Sélectionné pour Un Certain Regard, le premier long métrage de Léonor Serraille dresse le portrait sans concession de Paula, trentenaire incarnée par Laetitia Dosch. Rencontre avec une réalisatrice prometteuse.
Léonor Seraille débute sa carrière en dressant le portrait d’une femme, Paula, jeune trentenaire en perte de repères et en permanence au bord de la crise de nerf. Après une séparation avec un artiste -devenu connu grâce à une photo prise d’elle- Paula doit à tout prix se réinventer. Laetitia Dosch se transforme de plan en plan comme un caméléon et réussit à passer d’image à sujet.
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Article réalisé en partenariat avec Le Deuxième Regard.
Ton film commence avec Paula se tapant la tête violemment contre une porte. Quelle est l’histoire de cette “Jeune Femme”?
L’itinéraire du film, c’était de montrer comme point de départ une femme toute cassée, en bordel, et d’arriver à quelqu’un de solide. La question était comment construire le film pour qu’il ressemble à la métamorphose de Paula, que le film fasse corps avec ses émotions. Ce n’est pas la façon la plus accueillante de rentrer dans le film. On commence par une crise, on est dans le vif du sujet, et ça agace pas mal de gens qui me disent “au début c’est difficile, qu’est-ce qu’elle est agressive!”. C’était l’intention, je ne voulais pas qu’elle soit facile à cerner. Petit à petit on plante des choses qui la révèlent, on ne l’aime pas dès le début. On a une attente des femmes, une attente de définition, de modèle, de représentation. Je ne voulais pas qu’elle rentre dans une étiquette ou un concept mais qu’elle soit très libre.
“Il y avait vraiment l’idée dans le film de faire un parallèle entre les femmes et les noirs.”
Quels sont les portraits de femmes au cinéma qui t’ont interpellée?
Sue perdue dans Manhattan, Wanda de Barbara Loden, Claire Dolan de Lodge Kerrigan: des portraits de femmes qui sont très seules mais très dignes. Je me suis rendu compte qu’il y a souvent la question du portrait dans les œuvres qui m’interpellent, parce que c’est une question qui met au cœur l’acteur. Je n’avais personne en tête à l’écriture mais j’avais repéré Laetitia Dosch dans La Bataille de Solférino, je la trouvais intrigante. J’ai vu des photos d’elle très variées sur Internet, des photos où elle était très belle et d’autres où elle était plus étrange. Je n’arrivais pas à savoir quel âge elle avait, elle avait plein de visages, ça m’excitait. Et puis il y a eu un coup de foudre, une évidence quand on s’est rencontrées. Elle m’a fait penser à Patrick Dewaere, ça m’a heurtée et impressionnée, je me suis dit, c’est magique, c’est Dewaere en femme!
Ton film intègre plusieurs personnages secondaires racisés. On a l’impression que tu donnes corps à ceux qu’on invisibilise normalement.
Ce qui était important c’était de faire des portraits dans le portrait de Paula. Je me suis demandé: de quoi peut-on parler grâce à elle? Ces personnages secondaires révèlent d’autres questions en filigrane. Au casting, j’ai compris qu’il fallait que j’assume ce qu’au scénario je n’assumais pas assez. Yuki (l’amie de Paula) au départ était un personnage japonais. Mais j’ai vu Léonie Simaga en casting et j’ai changé d’avis. De même qu’Ousmane n’était pas un vigile du Sénégal surdiplômé qui bosse avec Paula, au début au scénario il venait de banlieue parisienne et il avait 25 ans. Paula traverse plusieurs environnements de travail où elle côtoie aussi bien Ousmane que la mère bourgeoise de Lila, qu’elle garde. On se dit qu’elles peuvent toutes les deux être copines, qu’il peut y avoir une solidarité féminine entre ces deux femmes adultes. Mais en fait non, la solidarité est mise à mal parce que le rapport de l’employé est toujours plus fort que tout.
© Shellac
Paula regarde à la télé un extrait de Mirage de la vie de Douglas Sirk, avec Juanita Moore qui joue une mère noire. Un extrait qui incarne la question de la maternité et de la couleur de la peau, deux thèmes qui traversent aussi ton film.
Il y avait vraiment l’idée dans le film de faire un parallèle entre les femmes et les noirs. Il y a une sensation qu’en tant que femme ou personne de couleur, il faut faire ses preuves plus que les hommes blancs. Cette question là planait tout le temps dans ma tête. Faire dialoguer les femmes et les noirs c’était important pour moi. Dans mon mémoire en littérature comparée je m’interrogeais sur les représentations des femmes dans la littérature de Léonora Miano, une écrivaine camerounaise. C’est une question qui m’habite. Mon compagnon est d’origine ivoirienne, c’est au cœur de nos discussions et lui en tant que français noir je vois qu’il vit des choses encore très étranges, au quotidien.
La majorité de ton équipe est constituée de cheffes. La productrice, la cheffe opératrice, la monteuse, l’ingénieure du son: toutes des femmes!
Ça nous a donné beaucoup de force, mais si on m’en parle autant c’est le signe qu’il y a quand même quelque chose qui ne va pas. Ca devient remarquable alors que j’attends que ce soit tout à fait normal et qu’on n’en parle même pas! J’espère que cette question va disparaître. Je ne suis pas partie en me disant il faut des femmes parce que le film s’appelle Jeune Femme! Ce n’était pas un casting féminin, il s’est juste avéré que c’était les meilleures, et que j’avais déjà travaillé avec la plupart d’entre elles sur mon court métrage, Body. Sur le tournage, je me suis rendu compte en voyant la cheffe op’ donner ses instructions à ses électros, que c’était une femme qui donnait les directives à deux hommes, et c’était super beau à voir aussi, parce qu’ils étaient tous en fusion.
Propos recueillis par Iris Brey
Cet article a été initialement publié sur le site du Deuxième Regard.
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