À 31 ans, la journaliste pakistanaise Fatima Bhutto publie son premier roman, Les lunes de Mir Ali. Elle entend incarner une voix de la jeunesse, même si cette dernière est à l’image de son pays: hétéroclite et pleine de contradictions. Si la nièce de l’ancienne première ministre Benazir Bhutto n’a pas choisi la voie du pouvoir politique, elle reconnaît volontiers être engagée autrement, à travers l’écriture. Rencontre.
La journaliste pakistanaise Fatima Bhutto était à Paris la semaine dernière pour faire la promo de son premier roman Les Lunes de Mir Ali, dans lequel elle décrit une journée au cours de laquelle bascule le destin de trois frères symbolisant chacun à leur manière les interrogations contemporaines du pays.
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Si elle a choisi de situer l’action à la frontière de l’Afghanistan, et plus particulièrement dans le Waziristan -la région où on a longtemps pensé que se cachait Oussama Ben Laden- c’est pour aborder, à travers son récit, les enjeux politiques et géopolitiques auxquels fait face le pays, pris entre une alliance avec les États-Unis dans la guerre contre le terrorisme et des relations diplomatiques compliquées avec l’Inde et l’Afghanistan, ses frères ennemis depuis toujours.
Membre de la dynastie Bhutto, les Kennedy du Pakistan, (elle est la nièce de l’ancienne première ministre Benazir Bhutto, assassinée en 2007) la jeune femme de 31 ans se défend de vouloir faire de la politique, tout en reconnaissant qu’elle est “profondément politique”. On l’a donc soumise à une interview… politique.
La ville de Mir Ali existe-t-elle vraiment?
Oui, c’est une ville du nord du Pakistan. Mais la façon dont je la décris est de la pure fiction. J’ai choisi cette ville pour ne pas situer l’intrigue dans des endroits comme Islamabad, Karachi ou Peshawar que les gens connaissent mieux. Je voulais que le lecteur n’ait aucune image préconçue du lieu de l’action.
Est-ce difficile de décrire le Pakistan d’aujourd’hui de façon simple?
Oui, car ce pays est à la fois très connu et très méconnu dans le monde. Quant à nous, les Pakistanais, la seule chose que nous savons, c’est que nous ne pouvons pas savoir! On y parle plus de 300 langues, on y compte des dizaines de religions et d’ethnies. Il y a un Pakistan moderne, un Pakistan fondamentaliste, un Pakistan paysan… La réalité est tellement complexe qu’il faut longuement l’observer pour comprendre. C’est ce que j’essaye de faire dans mon livre: montrer comment la jeunesse se bat pour survivre, et montrer qu’elle lutte entre l’appartenance et la trahison.
“Certaines femmes portent le voile, d’autres non, rien n’est obligatoire: le Pakistan n’est pas l’Arabie Saoudite.”
C’est comment d’avoir 30 ans au Pakistan?
Ça dépend vraiment de l’endroit où l’on vit. Dans certaines villes, c’est comme avoir 30 ans à Paris, même quand on est une femme. De plus en plus de femmes ne sont pas mariées, n’ont pas d’enfants et se concentrent sur leur carrière, même si, comme partout, elles doivent imposer leur mode de vie. Certaines portent le voile, d’autres non, rien n’est obligatoire: le Pakistan n’est pas l’Arabie Saoudite.
Tu décris très précisément les vêtements des personnages dans ton roman. Que symbolisent-ils?
Ils sont le signe d’une certaine résistance à l’Occident et à la politique étrangère du Pakistan. C’est un fait, de plus en plus de jeunes reviennent aux tenues traditionnelles pour affirmer leur identité. C’est vrai que le salwar kameez est un vêtement joli et confortable, de même que le sari. J’en porte moi-même très régulièrement. C’est important que les jeunes continuent de les mettre, cela fait partie de notre histoire et de notre culture.
La nourriture tient aussi une place importante dans les descriptions. Manger, c’est politique?
Ma mère a écrit un mémoire d’anthropologie sur la nourriture donc je ne vais pas dire le contraire (rires). Évoquer la nourriture d’un pays, cela peut être éminemment politique, c’est tellement lié à la mémoire, la culture, la tradition. Un repas est aussi l’une des façons les plus simples de rassembler les gens.
“Seul un pays aussi dur peut produire une fille aussi courageuse que Malala Yousafzai.”
Les véritables héroïnes du roman ne sont-elles pas les femmes?
Si, complètement. Contrairement à la caricature occidentale qui est faite d’elles, les femmes pakistanaises sont très fortes, et pas du tout amères. On les imagine faibles et soumises, mais c’est tout le contraire. Oui, leur environnement est dur, mais ça les renforce.
Cette année, on a beaucoup parlé de Malala Yousafzai. Est-elle un exemple pour les femmes?
Je ne l’ai jamais rencontrée mais je suis très impressionnée par son courage. Je me dis que seul un pays aussi dur peut produire une fille aussi courageuse.
Peut-on être pakistanais et indifférent à la politique?
Non, nous sommes arrivés à un point où plus personne ne peut être indifférent à ce qui se passe. La politique concerne tous les aspects de notre vie, je pense que c’est impossible de dire qu’on ne s’y intéresse pas. Une partie de l’élite s’est longtemps désintéressée de la politique, et elle est responsable de l’état du pays.
“Écrire est pour moi une façon de témoigner de ce que je vois. Et j’assume que ce soit politique.”
Peut-on être issue de la famille Bhutto et être indifférente à la politique?
C’est sûr que la politique fait partie de mon héritage, et qu’avec les années, je me sens de plus en plus concernée par certains sujets, comme la violence envers les femmes par exemple. Mon frère et moi avons toujours été traités comme des adultes dans la famille, on nous a toujours expliqué ce qui se passait, tout en nous laissant le choix de nos vies. Moi j’ai choisi d’écrire, et je ne compte pas m’engager au sein d’un gouvernement ou d’un parlement, même si mes liens familiaux m’y donneraient accès. Pour s’engager dans un parti, il faut croire en l’action gouvernementale et avoir une marge de manœuvre pour agir, ce qui n’est malheureusement pas le cas au Pakistan. Écrire est pour moi une façon de témoigner de ce que je vois. Et j’assume que ce soit politique. Je dis ce que je veux et je tiens à cette liberté.
Es-tu optimiste pour ton pays?
Je n’ai jamais cru et ne croirai jamais au pouvoir politique. Mais je suis optimiste quand je vois les gens autour de moi. Ils s’en sortent et adoptent des nouveaux modes de vie. La société s’adapte constamment.
Propos recueillis par Myriam Levain
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