Rien n’empêche les filles de sauver le monde en tutus à paillettes. Suffit de le leur rappeler.
Et maintenant, vous m’excuserez, mais je dois passer la deuxième couche.
Mille baisers,
Fiona
*Si tu me lis, Melania, pardonne ce honteux bitch shaming: nous savons toutes les deux que ce n’est pas parce que tu ne peux plus cligner des yeux depuis 1993 que tu es forcément idiote. Le Botox ne paralyse que les traits du visage, pas le cerveau qu’il y a derrière.
** Un jour, si vous êtes sages, je vous raconterai comment mon père, qui a toujours kiffé le petit Jésus, m’a persuadée de faire ma communion grâce à la “belle robe qui tourne” que j’allais avoir pour l’occasion. Ma mère, que la religion a toujours moyennement ambiancée, m’a alors fait remarquer: “T’es toujours en pantalon, t’auras l’air con en robe!” J’ai quand même fait ma première communion, dans une robe qui ne tournait pas tant que ça. Du coup, je n’ai pas fait ma confirmation. Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des connards, sauvages ou pas.
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