Mode “testostéronée” du survivalisme, séries comme The Walking Dead ou The Handmaid’s Tale… Nous sommes hanté·e·s par l’idée de la fin du monde et fasciné·e·s par ce qu’elle révèle de la nature humaine. Mais le folklore post-apocalyptique prévoit bien souvent un grand recul des droits des femmes et de leur position sociale. En serait-il vraiment ainsi si le monde venait à s’effondrer demain?
L’éventuel sort des femmes en cas d’apocalypse fait froid dans le dos: au mieux remisées à la popote et au rang de fragiles créatures sous protection masculine, au pire considérées comme des esclaves sexuelles. Retour à un patriarcat musclé, absence de contraception ou d’aide médicale, viols en toute impunité… Dans le match fin du monde vs féminisme, la plupart des scénaristes, auteur·rice·s et survivalistes annoncent une défaite par KO du féminisme, remisé au rang de lointaine utopie. L’occasion de se demander si ces scénarios sont réalistes ou si d’autres sont envisageables.
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Auteur·rice·s et scénaristes pas très optimistes
La fiction post-apocalyptique offre un support de réflexions passionnantes et infinies sur la nature humaine. En nous faisant revenir à l’état de nature, elle nous oblige à faire face au fait que nous sommes actuellement presque tous incapables d’assurer nos besoins fondamentaux et que si tout cela se produisait, nos besoins secondaires risqueraient effectivement de passer à la trappe.
“La nature humaine est parfois une pire menace que les zombies.”
Certaines dystopies comme The Handmaid’s Tale prennent carrément des tournures de films d’horreur pour le genre féminin. Son autrice, Margaret Atwood, anticipe une dictature religieuse et ultra-patriarcale de type amish où les femmes encore fertiles deviennent les esclaves de couples mariés qui ont légalement le droit de les violer pour s’en servir de mères porteuses. La série The Walking Dead, même si elle présente des personnages féminins plutôt badass, répartit souvent les rôles de manière genrée et traditionnelle et les femmes y sont l’objet de multiples violences allant du viol à l’esclavage sexuel. [ALERTE SPOILER] Comme dans la saison 7 où l’ignoble Negan dispose d’un harem de jeunes femmes présentées comme “consentantes” alors qu’elles n’acceptent de coucher avec lui que par terreur et contrainte. Gale Anne Hurd, la productrice exécutive de la série, justifie ces choix scénaristiques en expliquant que montrer l’oppression des femmes à travers la violence est justement un moyen de montrer que “la nature humaine est parfois une pire menace que les zombies”.
Le Livre d’Eli ou de nombreuses autres fictions montrent également un avenir très sombre pour les femmes en cas d’effondrement: régulièrement violées ou menacées de l’être et obligées de se mettre sous la protection d’un homme pour espérer vivre normalement. Même Mad Max Fury Road, l’un des seuls films post apocalyptiques dit féministe où une héroïne renverse le régime patriarcal d’un affreux tyran, montre au départ un sacré retour en arrière. Mais il s’agit là de fiction. Qu’en est-il si l’on se rapproche un peu plus de la réalité?
Survie = femmes en cuisine, hommes à la chasse
Les téléréalités offrent un exemple intéressant de la façon dont nos contemporains se comportent en situation de survie. Koh Lanta ou The Island montrent très souvent des groupes où les tâches se répartissent “naturellement” de manière traditionnelle: femmes en cuisine et à l’entretien du camp, hommes à la chasse et aux travaux physiques. Bien souvent, les femmes se mettent d’elles-mêmes à ces tâches. Est-ce par envie, nécessité, habitude ou contrainte?
“La répartition des tâches en situation de survie en milieu naturel a souvent tendance à s’effectuer de manière stéréotypée.”
Pour le pasteur américain Joe Fox, retraité des forces spéciales devenu une figure phare du survivalisme, la raison est simple. Il l’explique dans une vidéo aux 40 000 vues: “Mesdames, une fois que le monde revient à son état initial où seules les règles naturelles s’appliquent, si vous n’êtes pas avec un homme, vous aurez des problèmes. Vous vous ferez violer, maltraiter, abuser. […] Vous ne pourrez pas battre un homme plus grand et fort que vous. Les choses vont ainsi. […] Certaines d’entre vous disent: ‘Nous nous sommes libérées et nous ne reviendrons jamais en arrière!’ Mais vous reviendrez à ce système. Et vous savez pourquoi? Parce que voilà la réalité: les hommes sont des porcs. Les hommes sont des brutes. On se bat, on tue. On va dehors et on ramène la viande et c’est ainsi que nos civilisations ont réussi à survivre par le passé.” Un discours caricatural et essentialiste, qui occulte totalement tous ces hommes qui ne sont ni des porcs, ni des brutes et qui sont chaque jour de plus en plus nombreux.
Denis Tribaudeau, organisateur français de stages de survie depuis plus de 13 ans et auteur de Survie Mode d’Emploi confie qu’effectivement “la répartition des tâches en situation de survie en milieu naturel a souvent tendance à s’effectuer de manière stéréotypée”. Mais il nuance: “Dans un second temps, les rôles et frontières entre hommes et femmes se font beaucoup plus troubles et poreuses et certains peuvent se révéler surprenants.”Et d’ajouter: “Un groupe uniquement constitué d’hommes aura tendance à se comporter comme une meute de loups avec son ‘mâle alpha’ (Ndlr: dominant) alors qu’un groupe mixte se comportera moins de manière animale mais plutôt comme une famille.” Qu’elles y consentent ou pas, il semblerait qu’en mode survie les femmes aient du mal à échapper au stéréotype de la femme “ciment du groupe”, qui s’occupe des uns et des autres…
Et dans la réalité, ça donne quoi?
Des organismes comme l’ONU ou l’Unicef ne cessent de le rappeler: quand tout un pays se retrouve livré à lui-même, les femmes sont les premières à trinquer. Dans un texte publié sur le site Cairn, Judith Ezekiel, militante féministe et professeure à l’Université Wright de Dayton affirme que “la socialisation des femmes reste généralement un handicap […] on a, par exemple, vu à l’occasion des tsunamis qu’il y avait un écart de genre dans l’apprentissage de la natation, les vêtements des femmes limitaient leurs mouvements. Mais surtout, les femmes ont des charges familiales; elles doivent s’échapper avec les enfants, les personnes âgées, et les malades. Enfin, des études font état, dans les temps qui suivent des catastrophes, d’une aggravation de la violence masculine, notamment une augmentation des cas de viols et de femmes battues.” Pire encore, ces dernières décennies, que ce soit lors de la guerre des Balkans, en Afrique ou en Syrie, le viol est devenu une arme de guerre utilisée massivement. D’autres situations, comme celle de la Nouvelle Orléans suite à l’ouragan Katrina, montrent au contraire des civils plus solidaires et bienveillants qui s’entraident et s’organisent sans retourner massivement à des comportements primaires.
Pourquoi tout cela fait flipper?
Réfléchir à la fin du monde peut paraître prématuré, voire fantaisiste. Mais si le sujet inquiète tant, c’est parce que le scénario d’un effondrement global n’a rien d’irréaliste. Des groupes de chercheur·se·s, scientifiques et spécialistes l’annoncent: notre civilisation énergivore et écologiquement insoutenable pourrait bien s’effondrer d’ici 2030. Or à ce moment-là, finie l’industrie qui produit pilules, capotes et stérilets, ciao les ressources pétrolières qui permettent de fabriquer et d’acheminer tout cela, adieu les hôpitaux en cas d’accouchement compliqué et bye bye les lois punissant ceux qui se croient tout permis sur le corps des femmes… Ajoutez-y une pincée d’intégrisme religieux, de masculinisme rétrograde et le tout commence à ressembler à un beau cocktail explosif. Alors, existe-t-il des leviers sur lesquels agir afin que, même en cas d’effondrement, nos droits soient garantis et respectés?
L’importance de changer les mentalités
On l’a vu avec #MeToo, des lois ont beau être votées, des progrès être faits, les mentalités peinent à bouger. Elles sont le cœur du problème. Au final, si tout s’effondre, ce sont surtout les mentalités des hommes et des femmes elles-mêmes qui risquent de nous diriger dans tel ou tel sens. Pablo Servigne, spécialiste de l’effondrement à l’origine du concept de collapsologie, nous confie qu’il a “du mal à imaginer un retour en arrière qui fasse fi des conquis sociaux et moraux des femmes de ces derniers siècles”. Pour lui, “l’avenir est hybride et dépendra de chaque région et de chaque culture. Si l’ordre social disparaît, la croyance veut que l’on s’entretue tous, et tout le monde sait que la guerre est une histoire d’hommes… où les femmes trinquent. Sauf que premièrement, il n’est pas du tout certain que l’on s’entretue en cas d’effondrement -c’est possible mais pas certain, tout dépend des pré-conditions-, et deuxièmement, les femmes aussi savent faire la guerre, comme l’ont montré les femmes kurdes contre Daesh. Ce qui s’exprime, ce sont des clichés, des caricatures.”
En effet, de nombreux autres scénarios sont envisageables et l’actuelle vision catastrophiste des droits des femmes en cas d’effondrement émane souvent… d’hommes -il nous a d’ailleurs été très difficile de trouver des interlocutrices pour réaliser cet article. On le voit aujourd’hui, notre société encore bien ancrée dans le patriarcat peine à imaginer d’autres possibles, voire fantasme le retour à un monde rassurant où les rôles seraient parfaitement prédéfinis. Mais maintenant que de plus en plus d’hommes comprennent qu’ils ont eux aussi intérêt à vivre dans une société où les femmes jouent un vrai rôle et maintenant que les femmes elles-mêmes ont goûté à la liberté, nous pouvons tout à fait imaginer que survie ne rimera pas forcément avec misogynie!
Sabrina Debusquat
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