Tout aussi délirant que son casting -qui inclut Éric Cantona, Béatrice Dalle ou Alain-Fabien Delon…-, le premier long-métrage de Yann Gonzalez détonne par son originalité et sa liberté de ton. Nous avons rencontré ce jeune réalisateur audacieux et iconoclaste ainsi que son actrice fétiche, la gracile Kate Moran.
Pour son premier long métrage, Yann Gonzalez intrigue avec ses Rencontres d’après minuit exaltantes et hors du commun. Avec ce film qui échappe aux classifications, les fantasmes prennent corps dans un écrin aux allures de film fantastique où se mêlent joyeusement érotisme franc et amour chevaleresque. Actrice fétiche du réalisateur, présente à ses côtés depuis son premier court-métrage -le sublime By The Kiss–, Kate Moran incarne ici Ali, trait d’union entre les personnages qui peuplent et traversent cette troublante nuit d’amour. Rencontre avec le réalisateur et sa muse.
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Comment vous êtes-vous rencontrés? Et comment s’est développée votre relation de travail?
Kate Moran: Yann m’a découverte au théâtre et a d’abord pensé à moi pour chanter sur l’album de son frère Anthony (ndlr: alias M83), mais le soir de notre rencontre, il avait aussi avec lui le scénario de son troisième court-métrage, Je vous hais petites filles, et il m’a demandé si j’étais intéressée. J’ai enregistré les pistes pour l’album d’Anthony à New York, où je vivais, puis, quelque temps après, j’ai répondu oui à Yann dont le projet me plaisait beaucoup. Finalement, avant de pouvoir tourner Je vous hais petites filles, on a commencé par deux autres courts-métrages, By The Kiss et Entracte (ndlr: en raison de difficultés de production).
Yann Gonzalez: Il y a eu comme une évidence lorsqu’on s’est rencontrés avec Kate, on a ressenti une proximité très forte dans l’énergie que l’on avait, sans se poser de questions. Esthétiquement et artistiquement, on avait la même conception des choses, tout ça a été très naturel. Habituellement, j’aime garder une certaine distance avec les comédiens pour pouvoir continuer de les fantasmer. Mais avec Kate, je n’ai même pas besoin de cet écart.
Kate: Visuellement et dans la façon de communiquer, j’ai l’impression que les courts-métrages que nous avons tournés ensemble ont été comme un entraînement, des étapes de travail avec Yann. Les Rencontres d’après minuit rassemblent tout ce que l’on a appris au cours de nos collaborations précédentes.
“Le film ne parle pas de la jeunesse d’aujourd’hui, mais de la jeunesse tout court.”
Yann, ton long-métrage est atemporel: il puise dans un univers années 80, rassemble des vivants et des morts, place le souvenir et le rêve sur le même plan que la vie réelle, et en même temps il semble dire quelque chose de la jeunesse et de la société actuelles. Qu’en est-il?
Yann: Mon film ne tient pas particulièrement un discours sur la jeunesse d’aujourd’hui, en revanche il est vrai qu’elle est ma plus grande source d’inspiration. Il y a une énergie, une ouverture d’esprit, une connexion évidente entre le cinéma et la musique (ndlr: fondamentale dans le cinéma de Yann Gonzalez) chez les adolescents que je trouve très inspirante. Ce sont les jeunes qui me parlent le plus, je suis très touché par leur désir de futur. La vie adulte est beaucoup plus “filtrée”, entravée par des masques sociaux, des codes, des barrières morales.
Kate: Pour moi, le film est un espace-temps clos sur lui-même, une bulle. Il ne parle pas de la jeunesse d’aujourd’hui en particulier, il parle de la jeunesse tout court et de son énergie, d’un moment éphémère, très tendre. Malgré tous les traumas des personnages, les difficultés qu’ils connaissent, ils réussissent à être heureux et à vivre cette parenthèse.
Kate Moran © Potemkine Films
Il y a dans Les Rencontres un rapport très direct à la sexualité, elle n’est pas seulement suggérée mais montrée et dite. Pourquoi ce choix?
Yann: C’est un rapport direct au sexe et non à la sexualité. La sexualité, c’est réaliste, c’est ce qui appartient au champ du social et à une certaine banalité. Le sexe en revanche, c’est fantastique, plus diffus et plus mystérieux, ce qui peut selon moi laisser place à davantage d’images. Filmer le sexe demande d’avoir une idée très précise en terme de mise en scène, qu’il s’agisse de l’éclairage, de la temporalité de la scène, etc. Kechiche en fait quelque chose d’intéressant dans La vie d’Adèle, en inscrivant les scènes dans la longueur. Mais ce n’est pas ce cinéma que je cherche à faire.
“Cette idée que le désir peut tout à coup devenir apparent, c’est fabuleux. On admet qu’on a envie de baiser et voilà tout.”
Il y a dans le film une libération des corps, des fantasmes et de la parole sans que l’on puisse dire pour autant que les personnages soient tout à fait heureux, pourquoi?
Kate: Parce que les personnages ont chacun leurs névroses, leurs craintes. Mais malgré ces difficultés, ils sont animés par une grande vitalité.
Yann: Les personnages sont très clivés, très noirs, et progressivement ils sont appelés à l’ouverture, à l’autre. Ils sont poreux, à l’écoute de la communauté qui est pour eux salutaire. Ce sont la communauté et la communion qui les sauvent.
Kate: Udo (Nicolas Maury) est sans doute le personnage le plus libre, il est ce qu’il veut. Il n’est pas la représentation du “transgenre”, mais il reflète le mélange des genres. Il est protecteur tout en ayant besoin d’être protégé, il a le rôle d’un mage, d’une mère, d’une “gouvernante” ou d’une “bonne” comme il aime à s’appeler.
Yann: c’est un transformiste au sens noble du terme. Udo n’est ni un homme ni une femme, il représente sans doute le mieux cette porosité propre aux personnages du film.
Niels Schneider et Nicolas Maury (Udo) © Potemkine Films
La libération va de pair avec une certaine transparence: les personnages disent sans détour la raison de leur présence dans cette pièce, une partouze. Yann, est-ce que ce comportement très direct est ton fantasme des relations humaines?
Yann: Oui. Quand j’étais enfant, on recevait Canal+. En lisant le programme, j’étais tombé sur le synopsis d’un film porno. Des gens se croisaient dans la rue avec le signe ostentatoire de leur désir. Cette idée que le désir peut tout à coup devenir apparent, c’est fabuleux. On admet qu’on a envie de baiser et voilà tout.
“On devrait pouvoir fabriquer notre propre socle, notre propre famille.”
Kate forme avec le personnage de Matthias (ndlr: Niels Schneider) un couple romantique qui emprunte à l’esthétique chevaleresque. Pourquoi ce modèle de couple très “classique”?
Yann: On vit aujourd’hui dans une société hétéronormée et j’ai voulu puiser dans les images du romantisme séculaire pour ce couple formé par Ali et Matthias. Néanmoins, les lignes bougent. Ali et Matthias ne sont pas si conventionnels, ils sont influencés par les personnages qui les entourent, comme des satellites qui gravitent autour d’eux. Je pense que ce sont ces satellites qui font bouger les lignes. C’est cela que l’on peut espérer dans la société, qu’une place soit accordée à ceux qui sont à la marge, à ceux qui bougent les lignes. Pour autant, je n’ai pas du tout envie que l’homosexualité devienne la norme, il y a un goût pour la transgression, pour le danger, une image de l’interdit qui doit demeurer et qui me plaît dans la culture homosexuelle.
On aboutit à la fin du film à une proposition d’amour familial, qui est très différente de celle du point de départ (ndlr: une réunion pour une partouze). Qu’est-ce que c’est pour vous, la famille?
Kate: Dans le film, Ali et Udo demandent à leur ami et amant, l’Adolescent (Alain-Fabien Delon), de fonder une famille. Cette proposition, c’est une promesse de tendresse.
Yann: Pour moi, la famille c’est d’abord l’idée d’affects durables, de relations qui forment une empreinte sur nous, nous modifient. On devrait pouvoir fabriquer notre propre socle, notre propre famille, avec des membres très différents, une mère, un ancien amant, un ami… J’ai envie que tout ça copule joyeusement!
Propos recueillis par Louise Riousse
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