La collection Sorcières des Éditions Cambourakis vient de rééditer en ce mois de mai le Guide pratique du féminisme divinatoire de Camille Ducellier. Un manuel aussi décalé que brillant pour toute sorcière en devenir.
Réconcilier féminisme et ésotérisme
“Avoir au moins une amie qui adore faire des fiches de lecture sur des livres compliqués. Porter sur vous un kilo d’obsidienne noire et, si possible, deux yeux célestes pour éloigner les mauvaises intentions et les bouches méfiantes. Prendre un librax cinq heures avant pour être sûre d’y aller vraiment.” Voilà le type de conseils qu’on peut trouver dans le Guide pratique du féminisme divinatoire de Camille Ducellier. Dans ce chapitre baptisé Transmuter le bronze en or ou comment survivre à sa première réunion féministe, l’artiste multimédia vous aide à surmonter vos craintes face aux cercles militants. Quelques pages plus loin, le manuel vous apprend comment faire acte d’apostasie, fabriquer votre gode magique ou pratiquer le voyage astral -au total, le livre propose 13 rituels pour apprenties sorcières.
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Retour en 2011. À l’époque, Camille Ducellier vient de terminer son court-métrage Sorcières, mes soeurs, cinq portraits de sorcières contemporaines parmi lesquelles la militante lesbienne Thérèse Clerc, décédée en 2016, et l’écrivaine Chloé Delaume. Sur invitation de cette dernière, Camille Ducellier en imagine un prolongement textuel, soucieuse de faire le pont entre ses pratiques ésotériques et sa communauté féministe qui, à l’époque, se mélangent peu: “Je voulais mettre le doigt sur un malaise, se souvient-elle. Ça me paraissait incroyable que les féministes n’aient pas essayé de sortir du binarisme rationnel/irrationnel alors que d’autres binarismes étaient au centre de la discussion.”
© Marie Rouge
Un guide pratique “pas hyper pratique”
Plus habituée au travail de l’image que du texte, la plasticienne et réalisatrice s’amuse à détourner deux formes littéraires qu’elle connaît bien: le manifeste et le guide pratique ésotérique. Partiellement autobiographique, l’objet n’est ni vraiment une fiction, ni un roman, ni un essai. “C’est un guide pratique mais pas hyper pratique, confie l’artiste-sorcière. En le relisant, je me suis rendu compte qu’il était plus drôle que pratique.”
Résolument syncrétique, truffé de références queer, poétique et singulier (et parfois un brin déroutant), son féminisme divinatoire est en effet aussi plein d’humour -on ne se remet toujours pas de l’invocation de Monique Wittig! Avec beaucoup d’esprit, d’autodérision et de taquinerie, l’autrice use de sa plume mordante pour apporter de la légèreté face au militantisme et ses dogmes: “Je ne pouvais pas faire de pont autrement qu’avec l’humour et la poésie. Les intérêts que j’ai sont un peu fantasques, décalés. J’ai souvent suscité le rire, du coup je me suis dit que c’était mieux qu’on rie avec moi.”
Plus encore, l’humour est ici un moyen de contrecarrer le mental: “Dans les milieux féministes, particulièrement en France, on se construit avec un mental hyper fort, on est beaucoup dans la parole, estime-t-elle. Toute approche qui permet de revenir au coeur et au corps est positive. La poésie, les rituels et la méditation permettent de lâcher cette obsession pour le discours.”
Le retour des sorcières
Depuis près de 10 ans maintenant, le travail de Camille Ducellier s’articule autour de cette rencontre. Après l’écriture du Guide pratique, elle s’est lancée dans Reboot Me, “un art divinatoire interactif documentaire” accessible en ligne. Plus récemment, elle a réalisé Voyage hors du corps, un documentaire sur le voyage astral.
En 2017, ses explorations l’ont menée sur la route de Starhawk, autrice néopaïenne américaine et figure incontournable de l’écoféminisme qui, d’ailleurs, préface cette réédition du Guide pratique. Partie à San Francisco avec une amie sorcière, Camille Ducellier l’a aidée à repeindre les portes de sa maison -un moment chargé de symboles: “Ce n’était pas rien pour moi de la rencontrer, confie-t-elle. Trente ans auparavant, Starhawk avait fait le chemin inverse du nôtre en venant sur les traces des sorcières européennes. Nous, trente ans plus tard, on débarque aux États-Unis parce que ça nous paraît être là, la source de l’écoféminisme.”
Cette influence des écoféministes américaines, Camille Ducellier la voit se propager en France: depuis quelques années, les cercles féministes et queer y sont nettement plus ouverts à l’ésotérisme. Plus encore, des manifestations contre la Loi Travail aux Archives nationales en passant par France Culture, les sorcières semblent maintenant partout. Une redécouverte qui amuse notre artiste: “Lorsque je m’y intéressais il y a une dizaine d’années, personne n’y prêtait attention, et d’un coup tout le monde s’affole, analyse celle qui pressent un épuisement à venir. Mais c’est précieux pour plein de gens qui ne pouvaient pas vivre pleinement leur spiritualité. Reconnecter des gens à leur intuition, c’est une puissance très forte.”
De son côté, CamilleDucellier regarde désormais vers de nouveaux horizons: Gender Derby, son prochain documentaire, s’intéresse toujours aux corps queer mais cette fois-ci dans le sport. “J’ai envie d’être déjà ailleurs, de rentrer dans des espaces et de les traverser. La dimension spirituelle sera toujours présente mais de manière plus diffuse, comme des petits clins d’oeil”, explique la réalisatrice. Bon vent, sœurcière…
Matthieu Foucher
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