C’est demain que commence la saison 2 de Dix pour cent sur France 2, qui nous dévoile les coulisses du cinéma français à travers les yeux d’une bande d’agents d’acteurs. Rencontre avec Fanny Herrero, le cerveau de cette fiction frenchie.
Fanny Herrero est la personne que rêvent d’interviewer les journalistes fainéants et/ou fatigués: à chaque fois qu’elle répond à une question, elle anticipe sans le savoir sur la question d’après, voire sur les cinq questions suivantes, nous épargnant de faire une partie de notre boulot. On sent que, dans sa tête, ça va vite, ce qui explique sans doute que “brillante” soit le qualificatif qui revient le plus souvent quand on entend parler d’elle. Ce qui explique surtout que la série dont elle dirige l’écriture, Dix pour cent, ait fait un carton l’année dernière sur France 2 et soit l’événement télé le plus attendu de ce printemps. Emmenée par Camille Cottin, qui y incarne une agent d’acteurs ambitieuse, Dix pour cent (Ndlr: c’est le montant de la commission que touchent les impresarios) décrit avec finesse la vie parisienne et le monde du cinéma, dont on ne sait lequel est le plus impitoyable.
À la veille de la diffusion des premiers épisodes de la saison 2, l’auteure de 42 ans confie qu’elle ressent “un mélange de grande excitation et de grande fébrilité”. Fébrilité car cette perfectionniste voit autant les défauts que les réussites de sa fiction, excitation car l’heure est venue de partager son travail et celui de son équipe avec les téléspectateurs. “On est contents de transmettre tout ce qu’on a fait, on a envie que ça se déploie, que les gens se marrent en regardant la série.” Au fil de cette saison, on découvrira les aventures de guests tels que Virginie Efira, Ramzy Bedia, Isabelle Adjani et Juliette Binoche. Avec toujours en arrière-plan une réflexion sur les relations entre hommes et femmes et sur la place de tout le monde dans la société. “Je ne sais pas si ma série est féministe, mais moi je le suis”, assume avec un grand sourire Fanny Herrero, qui est fière de proposer “une petite musique” un peu différente à la télévision.
“La fiction sert à montrer les choses comme on voudrait qu’elles soient.”
Cette ancienne étudiante en lettres, passée par une hypokhâgne et diplômée de Sciences Po Paris, n’a pas tout de suite bossé comme auteure. C’est en étant comédienne qu’elle découvre le plaisir d’écrire de la fiction télé. En 2007, elle se lance et rejoint le SAS, collectif de scénaristes dont elle est toujours membre. Ses séries cultes? “À la Maison Blanche pour la rapidité et la spiritualité, Sex and the City pour la vision juste des femmes, l’humour et la charge érotique, et Friday Night Lights pour l’empathie avec les personnages.” En 2010, elle rejoint l’équipe de Dix pour cent dont elle finit par devenir chef d’écriture et directrice de collection, avec le succès que l’on sait. Une troisième saison est d’ailleurs déjà signée. La guest dont elle rêve? “Pourquoi pas une personnalité ayant une stature internationale? Ça pourrait être Natalie Portman, qui connaît Paris et parle français par exemple!” Natalie, si tu nous lis…
Avoir une héroïne femme, jeune et lesbienne en prime time à la télé, c’était un pari?
Oui, mais l’idée n’était pas de moi. Quand je suis arrivée sur le projet initié par Dominique Besnehard et Nicolas Mercier, le personnage d’Andrea -que joue Camille Cottin- existait déjà et était inspiré d’une femme agent réelle. Ce qui a été une évidence pour nous tous, c’est qu’elle ne serait pas une lesbienne “au placard” et que son homosexualité ne serait jamais un problème: on est en 2017! D’ailleurs, dans la série, certaines scènes se déroulent sans doute en 2027, on a un petit temps d’avance: ça sert aussi à ça la fiction, montrer les choses comme on voudrait qu’elles soient.
Peut-on dire que ce sont les femmes qui ont le pouvoir dans la série?
Oui et non. Les personnages féminins ont de l’ambition et, de façon générale, ont une vie plus pleine que leur seul foyer. Mais, avec mon équipe de scénaristes, on a voulu brouiller toutes les frontières classiques du masculin/féminin: les victimes et les fragilités sont partout, et tout le monde croit en l’amour. Dans cette saison, ce sont d’ailleurs plutôt les hommes qui partent à la conquête du grand amour.
La vie parisienne vue par des personnages provinciaux à l’assaut de la capitale, c’est du vécu?
Il y a beaucoup de ma propre expérience dans le personnage de Camille, joué par Fanny Sidney. Son sud natal lui manque, sa mère aussi: je me suis inspirée de ma propre mère, de mes tantes et de ma grand-mère pour écrire le rôle de sa maman. À l’inverse, Andrea fait un rejet total de ses origines, elle a besoin de s’extirper d’un milieu qui ne la comprend pas, tout comme Hicham, un nouveau venu de la saison 2. J’admire beaucoup les gens qui, comme eux, se construisent seuls. Moi, quand je suis arrivée à Paris, j’avais eu la chance d’avoir un bagage transmis par mes parents, mais j’ai quand même eu le sentiment qu’un monde s’ouvrait à moi, j’ai aussi eu envie de tout dévorer.
L’industrie du cinéma, dont tu décris si bien les coulisses, est-elle encore aussi sexiste qu’on le dit?
Ce qui me frappe, c’est à quel point le milieu se féminise, particulièrement dans le scénario, et à quel point les postes décisionnaires restent majoritairement occupés par des hommes. La réalisation, les festivals, les budgets restent des domaines très masculins. Mais ça bouge, les actrices hollywoodiennes, par exemple, commencent à se rebeller.
Le fait que, dans ton équipe, il y ait quatre auteures femmes pour un homme change-t-il le rapport aux personnages?
Oui, sûrement. En tout cas, le fait que je sois décisionnaire sur Dix pour cent m’a permis d’imposer certaines représentations qui me semblent plus intéressantes pour les femmes: elles ne sont pas des faire-valoir obsédées par les intrigues romantiques, et elles n’ont pas dix ans de moins que leur partenaire masculin. Dans Dix pour cent, c’était important pour moi que Mathias, quinquagénaire, ait une femme de son âge. Il m’est souvent arrivé de voir des comédiennes jouer des rôles que j’avais écrits alors qu’elles avaient quinze ans de moins que le personnage.
“J’envie les hommes, qui pour une cérémonie, peuvent enfiler un smoking et ne plus penser à leurs vêtements!”
Dirais-tu que Dix pour cent est une série féministe?
Moi, je le suis, en tout cas. Et les thèmes abordés le sont aussi. Quand on parle du diktat de la chirurgie esthétique imposé aux actrices ou de la pression qu’elles subissent sur leur tenue, c’est une façon de faire prendre conscience des inégalités dans ce domaine. Si les femmes ne parlent pas de l’inconfort que créent les talons, comment les hommes peuvent-ils se rendre compte que ce n’est pas une évidence d’en porter? J’envie d’ailleurs les hommes, qui pour une cérémonie, peuvent enfiler un smoking et ne plus penser à leurs vêtements!
Les scénaristes français auront-ils un jour la même aura qu’aux États-Unis?
En France, la réalisation reste reine, même si les séries ont fait beaucoup de bien aux scénaristes. On commence à comprendre qu’ils ont une vision très générale de l’œuvre, de sa construction, des intrigues, des personnages. En tant que chef d’écriture de Dix pour cent, j’ai pu intervenir sur le tournage et sur toutes les étapes-clés de décision, mais c’est assez exceptionnel. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui pourraient me donner envie de passer à la réalisation un jour: ça me frustre beaucoup de déléguer la direction d’acteur à quelqu’un d’autre.
Tu te verrais faire du cinéma un jour?
Je suis très télé et j’y suis bien pour l’instant. Mais c’est vrai qu’avoir plus de temps, des budgets plus importants et des projets plus fouillés, ça fait envie! En attendant, Dix pour cent, c’est un peu la revanche des séries sur le cinéma: c’est la télé qui regarde le cinéma.
Propos recueillis par Myriam Levain