Beaucoup moins anodin qu’il n’y paraît, le choix de notre tenue de travail est souvent un vrai casse-tête. Enquête sur les codes vestimentaires qui se cachent dans notre vie professionnelle.
Si Cécile Duflot est connue pour ne jamais trop en faire question vêtements, elle est un parfait exemple de la difficulté pour une femme à viser juste en matière de tenue de travail. Entre son jean porté à l’Élysée pour le premier conseil des ministres du quinquennat Hollande et sa robe à fleurs huée à l’Assemblée nationale, l’ex-ministre du logement semble ne jamais adopter la tenue qu’il faudrait. Et déclenche systématiquement des commentaires sexistes. Preuve que, loin d’être un détail, le vestiaire des femmes a encore malheureusement une influence sur leur carrière. C’est d’ailleurs pour ne plus y réfléchir que la New-Yorkaise Matilda Kahl a décidé depuis trois ans de ne plus porter qu’une tenue unique pour aller bosser.
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Si à une époque, le pantalon était subversif, il semblerait qu’aujourd’hui la robe soit devenue le vêtement le plus problématique.
Mais se choisir un uniforme de travail ne règle pas tous les problèmes que rencontrent les femmes au boulot. Trop sexy ou trop bossy, la robe symbolise tous les obstacles invisibles qu’elles doivent surmonter pour se faire reconnaître via leurs compétences et uniquement via leurs compétences. Si à une époque, le pantalon était subversif, il semblerait qu’aujourd’hui la robe soit devenue le vêtement le plus problématique.
Une question d’équilibre
Ce qu’on appelle “robe de bureau”, contrairement à la robe de plage ou robe de soirée, se veut aseptisée pour se fondre dans le cadre de travail. “On évolue toute sa vie dans des castes, qu’on le veuille ou non, affirme Karine Averseng, coach et auteure de Ces 5 minutes qui comptent dans un entretien d’embauche. Il est important de prendre en compte les codes de l’entreprise dès le recrutement, histoire de ne pas se travestir afin de coller aux attentes, ou à l’inverse être rejetée parce qu’on veut rester soi alors qu’on est en décalage.” Il existe des secteurs, comme ceux de la création ou des start-ups, qui sont plus à la cool en matière de dress code, au féminin comme au masculin d’ailleurs, comme l’atteste Amandine, 24 ans: “Je bosse dans une start-up branchée. On est libres de s’habiller comme on veut mais on n’échappe pas aux remarques des collègues. Les hommes n’y coupent pas non plus quand l’un ose le short ou les bretelles.”
“Porter une robe est un défi mental et physique.”
D’autres branches, comme celles en lien avec la clientèle, sont plus exigeantes; le code du travail autorise d’ailleurs l’employeur à exiger une tenue “décente”. “Les codes vestimentaires sont pleins d’hypocrisie, déplore Audrey Millet, styliste et historienne. L’apparence de la femme est souvent utilisée pour valoriser la communication d’une entreprise, à l’image de l’hôtesse d’accueil bien sexy derrière son bureau.” À en croire Jordane, 27 ans, courtière en assurance, “bien choisir sa robe est tout un dilemme: pas trop court pour être à l’aise et pro, pas trop long sinon je rapetisse de 15 cm, pas de tailleur jupe sinon je prends 20 ans. Porter une robe est un défi mental et physique pour assumer de courir avec toute la journée”.
Ce que trahit la robe
Et ce défi se complexifie encore davantage quand entrent en compte les relations de travail. Ce qui pose problème au fond, ce n’est pas la robe en elle-même mais le regard porté sur elle. Le vêtement, même au boulot, reste une manière de séduire l’autre. C’est d’ailleurs l’élément principal qui permet de juger quelqu’un lors d’une première rencontre, professionnelle ou amoureuse. Cette séduction peut compliquer les rapports, comme en témoigne Céline, 33 ans commerciale: “Je me fais déjà draguer en pantalon par les collègues, alors je m’interdis la robe pour éviter les quiproquos.” Toutefois, il ne faut pas se sentir coupable d’après Karine Averseng: “Le corps est un langage dont on se sert pour convaincre. Il n’y a pas de honte, tant que ce pouvoir ne sort pas du cadre professionnel. Une femme est d’abord un membre du personnel avant d’être un sexe féminin.”
La tenue permet de faire passer des messages.
À nouveau, c’est une question d’équilibre, et les vêtements peuvent parfois encore desservir celles qui les portent. “Une femme qui met trop en avant son physique, pour moi, c’est un acte de défense et de faiblesse qui trahit un manque de compétences”, estime Charlie, 33 ans, commercial. Romain, analyste financier de 26 ans, va même plus loin: “Si elle porte un vêtement très provocateur, je me sentirai dominant parce qu’elle s’abaisse à faire jouer son physique pour obtenir quelque chose.” Eh oui, certains mecs sont restés bloqués dans les années 50.
Parfois, la séduction est aussi une affaire de femmes, et le bureau peut créer bien des jalousies. Une fois encore, la tenue permet de faire passer des messages, comme en témoigne Audrey, 28 ans, responsable des ventes en cosmétique: “À mon arrivée, j’ai essuyé des remarques des clientes me demandant si j’avais été recrutée sur mon physique. Pour être acceptée, j’ai dû adopter un look plus sobre qui leur convenait. Depuis, bizarrement, mes chiffres sont en hausse.”
Fifty Shades of Grey © Universal International Pictures
Une question de confiance en soi
Mais avant de séduire autrui, le premier rôle du vêtement est d’assurer un confort physique et mental permettant de développer une réelle estime de soi. “La tenue est une question de crédibilité, et en début de carrière, les femmes manquent souvent de confiance en elles. L’acceptation de soi est un long processus, rappelle Chiara Condi, fondatrice de Led by Her, un programme associatif qui aide les femmes à se reconstruire grâce à l’entrepreneuriat. Avec les années, à bientôt 30 ans, j’ai moins besoin d’impressionner et de jouer un rôle dans mon apparence. Avant, je craignais d’être jugée alors je me pliais aux attentes vestimentaires de ma branche, la banque. Mais un jour, j’ai tout plaqué. J’ai mis tous les vêtements étriqués que je devais porter dans un carton et je me suis jurée que plus rien ne pourrait m’obliger à les remettre un jour. Peu importe ce que les gens peuvent penser désormais, j’ai trouvé mon identité.”
Et une fois qu’on se connaît, le comportement va généralement de pair avec la tenue. Pour Audrey Millet, il est nécessaire d’adopter une attitude confiante en ses compétences pour se faire mieux respecter. “La femme doit toujours se battre pour prouver qu’elle est la meilleure. Cette lutte passe par une guerre du vestiaire instaurée depuis des siècles.” Plus qu’un simple apparat, la garde-robe est un véritable indice: c’est justement parce qu’une femme est compétente et crédible qu’elle est libre dans la façon de s’habiller au travail.
Léa Borie
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