La culture et la jeunesse comme armes d’innovation massive : c’est le projet du sixième forum European Lab pour redonner un nouveau souffle à un continent désenchanté. Rendez-vous du 4 au 6 mai au cœur du quartier Confluence à Lyon.
En intitulant la sixième édition de son forum “Europe de la culture : année zéro”, l’équipe de European Lab porte un diagnostic inquiet sur la crise que traverse aujourd’hui le vieux continent. Mais plutôt que de s’en plaindre ou de ressasser ses angoisses, mieux vaut en prendre la mesure en invitant à repenser la nécessité d’une politique culturelle européenne comme arme de résistance.
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Moins pour postuler naïvement que la culture sauvera seule l’Europe des périls qui la guettent que pour suggérer qu’elle contribue déjà, par des voies parallèles, à consolider l’idée européenne, en dépit de la montée des populismes et des replis nationaux.
“Qu’est-ce qui fait notre lien ? Que partageons-nous ?”
“Seules la culture et la jeunesse peuvent désormais sauver l’Europe à un moment dramatique où les médias prophétisent quotidiennement sa disparition”, estime Vincent Carry, directeur d’Arty Farty, association organisatrice du forum European Lab.
“Qu’est-ce qui fait notre lien ? Que partageons-nous ? L’Amérique s’est construite avec les Doors, Batman, Jim Harrison et Tarantino. Nous, nous avons voulu bâtir l’Europe avec des traités européens imbitables et des tableaux Excel, tout en confiant les pleins pouvoirs à la finance.”
“Un autre point de vue et une autre expérience de l’Europe”
“On voit le résultat : c’est le dérèglement démocratique, social, écologique. Et surtout la grosse panne de désir. L’échec est extrêmement lourd. Aujourd’hui, il faut nous imposer et dire que l’Europe, c’est cette génération d’acteurs culturels, de citoyens, d’entrepreneurs et de nouveaux médias qui ont un autre point de vue et une autre expérience de l’Europe et de cette crise, parce qu’ils sont nés avec les deux !”
“Et bien sûr, la diversité des cultures et des jeunesses européennes sont des ressources inouïes pour lutter contre les populismes, résister au déclinisme, retrouver une envie d’Europe, redonner du sens au projet européen.”
“Le défi pour notre génération est énorme”
Le projet European Lab repose depuis sa fondation sur cette idée directrice : donner la parole à une nouvelle génération d’acteurs européens qui mettent en pratique “les modèles culturels de demain”, sur d’autres voies que la route usée des cultures institutionnelles et l’autoroute des “nouveaux panzers capitalistiques” contrôlant des pans entiers du secteur.
La révolution numérique, l’indépendance de la création et les nouveaux médias sont au cœur de ces forums d’idées annuels, où l’on veille encore cette année à “l’émergence, à l’innovation culturelle et artistique, et à l’évolution des politiques publiques au sein de l’Union européenne”.
Pour Vincent Carry, l’édition 2016, soutenue par la Métropole de Lyon, est donc plus que jamais indexée à “une désagrégation civique et politique. Si nous ne parvenons pas à endiguer cette poussée des populismes européens, alors tout sera emporté, estime-t-il. Le défi pour notre génération est énorme et nous avons clairement le sentiment que nous allons devoir régler une addition dont nous ne sommes pas responsables.”
“Rompre la spirale de la fatalité, du renoncement, de la lassitude”
Or, il est encore largement temps d’agir et de “sortir de l’apathie”, comme le revendiqueront les nombreux intervenants au forum qui tous, dans des champs d’intervention divers, déploient une énergie constructive et se mesurent avec succès à la transition numérique ou à la notion de maillage et de réseaux.
“L’idée de ‘l’année zéro’, c’est donc celle d’une nouvelle ère, celle de la reconquête démocratique, en réfléchissant à l’arme que constitue le bien commun de la culture, insiste Vincent Carry. Rompre la spirale de la fatalité, du renoncement, de la lassitude. Rassembler une génération d’acteurs et retrouver ensemble du désir et de l’espoir.”
Le budget de la culture au niveau européen reste malheureusement très insuffisant. Dans la plupart des pays européens, les ministères et les collectivités locales ne font que gérer le patrimoine et maintenir à flot une politique culturelle ultra-institutionnelle.
“Une ambition culturelle qui soit un début de réponse aux crises sociales”
Ces choix “assèchent les territoires, hiérarchisent et verticalisent la culture dans un top-down du XIXe siècle, interdisent tout redéploiement d’une ambition culturelle qui soit un début de réponse aux crises sociales et démocratiques que nous connaissons”.
“Les politiques culturelles entérinent sciemment un phénomène de nécrose”
La philosophie de European Lab est née du refus de cet état de fait. “Le message de la culture institutionnelle c’est : ‘en avant comme avant !’ En niant les projets et la culture d’aujourd’hui, en refusant d’investir dans ce qui fera notre culture de demain, les politiques culturelles entérinent sciemment un phénomène de nécrose.”
“Ce que nous avons compris dans le domaine de l’économie – la logique de l’incubation, de l’essaimage –, nos politiques sont incapables d’en voir la nécessité dans le champ culturel. Pourtant, penser l’avenir de notre ADN, dont la culture est un élément tellement structurant, c’est une question de survie.”
“La culture est le seul espace de partage dans lequel nous pouvons retrouver un lien fort”
Parce que les équipes de European Lab ont la conviction qu’en valeur absolue, “il ne faudrait pas beaucoup d’argent pour donner un souffle énorme” et que, surtout, “la culture est le seul espace de partage dans lequel nous pouvons retrouver un lien fort, à peu de frais”, elles estiment que nous n’avons jamais eu autant besoin qu’aujourd’hui de politique – comme le mouvement Nuit debout en est à sa manière un indice éclairant.
“Notre société ne se désagrège pas du fait de son excès de politique, mais de son absence”, avance Vincent Carry. Plus que jamais en 2016, il importe de défendre cet espace des cultures indépendantes, “non institutionnelles mais bâties dans le respect de l’intérêt général, entrepreneuriales sans avoir la vocation de servir des actionnaires”.
Ces modèles indépendants se structurent tant bien que mal partout grâce à cette nouvelle génération culturelle, moins sacrifiée que sacrificielle, qui s’accommode de sa fragilité financière par nécessité. Une génération pour qui la culture aujourd’hui en Europe sert, plus que tout, “à vivre ensemble, à garder l’espoir et à être heureux”.
Programme complet sur europeanlab.com
Cette sixième édition s’inscrit dans le cadre du projet territorial Lyon Confluence
Transition numérique
Les effets cumulés de la révolution numérique et de la crise des journaux n’en finissent pas de bousculer les codes et les règles d’un paysage médiatique sens dessus dessous. L’un des analystes les plus critiques de cette révolution, le chercheur biélorusse Evgeny Morozov, auteur l’an dernier d’un essai remarqué, Le Mirage numérique – Pour une politique des big data, estime que l’internet d’aujourd’hui est la nouvelle frontière du néolibéralisme et que la Silicon Valley – où prospèrent Google, Facebook, Apple, IBM –, abrite un projet politique impérialiste. Morozov viendra présenter sa vision inquiète du “solutionnisme idéologique” et plaider pour une politique mondiale et progressiste des big data (le mercredi 4 mai).
A cette critique technophobe radicale, d’autres chercheurs, comme Milad Doueihi et Dominique Cardon, apporteront un contrepoint nuancé, en réfléchissant notamment à la possibilité d’un nouvel “humanisme numérique” et en diagnostiquant nos vies à l’heure des big data. Penser l’avenir des sociétés numériques avec les outils des sciences humaines : un enjeu primordial (“Pour un humanisme numérique”, le mercredi 4 mai).
La révolution numérique conditionne enfin le sort de la presse traditionnelle, de plus en plus soumise à la raréfaction de ses ressources dans tous les pays européens, même en Grande-Bretagne où le grand quotidien The Independent vient de disparaître sous sa forme papier. Des journalistes s’interrogeront sur la construction, espérée par beaucoup, de nouveaux médias européens de service public. Outre la possibilité de réactiver le projet d’une presse de qualité, cet horizon pourrait aussi constituer une alternative citoyenne à la crise du modèle social et politique européen (“Pour une presse publique européenne”, le jeudi 5 mai).
Quant à la journaliste de WikiLeaks, Sarah Harrison, connue pour avoir accompagné le lanceur d’alerte de la NSA Edward Snowden à Hong Kong lors de sa fuite, elle exposera sa connaissance de la liberté d’information et de la surveillance (“Lanceurs d’alerte et nouvelles formes de militantisme”, le vendredi 6 mai).
Démocratie & engagement
Comment affronter la crise démocratique européenne concrétisée par la montée des populismes dans la majorité des pays, par l’impossibilité de faire face de manière commune et solidaire à l’afflux des réfugiés ou à la dette grecque ? Sans parler de l’exil fiscal, auquel des dirigeants européens se livrent directement, du Britannique David Cameron à l’Islandais Sigurdur Ingi Jóhannsson, forcé de démissionner après la révélation des Panama papers. La députée Birgitta Jónsdóttir, membre du Parti pirate islandais, viendra au forum au bon moment pour présenter les contours d’une contre-révolution démocratique attendue et nécessaire (le mercredi 4 mai).
Aux impasses du système représentatif s’opposent partout en Europe des pratiques politiques parallèles qui cherchent à réinventer des manières de réfléchir ensemble. Un horizon progressiste se profile dans les marges du jeu politique officiel et déficient dont les citoyens se détachent de plus en plus. Un certain “art de la révolte” se profile, en écho aux actions de plus en plus courantes des lanceurs d’alerte, des mouvements de désobéissance civile qui, des ZAD à la place de la République à Paris, voudraient rester des nuits entières debout.
Le sociologue Geoffroy de Lagasnerie, engagé dans le débat public, auteur d’une tribune avec Edouard Louis, “Intellectuels de gauche, réengagez-vous”, présentera ses idées pour sortir enfin de l’impuissance politique qui plombe les espaces publics européens depuis trente ans (le vendredi 6 mai).
Emergence culturelle
Saisir les pratiques artistiques hors des circuits dominants est aussi un pari qui mobilisera plusieurs intervenants. Auteur d’essais marquants sur la pop culture, dont le célèbre Rétromania qui analyse “comment la culture recycle son passé pour s’inventer un futur”, le journaliste musical Simon Reynolds disposera d’une carte blanche pour dessiner le futur de la pop culture : il réexaminera la vogue du vintage depuis la fin des années 2000, pour esquisser un nouveau modèle hybride (le jeudi 5 mai).
Une conférence sur le queer (“De la sociologie à la scène, simple phénomène de mode ou révolution culturelle ?”) abordera les effets dans le spectacle vivant et le champ artistique des gender studies depuis une vingtaine d’années. Peut-on, suite à l’héritage sociologique de Judith Butler, auteur de Trouble dans le genre, parler de révolution culturelle radicale avec le queer ? (le jeudi 5 mai).
La culture vivante d’aujourd’hui, c’est aussi l’émergence d’artistes dans certains pays méditerranéens. Dès les années 1990, des villes comme Beyrouth ou Tunis ont vu émerger des scènes musicales pop et hip-hop vibrantes ; depuis le printemps arabe, un courant electro électrise les contre-allées du Caire. Avec la conférence “Artistes et militantes : le nouvel underground des mondes arabes”, le forum donne la parole à quelques représentants de cette nouvelle génération d’artistes arabes dont le goût de l’underground s’affirme comme un signe de résistance à un ordre politique encore autoritaire (le vendredi 6 mai).
Nuits sonores et European Lab offrent aussi une carte blanche à Séoul, capitale de la Corée du Sud en pleine effervescence artistique : une vingtaine d’acteurs culturels y présenteront leur travail dans des champs aussi divers que la musique, le cinéma, la food culture, la robotique ou la scénographie.
Prospective & confiance
“La culture n’a pas d’avenir, elle a un futur !” : quatre auteurs de science-fiction imaginent de quoi la culture sera faite en 2040, dans un exercice ludique de prospective s’appuyant sur une réflexion documentée. Le collectif Zanzibar, conduit par Alain Damasio, Catherine Dufour, Norbert Merjagnan et David Calvo, tient à restituer, sous forme de performance et de conférence à la fois, “le jus d’une culture qui se métamorphose, partout” et se propose de “tracer des pistes poétiques et politiques pour les pratiques artistiques de demain”.
Pour l’auteur de SF Alain Damasio (La Horde du contrevent), “les nouvelles formes d’engagement sont plus intelligentes et s’hybrident naturellement avec les technos. Elles sont plus viscéralement démocratiques parce que plus personne ne supporte leaders ou chefs, hiérarchie ou mots d’ordre”. Cette confiance sur ce qui nous attend, “même si le fascisme tranquille ou excité, les réactionnaires bavards et la trouille comme seul horizon vont nous polluer encore longtemps l’atmosphère”, tient pour Damasio à l’émergence de très beaux mouvements qui pointent aujourd’hui et “qui finiront par l’emporter. Le nihilisme n’est jamais qu’un moment, la vie l’emporte toujours”, prophétise l’auteur. Le “no future” vivrait-il enfin ses derniers jours pour laisser entrevoir un avenir dans lequel chacun puisse se projeter sans s’angoisser ? (le vendredi 6 mai).
Et la musique dans tout ça ?
Comme chaque année, le festival Nuits sonores défriche tout en invitant des têtes d’affiche incontournables. En journée, ces dernières prennent le contrôle de La Sucrière, la belle warehouse du quartier Confluence : c’est Motor City Drum Ensemble (le 5), Laurent Garnier (le 6) et Seth Troxler (le 7) qui se chargeront de l’ambiance, entourés de leurs amis.
Après le coucher du soleil, du 4 au 7, le programme continue et devient plus massif encore. Pendant quatre nuits, dans l’Ancien Marché de gros et les salles de Lyon (la traditionnelle Nuit 2, le 5 mai), on pourra notamment voir Peaches, A-Wa, Unforeseen Alliance, Pantha Du Prince, Dixon, Matias Aguayo, Ron Morelli, Moderat, Bambounou, Mbongwana Star, Konono n° 1 ou encore The Hacker. L’Ancien Marché de gros accueillera aussi Mogwai et son Atomic, à la fois album et œuvre visuelle (le 8).
Et, en bonus, comme tous les ans, une carte blanche donnée à la scène d’une ville émergente. Cette année, après Varsovie, Bruxelles, Tokyo ou encore Glasgow, direction Séoul – sans bouger de Lyon. Maxime de Abreu
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