Dédiée au photojournalisme, la jeune revue en ligne Epic Stories a un objectif simple: voir s’afficher sur les murs de nos intérieurs des photos d’information. Rencontre avec son cofondateur, Jean-Matthieu Gautier.
Une photo, c’est une histoire. Pour Jean-Matthieu Gautier, photoreporter et cofondateur de la revue et galerie en ligne Epic Stories, elle est essentielle. Des intempéries à Tokyo aux coulisses de la Fashion week de Paris, des conséquences du séisme à Haïti aux bidonvilles de Manille, Epic Stories expose des mini-séries de 10 à 20 clichés de professionnels, associés à leurs textes narratifs. “Dans les médias, les photoreporters ont assez peu l’occasion de parler de leur travail, justifie-t-il. Leur donner la parole nous a semblé cohérent pour qu’ils racontent eux-mêmes ce qu’ils ont vu et expliquent leurs choix.”
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Les coulisses de l’image
Des choix parfois étonnants comme celui de Rafael Yaghobzadeh, qui, quatre fois par an, vit au rythme intensif des défilés de mode alors qu’il couvre d’ordinaire les conflits et l’actualité internationale. Dans sa série intitulée Fashion, il nous livre la réponse. “La Fashion week est pour moi un moment léger, presque un moment de détente au milieu d’événements plus graves où l’on voit véritablement l’histoire s’écrire avec un grand H.”
“Pourquoi une image est-elle retenue? Pourquoi le photographe décide-t-il de couvrir l’événement?”
Cette volonté de comprendre ce qui se passe derrière l’image, les faits, le contexte ou l’ambiance d’un événement n’est pas sans rappeler Making-of, la plateforme collective de l’AFP sur les coulisses de l’information. “Ce que j’aime dans leur démarche, poursuit Jean-Matthieu Gautier, ce sont ces questions: pourquoi une image est-elle retenue? Pourquoi le photographe décide-t-il de couvrir l’événement?”
En parcourant les clichés et le journal de bord de Corentin Fohlen, parti plusieurs fois en Haïti après le séisme de 2010, ces mêmes questions nous viennent à l’esprit. Son texte est autant une réflexion sur son métier que l’expression de son état d’esprit lors de ses différents voyages sur l’île.
Repenser l’économie de la presse
C’est en janvier dernier que Jean-Matthieu Gautier et ses deux associés ont lancé Epic Stories, mais pour comprendre l’origine de cette plateforme transmedia, il faut revenir un an en arrière. “L’idée m’est venue à la lecture du manifeste de la revue XXI”, se souvient-il. À l’occasion de ses cinq ans, le 10 janvier 2013, le mook publiait un texte intitulé Pour un autre journalisme: un “journalisme utile” et sans publicité.
Epic Stories propose de prendre son temps pour apprécier l’histoire d’une photo.
Il était question de repenser l’information, l’économie de la presse, sur papier et en ligne, mais aussi de se recentrer sur le lecteur. “Cette façon d’appréhender l’actualité m’a plu”, confie le jeune homme. Epic Stories s’inscrit donc dans une mouvance plus lente, et propose de prendre son temps pour apprécier l’histoire d’une photo. En somme, du photojournalisme “slow news”.
Pourtant, à la lecture du manifeste, “le constat était sévère”, analyse Jean-Matthieu Gautier. Pour la presse en ligne, deux modèles prévalaient: la publicité ou les abonnements. “Nous ne voulions pas de publicité, et sachant que les gens s’abonnent généralement aux médias qu’ils connaissent bien, il a fallu trouver autre chose.” Le trio fonde alors son modèle économique sur la vente des tirages -numérotés- via sa galerie en ligne.
De l’info en déco
Proposer les clichés à des prix abordables, à l’unité ou en série, c’est l’objectif qu’ils se sont fixé pour toucher un public large, voire plutôt jeune. “La photo d’information a un potentiel décoratif, je me suis dit qu’elle avait sa place sur les murs d’un salon. De même, plutôt qu’être simplement esthétique, une photo de salon peut être informative. On se rapproche d’une tendance actuelle: la décoration éthique.” Mais toutes les photos de reportage ont-elles leur place sur nos murs? La photographie ainsi exposée ne s’éloigne-t-elle pas de son objectif premier d’informer?
Pour son fondateur, Epic Stories permet de financer de l’information par la vente de tirages. “On ne révolutionne rien, assure-t-il, on est simplement un nouveau diffuseur et une source de revenus supplémentaires pour les photoreporters”. Et un moyen d’amener en douceur de l’information dans notre sphère privée.
Aude Lambert
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