Daisy Tarrier a monté l’ONG Envol Vert pour travailler à la reforestation mais aussi au développement économique de régions d’Amérique Latine en zone tropicale. Et malheureusement, elle n’est pas très optimiste sur ce qui nous attend.
Triste coïncidence, nous rencontrons Daisy Tarrier alors que des feux ravagent la forêt amazonienne du Brésil depuis plusieurs semaines. Le rendez-vous avait été calé depuis un certain temps avec la fondatrice de l’ONG Envol Vert, dont l’une des actions principales est justement la reforestation. Si elle vit maintenant en Colombie, dans un petit village d’escaladeurs au Nord de Bogota, Daisy Tarrier a commencé sa vie professionnelle à Paris après avoir suivi des études de communication. “J’ai passé plusieurs années au World Wildlife Fund (WWF) à gérer les partenariats avec les entreprises, raconte-t-elle. Puis, entre mon divorce et le sentiment d’étouffer dans ma vie en général, je suis partie.” À 32 ans, elle s’envole d’abord pour le Pérou où elle devient volontaire pendant six mois dans une communauté, puis elle voyage quelque temps en Équateur. “Pendant ce voyage, l’entreprise qui avait financé mon volontariat au Pérou m’a demandé de lui trouver des projets à financer en direct. Je n’avais rien à leur proposer mais je me suis dit que j’allais chercher des idées de projets à financer pour des entreprises qui voulaient investir socialement.”
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C’est à ce moment-là qu’elle fonde avec un ami l’association Envol Vert, début 2011. Daisy Tarrier est rentrée à Paris et tente alors de mettre en relation des entreprises et des projets environnementaux locaux entre le Pérou, la Colombie et l’Équateur: “On était complètement naïfs! Ça n’a pas du tout marché, rit-elle. Mais cet échec ne nous a pas arrêtés et nous a poussés vers l’innovation et l’inventivité.” À défaut d’envoyer des financements aux projets qu’Envol Vert souhaite soutenir, ils décident d’envoyer des volontaires. Des jeunes, et des moins jeunes, Français et Colombiens, partent sur le terrain afin d’offrir leur aide technique mais aussi intellectuelle. Puis en 2013, une PME bordelaise, Ariane Construction, décide de monter un partenariat social avec Envol Vert: pour chaque maison vendue, 50 arbres seront plantés par l’ONG. “C’était une première pour nous et on s’est rendu compte que pour les commerciaux d’Ariane, c’était un réel argument de vente”, explique la tout juste quadragénaire.
“Notre idée est de sensibiliser les gens sur le lien entre leur mode de consommation et l’impact de celui-ci sur la forêt.”
Peu à peu, des fonds commencent à entrer dans les caisses pour acheter du matériel et intervenir de façon concrète sur les projets. En 2014, Envol Vert prend encore un nouvel essor et monte son premier programme en interne dans le département colombien de l’Atlántico sur la côte caraïbe: “C’est un projet d’agroforesterie qui mélange de la plantation d’arbres, notamment le noyer maya qui est un arbre natif de la région, et la mise en place de cultures autour de ces arbres. Car notre but est aussi d’assurer la souveraineté alimentaire des populations.” C’est à ce moment-là que Daisy décide de s’installer définitivement en Colombie. Aujourd’hui Envol Vert dirige cinq projets en Colombie et trois au Pérou, mais aussi en France, au cœur du Tarn. Interview.
Comment les arbres ont pris cette place dans ta vie?
Mon coup de foudre avec les arbres, je l’ai eu il y a des années en Guadeloupe, lors d’un voyage touristique on ne peut plus banal. Là-bas, j’ai vu des arbres extraordinaires, abondants, riches, pleins de lianes, très verts. Par la suite, je me suis toujours sentie bien en Amérique Latine et lorsque je suis partie au Pérou, je savais que je voulais travailler dans la forêt avec les communautés indiennes. C’était une évidence.
Envol Vert a mis au point le concept d’empreinte forêt. Qu’est-ce que cela signifie?
Notre idée, avec la création de l’empreinte forêt, est de sensibiliser les gens sur le lien entre leur mode de consommation et l’impact de celui-ci sur la forêt. On calcule donc combien chacun d’entre nous “déforeste” d’hectares par an selon nos habitudes. Car si on mange de la viande, si on consomme des objets en cuir ou si on prend l’avion, chacune de ces actions nécessite des matières premières: des hectares de pâturages pour les vaches, des biocarburants pour les avions, de la nourriture pour les volailles. Bref, tout cela requiert de l’espace et cet espace on va le prendre aux forêts. Ce calcul est complémentaire de celui que l’on donne souvent sur la consommation de CO2. Moi je travaille à la protection de la forêt, pas directement sur le changement climatique.
Comment vont les forêts dans le monde?
Elles vont très mal et surtout en zone tropicale. Cette zone se situe entre les tropiques du Cancer et du Capricorne, et on retrouve cette forêt en Amérique Latine, mais aussi en Afrique et en Asie. Aujourd’hui, 75% de la déforestation a lieu en Amazonie, et surtout au Brésil puisque c’est là qu’on trouve les plus grandes étendues. C’est généralement l’élevage, l’huile de palme et le soja qui sont les plus répandus. En Asie aussi, l’huile de palme est très présente et en Afrique, les problèmes de déforestation viennent surtout de la production de café ou de cacao. Il est très important de voir si les accords de libre-échange entre le MERCOSUR et l’Union Européenne vont être signés car cela ouvrirait la porte à encore plus de produits issus de la déforestation.
“L’idée de compensation est problématique car elle n’invite pas au changement de comportement mais au dédouanement de ses actions.”
Il y a un certain engouement à planter des arbres dans le monde entier en ce moment, comme si c’était la solution à de nombreux problèmes et notamment au changement climatique. Qu’en penses-tu?
Pour nous, l’idée de compensation est problématique car elle n’invite pas au changement de comportement mais au dédouanement de ses actions: “J’ai émis tant de CO2 donc je plante des arbres qui récupèreront dans 40 ans mon CO2 gaspillé”. Derrière cette attitude, on évite tout changement de comportement et on se lave les mains de ses actions. Nous, nous proposons de planter des arbres mais dans un cadre très précis, car c’est également important de savoir qui plante ces arbres. D’où notre idée de travailler avec des communautés car ensuite il faut s’en occuper de ces arbres. Et puis surtout, on ne va pas planter des arbres n’importe où et encore moins n’importe quel arbre. On peut s’intéresser par exemple à recréer une biodiversité native dans des zones qui ont été victimes de la déforestation par exemple. Ces espaces vont permettre le retour d’animaux sauvages qui vont pouvoir s’y réfugier ou trouver de la nourriture. Cela n’a rien à voir si l’on plante des arbres tous identiques en rang d’oignons. Planter un arbre, c’est quand même un peu plus compliqué!
La situation est vraiment si grave?
Oui c’est très grave ce qu’il se passe. Ce qu’on essaye de faire, nous, ONG, associations, fondations, c’est de protéger les restes. Faire en sorte que ça dure un petit peu plus longtemps. Je sais qu’on n’aime pas rendre les choses dramatiques car ça paralyse tout le monde et c’est extrêmement anxiogène, mais c’est la vérité. Avec Envol Vert, on fait juste en sorte de protéger un bout de forêt, mais on ne permet surement pas à la forêt de reprendre sa place ou de compenser ce qui est détruit chaque année. Ce sont 13 milliards d’hectares qui sont liquidés tous les ans. Essaie donc d’aller allumer un feu en pleine forêt tropicale, au Brésil par exemple. Avec l’humidité qui y règne, ton feu ne partira jamais! Il faut couper, laisser sécher puis brûler. Ça s’appelle de l’abattis-brûlis et c’est une technique utilisée par les hommes pour nettoyer des terrains avant d’y mettre des cultures. La forêt brésilienne n’a pas pris feu toute seule. Maintenant il va tous falloir qu’on en prenne conscience pour que les choses bougent vraiment.
Propos recueillis par Margot Loizillon, à Bogota.
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