Pour la génération Y, s’inscrire sur un site de rencontres est devenu ultra banal. Derrière la légèreté apparente de ces discussions virtuelles, existe-t-il des rapports de force entre hommes et femmes? Enquête.
“Bon matin :-) papouilles”. Le smartphone d’Anaïs, 22 ans, a émis les quatre petites notes de musique de l’appli Adopte Un Mec. Le message s’affiche. Il vient de Vincent, 35 ans, lunettes de soleil vissées sur le nez, col de chemise légèrement ouvert et cheveux en brosse. Elle lève un sourcil et soupire: “Je vais le rembarrer, c’est plus possible.” Il y a quelques jours, Anaïs avait pourtant mis Vincent dans son panier pour qu’ils puissent engager la conversation. “Il est chiant comme la pluie, on n’a rien à se dire. Mais tous les jours il persiste à me souhaiter une bonne journée.”
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“Dans la vie, les hommes sont en demande perpétuelle et les femmes n’ont qu’à choisir, analyse Stéphane Rose, auteur de Misere-sexuelle.com, le livre noir des sites de rencontres. Sur les sites, c’est encore pire. Quand une femme est connectée, elle va aussitôt avoir 50 sollicitations masculines alors que l’inverse n’est pas vrai.” Avec 2000 sites de rencontres en France -majoritairement hétérosexuels- allant du mastodonte Meetic au petit dernier Once où les hommes sont nettement plus nombreux, les femmes sont “des princesses qui n’ont qu’à se baisser pour choisir leurs prétendants”, selon Stéphane Rose.
Les hommes, ces serial likeurs
“Les femmes ont le pouvoir de choisir, de prendre le temps d’étudier les profils. Alors que les mecs, eux, ce qu’ils veulent, c’est juste être en contact avec une nana, quelle qu’elle soit”, poursuit-il. Un constat que Chloé, une jeune Cannoise de 25 ans, a pu vérifier. “Sur Tinder, j’ai fait l’expérience de liker tous les profils masculins que je croisais. À chaque fois, le match était immédiat. Ça prouve bien que les mecs likent tout ce qui bouge et attendent que ça morde.”
Traditionnellement, les sites de rencontres, dont Meetic fut le pionnier, ont été conçus pour que les mecs envoient des messages les premiers. C’est pour rompre avec ce modèle et insuffler un style volontairement provocateur, qu’Adopte Un Mec a voulu casser les codes de la séduction virtuelle et donner aux femmes le pouvoir de choisir, ou du moins l’illusion, son (ou ses) prétendant(s). Un coup marketing “de génie”, pour Stéphane Rose. “Ils se sont dit, on va permettre aux femmes d’autoriser un homme à leur parler ou pas. Si le site a cartonné, c’est bien la preuve qu’il y avait un problème de ce point de vue-là.”
Laura, 25 ans, s’est inscrite sur “Adopte” et pas ailleurs pour cette raison précise. “J’ai été ultra select sur l’acceptation des ‘charmes’ que m’envoyaient les mecs pour ne pas perdre de temps et me laisser envahir.” Au bout de quatre mois sur le site, Laura a décidé de “passer à la vitesse supérieure” et de reprendre le pouvoir, à savoir choisir où et quand elle passerait à la phase IRL. “Pour mon dernier charme accepté, nous avons seulement parlé deux jours avant que je lui propose de se rencontrer. Coup de bol, ça l’a fait!” Elle est à présent en couple depuis presque cinq mois et va bientôt emménager avec son mec, preuve que les femmes ont tout à gagner à prendre l’initiative.
Un vaste terrain de jeu
Mais si les femmes ont le pouvoir de débuter une conversation virtuelle, une fois que celle-ci devient réelle, les gens sont d’égal à égal. “À la fin, personne n’a le pouvoir. Il faut être deux pour se rencontrer”, rappelle Maïa Mazaurette, blogueuse et sexperte chez GQ. Pas si simple, pourtant, de ne pas être rattrapé par les stéréotypes qui entourent la drague entre les sexes. Aujourd’hui encore, l’idée que les hommes s’inscrivent sur des sites de rencontres pour le cul et les femmes pour l’amour persiste. “Les hommes vont plus prendre leur pied avec un coup d’un soir, tandis que les femmes vont plus souvent avoir besoin de mieux connaître leur partenaire”, explique Catherine Lejealle, sociologue et auteure de J’arrête d’être hyper connectée.
Toutefois, le cliché homme primaire /femme cul-cul a pris un coup de vieux et certaines savent tirer parti des sites de rencontres quand il le faut. “J’ai rencontré pas mal de femmes en couple qui s’ennuyaient dans leur routine conjugale et s’engageaient dans des discussions érotiques pour se sentir à nouveau désirées. Elles me disaient: ‘J’ai un mari. J’ai adoré cette correspondance, mais ça n’ira pas plus loin’”, se souvient Stéphane Rose.
Se sentir à nouveau sexy, voir qu’elle était capable de plaire, c’est aussi ce qui a poussé Léa, Parisienne de 32 ans, à s’inscrire sur Tinder. “J’ai voulu papillonner pour me redonner confiance après une rupture.” Et bingo! En trois mois, Léa a rencontré huit mecs. “Il y en a un avec qui je suis restée un mois. Un autre que j’ai vu quatre fois. Deux que je n’ai jamais rappelés. Je suis même devenue copine avec certains.” Des rencontres décomplexées qui ont mené à une vraie histoire. “On est ensemble depuis 15 jours mais on discute depuis deux mois. À cette époque je sortais avec un autre mec parmi les huit”, avoue Léa en riant. Preuve que la légèreté n’est pas seulement une caractéristique masculine.
Malgré tout, l’idée que c’est au mec de faire le premier pas reste ancrée dans l’imaginaire collectif. “Même sur Internet, c’est aux types de tout faire, se désespère Guillaume, 29 ans. Il y a un nombre incroyable de femmes qui viennent juste visiter ton profil régulièrement jusqu’à ce que toi, tu leur envoies un message.” La sexperte Maïa Mazaurette va plus loin: “Ce n’est pas une question de qui a le plus envie ou de qui est le plus téméraire. Une femme fait plus attention parce que c’est ce qu’on lui a appris depuis son plus jeune âge.”
Sites de rencontres ou cour des miracles?
Autre effet indésirable des sites et applis de rencontres: on y trouve tout et n’importe quoi, et souvent n’importe quoi. “Les abus sont courants. C’est incroyable, pour donner un exemple très soft, le nombre d’hommes qui envoient une photo de pénis sans demander la permission”, poursuit Maïa Mazaurette.
La raison? L’anonymat. “Imaginons un wagon de métro avec une nana un peu mignonne qui rentre. Plein d’hommes vont avoir des pensées salaces mais, étant en société, il y a quand même la barrière de la civilisation qui les retient, constate Stéphane Rose. Sur un site de rencontres, ils vont lui lancer: ‘T’es bonne’ ou ‘Tu veux pas me sucer’ parce qu’il n’y a aucune barrière.”
Pourtant, parmi la cohorte de bourrins, se cachent aussi des profils masculins plus romantiques, à la recherche du grand amour. La preuve avec Nicolas, 34 ans. “Je me suis vite rendu compte qu’il valait mieux privilégier la qualité que la quantité. Avoir une boîte aux lettres avec 25 contacts, mais très peu d’échanges, est bien moins efficace que sélectionner les 3 ou 5 profils avec qui il y a vraiment un feeling. À chaque fois, les prises de contact se sont concrétisées. Ma relation la plus courte ayant duré quelques heures, la plus longue est celle avec qui je suis depuis plusieurs années et que je viens d’épouser.”
Ouf, les sites de rencontres ne sont donc pas qu’un vaste supermarché des relations. Et comme dans la vie hors écrans, le jeu très codifié de la drague peut parfois déboucher sur une histoire d’amour. Sans vainqueur ni vaincu.
Marie Cardona
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