Le femvertising, tendance marketing qui prône l’émancipation des femmes, et veut casser les clichés, est de toutes les publicités et de toutes les marques. Alors, enjeu sociétal ou simple business plan?
Une jeune femme, un genou à terre, demande en mariage son petit ami. Dans cette pub pour la marque de déodorant Secret -du groupe Procter & Gamble-, la comédienne ne s’applique pas son déo nue devant le miroir de sa salle de bains en prenant un air sensuel. Là, elle prend les devants et bouscule les schémas traditionnels, quitte à se taper un coup de chaud. Cette vidéo réunit tous les codes du femvertising, mot-valise né de la contraction de “feminism“ et “advertising”.
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Devenu le roi des publicités, ce type de marketing “féministe” prône l’acceptation de soi, l’émancipation de la femme et la fin des stéréotypes. Exit les corps homologués, les peaux non colorées, ou les lessives faites par maman. Dites bonjour à la fin des clichés et à la diversité: blonde, brune, rousse, ronde ou mince, noire ou blanche, les femmes et les jeunes filles sont mises en scène dans des activités qui, jusqu’ici, ne leur étaient pas proposées. Une nouvelle manière de s’adresser aux femmes, et plus précisément aux consommatrices.
En 2013, la marque Dove, pionnière du genre, frappe un grand coup avec sa campagne Real Beauty et marque le début de la tendance. On y voit l’artiste dessinateur Gil Zamora au centre d’un grand hangar baigné de lumière. Assis derrière un rideau, il écoute des femmes se décrire et réalise ensuite leurs portraits. Longueur des cheveux, détail du nez ou forme des yeux, le résultat est souvent loin de l’original, tant les volontaires se dévalorisent. D’ailleurs, les Françaises sont encore 82% à estimer que la publicité diffuse une image qui donne des complexes, selon l’étude du Ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes sur la perception de l’égalité entre les femmes et les hommes en France publié ce mois-ci.
“En deux secondes, une pub sexiste est pointée du doigt sur Twitter”
De quoi amener les publicitaires à repenser leurs campagnes et à suivre la voie du femvertising. C’est ainsi qu’Always souhaite redonner confiance aux jeunes filles, que Nike traite désormais avec humour l’embarras des salles de sport, que Super U milite pour des jouets de Noël unisexes et qu’Ariel vante le partage des tâches comme en atteste la pub ci-dessous:
“C’est une vraie tendance de fond, déjà importante dans les pays anglo-saxons, explique Anne Vincent, vice-présidente de l’agence de pub TBWA/Paris. Le débat, présent dans la société, se traduit aussi dans la communication, et les marques sont obligées de réfléchir à une nouvelle représentation de la femme.” “Il y a un vrai changement de mentalités, renchérit la blogueuse Sophie Gourion, auteure du blog Tout à l’égo. Les marques qui font des pubs sexistes savent qu’elles mettent en danger leur image. Le grand public est plus réactif, maintenant en deux secondes une pub sexiste est pointée du doigt sur Twitter.” Et les consommatrices adhèrent. “Elles feront le choix d’un shampoing Dove plutôt qu’une autre marque car elles se projettent dans cet univers”, croit savoir Anne Vincent. Évidemment, l’adhésion n’est pas automatique et vous ne changerez pas de gel douche du jour au lendemain. Mais l’idée se diffuse doucement.
Alors coup de pub ou vrai engagement? “Toutes les entreprises ne se sont pas réveillées féministes du jour au lendemain, s’amuse Sophie Gourion. Le féminisme était déjà un argument de vente dans les années 50 et acheter un soutien-gorge symbolisait une libération de la femme. Le marketing genré a ensuite eu le vent en poupe dans les années 80 et aujourd’hui on retourne en arrière car les consommateurs saturent.” Et Anne Vincent d’ajouter: “L’enjeu est double: il y a l’engagement sociétal mais aussi le business.”
“On favorise l’empowerment féminin”
Pour ne pas tomber dans le “feminism washing”, phénomène qui consiste à surfer sur la tendance sans s’y intéresser réellement, les marques doivent convaincre leurs consommatrices de l’honnêteté de leur démarche. “Notre campagne ‘Tout le monde a le droit de jouer’ féminise encore plus notre marketing, explique ainsi Xavier Rivoire, directeur de communication externe de Decathlon. On s’est rendu compte que l’on était souvent associé à une marque sympa, et masculine. Mais on est une marque féminine aussi, et on va le dire de plus en plus.” Actions de sensibilisation, recherches sur les femmes, création de fondations dédiées, nombreux sont les outils pour rendre crédible les démarches des entreprises. “Le plus important, c’est d’être cohérent entre les marques d’un même groupe, note Sophie Gourion. On peut saluer la pub Dove, mais à côté, Axe, qui appartient au même groupe, fait des spots hyper sexistes.”
Une pub Axe
Gagner de l’argent ou s’engager, peu importe, l’impact est là. “Les grandes marques touchent un public large, cela favorise l’empowerment féminin”, assure Anne Vincent. Dernière grosse marque sur le créneau: H&M et sa vidéo de portraits féminins sur fond de She’s a lady remixé à regarder ci-dessous:
La dernière campagne H&M
“En France, on est plus frileux pour mettre ces sujets sur la place publique. Il y a un enjeu pédagogique”, ajoute la vice-présidente de TBWA/Paris. Les jeunes filles ont d’ailleurs remplacé les femmes adultes des publicités. Encore une fois, l’objectif est double: glaner des futures clientes et sensibiliser. “Plus on traite ces sujets auprès des jeunes, plus on les conscientise”, affirme Anne Vincent. “Une féministe adulte, ça fait peur. Montrer une petite fille moins, on ne l’a traitera pas d’hystéro”, estime Sophie Gourion. Un bon moyen de faire passer le message en douceur… Et de séduire les parents.
Victoria Masson
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