Ateliers de tendresse, application dédiée aux câlins, “hug bar”, les offres pour pallier le manque d’affection se multiplient. Très en vogue au Japon, en pleine expansion aux États-Unis, le marché du câlin reste plus hésitant en France.
Lumières tamisées, musique douce et matelas disposés en vrac, les corps s’enlacent dans un silence propice à la confidence. Nous ne sommes pas dans une maison close, mais dans un atelier câlin du 12ème arrondissement de Paris. Après une heure et demie d’exercices pour mieux appréhender son corps par la danse, le mouvement et le toucher, on entame la séance de câlins. Chacun choisit un partenaire et c’est parti pour une demi-heure de tendresse. “Les gens ne se touchent plus, ils sont tous scotchés à leur téléphone dans les transports, ne se regardent même plus dans les yeux”, me confie Reza*, allongé à mes côtés. Ici, les portables restent dans les sacs à l’entrée. On laisse de côté les nouvelles technologies et on réapprend à communiquer par le corps. Alors que l’époque est à l’individualisme, le marché du câlin pourrait-il se tailler une place de choix en France?
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20 euros la séance de câlins
Une formation de psychologie corporelle en poche, Éric Da Costa a créé les ateliers câlins à Paris et à Montpellier en novembre 2013. Il aimerait étendre le concept, en faire une marque pour que d’autres prennent le relais. Mais à vingt euros la séance de trois heures, on est loin du business juteux.
“Les gens sont de plus en plus reliés virtuellement et de plus en plus seuls physiquement.”
Et quand on lui demande pourquoi il s’est lancé dans ces ateliers, il prend l’exemple de ces couples qui ne se touchent plus, ne se parlent plus, et gardent leur smartphone sur la table quand ils dînent. Selon lui, les nouvelles technologies ne sont pas responsables de cette distance, mais l’exacerbent: “C’est un échappatoire à la présence.” Selon Patricia Delahaie, sociologue spécialiste des interactions sociales, “les gens sont de plus en plus reliés virtuellement et de plus en plus seuls physiquement”. Elle s’étonne que des personnes partageant le même bureau s’envoient des mails, alors qu’elles sont à côté l’une de l’autre. Pour elle, “ces ateliers sont des prétextes à la rencontre, les gens en ont besoin car l’homme est fait de contact charnel”.
Éric Da Costa l’assure, ces réunions ne sont ni des clubs de rencontres, ni des cours de préliminaires sexuels. Les participants confirment. Nicolas*, 38 ans, consultant informatique, n’a rien d’un désespéré en manque d’affection: “Quand on partage une accolade avec un inconnu, c’est différent d’avec un ami. On fait le geste pour le geste, sans histoire autour. Ça oblige à plus d’ouverture, et à prendre davantage conscience de son corps et du corps de l’autre.” Rien de sexuel dans tout ça. Je t’aime moi non plus, de Gainsbourg, fait toutefois partie de la compil’ de l’atelier.
Le câlin comptabilise 431 370 likes sur sa page Facebook, presque autant que Nabilla.
Depuis l’engouement des free hugs en 2004, le câlin a la cote. Ce dernier comptabilise 431 370 likes sur sa page Facebook, soit presque autant que Nabilla. Preuve de l’ampleur du phénomène, dans un tout autre style: 20 000 personnes se sont déplacées à Pontoise en novembre dernier et ont attendu des heures avant de se blottir dans les bras de la spirituelle Amma, grande figure indienne. Mais là encore, rien de lucratif. Tout l’argent récolté grâce aux stands de restauration et de vêtements est reversé au collectif d’associations Embracing the World.
Capture d’écran de l’application Cuddlr
Bar à câlins
À Tokyo, le câlin se joue à un autre niveau qu’en France. Au Soineya Cuddle Café, un bar à câlins ouvert en septembre 2012, comptez 7 euros pour dormir dans les bras d’une jeune fille pendant trois minutes, idem pour se faire caresser le dos ou encore se regarder dans les yeux pendant une minute. Pas donné, mais le succès est tel que le propriétaire pense à déménager pour pouvoir accueillir davantage de clients. Le Gorafi, qui publiait en juillet 2012 -soit deux mois avant l’ouverture du premier bar à câlins- un article sur des “free hugs” payants, aura donc été visionnaire.
Au Japon, comme en France d’ailleurs, 50% des jeunes entre 18 et 34 ans sont célibataires. Une génération conditionnée par la réalité virtuelle. Dans ce pays vieillissant où les gens ne s’engagent plus, ne font plus d’enfants, le manque affectif est fort. Aux États-Unis, le business du câlin est également florissant: en octobre 2013, un bar a ouvert dans le Wisconsin sur le même modèle. Et malgré les critiques des élus locaux qui l’assimilent à une maison close, la Snuggle House se porte bien. Les Américains ont même lancé une application dédiée au câlin, disponible en France: Cuddlr géolocalise les câlineurs et les met en contact. Il suffit de s’inscrire, de mettre une photo de profil et d’attendre ou de lancer des “cuddle request”.
Reportage de BFM TV sur un bar à câlins aux États-Unis
Culture latine et proximité
Les bars à câlins n’existent pas (encore) en France. D’après Patricia Delahaye, le concept pourrait bien s’exporter: “À partir du moment où la valeur amour croît, le business de la tendresse est renforcé.” Certains trentenaires et étudiants français souffrent d’une grande solitude, qui s’explique en partie par la mobilité due aux études. Autant de clients potentiels sur le marché de la tendresse. Sauf que nous ne sommes pas dans la même configuration qu’au Japon ou aux États-Unis: “Nous baignons dans une culture latine, on se fait la bise entre femmes et entre hommes, les accolades, ça étonne toujours les étrangers, analyse la sociologue. Au Japon, les rapports humains sont plus codifiés, plus distants. Aux États-Unis, la culture hygiéniste creuse le fossé, les gens ne se touchent pas, ils passent du temps dans leur voiture et prennent peu les transports en commun. Il y a plus d’espace qu’en France, donc les gens se croisent moins, les restaurants sont plus grands, il y a moins de proximité.”
“Dans un bar à câlins, il y a le client et le vendeur de tendresse. Comment appelle-t-on cela? De la prostitution.”
À la simple évocation de ces bars, Éric Da Costa, le fondateur des ateliers, grimace: “C’est de la marchandisation de l’intime!” Isabelle*, 42 ans, est du même avis. Adepte du concept des ateliers auxquels elle participe pour la deuxième fois, elle assure qu’elle ne mettrait jamais les pieds dans un bar à câlins: “Dans les ateliers, tous les participants veulent la même chose et il n’y a pas de transaction entre eux, dans un bar à câlins, il y a le client et le vendeur de tendresse. Comment appelle-t-on cela? De la prostitution.”
Sur l’application Cuddlr, les profils semblent errer, faux, figés, comme en phase de test. Dans le 12ème arrondissement de Paris, il semble que personne n’ait envie d’un câlin. Sur la page Facebook de l’application, seulement 275 likes. 4400 personnes ont téléchargé l’appli. Pas de quoi faire du câlin un business pour le moment.
Mathilde Gaudéchoux
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