Y a-t-il un homme derrière chaque grande femme? Dans le livre Les Conquérantes, de Christine Clerc, qui retrace le parcours de douze femmes politiques françaises, il apparaît clairement que ces femmes de pouvoir n’auraient pas pu se hisser au sommet sans l’appui de leurs maris. Enquête.
Dans Les Conquérantes (Nil Editions, 2013), la journaliste Christine Clerc retrace le parcours de plusieurs grandes femmes politiques françaises et évoque à travers son récit le dernier tabou qui pèse sur ces guerrières: leur famille, et plus particulièrement leur mari. Anne Hidalgo, Nathalie Kosciusko-Morizet, Christiane Taubira… elles sont au cœur de l’arène médiatico-politique mais doivent gérer en permanence le “poison de la culpabilité” lié à leur absence au sein du foyer. Cette culpabilité pourrait être le talon d’Achille de ces conquérantes, “si brillantes, si arrogantes soient-elles”, mais pourtant elles ne cessent d’avancer, avec ou sans l’appui de leur mari. On s’est donc demandé qui étaient ces “hommes de”, restés dans l’ombre de leurs illustres femmes.
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“Homme de” par la force des choses
L’époux de Simone Veil n’avait pas choisi d’être au second plan, de même que cette dernière n’a pas toujours été la femme politique d’envergure que l’on connaît. Elle a d’abord joué à la parfaite épouse et mère au foyer avant d’obtenir de son mari l’autorisation de reprendre ses études, au bout de dix ans de mariage. Antoine Veil le confesse dans son livre Salut: “Quand nous nous sommes mariés […] priorité fut tout naturellement donnée à l’insertion professionnelle de celui qu’on appelait encore ‘chef de famille’”.
Simone Veil a finalement réussi à avoir la carrière dont son mari, haut fonctionnaire, aurait rêvé.
Une fois ses études terminées, Simone Veil devient magistrate et entre à l’administration pénitentiaire avant de devenir le “seul homme du Gouvernement”, comme le disait Pierre Mauroy, et une figure emblématique de la conquête des droits des femmes. Fille d’un macho et d’une mère qui souffrait de sa dépendance matérielle, mariée à 19 ans à un homme plutôt traditionnel, Simone Veil a finalement réussi à avoir la carrière dont son mari, haut fonctionnaire, aurait rêvé… et “mieux encore, elle sera parvenue à le faire changer!” se réjouit Christine Clerc.
“Homme de” par dépit
“Homme de” par dépit, c’est ce qui est arrivé au mari de Christiane Taubira. A force de réfréner son ambition personnelle, Roland Delannon finira par faire payer à sa femme sa brillante ascension en la trahissant. En février 1998, elle découvre avec stupeur que son mari, et le père de ses quatre enfants, se présente face à elle aux élections régionales, sans l’avoir prévenue. Elle demande le divorce et abandonne le nom de son époux qu’elle portait jusqu’alors.
Autre cas d’école, celui du couple Royal-Hollande, symptomatique d’une solidarité qui a explosé en vol. La jeune femme a toujours foncé, se préoccupant peu de ce que son entourage pensait, François Hollande le premier. Notamment lorsque le Président Mitterrand l’a prévenue qu’il ne pourrait pas y avoir de couple au gouvernement, en 1992: “C’était elle ou lui, et elle y est allée”, raconte Christine Clerc. Plus récemment, pour l’élection présidentielle de 2007, “François Hollande a dû se résigner, mortifié, à regarder sa compagne prendre son envol” écrit la journaliste dans Les Conquérantes.
“L’idéal serait un couple à la Borgen où chacun est en lumière tous les cinq ans, en alternance.”
En fait, il attend secrètement son heure, qui viendra quelques années plus tard. “On croyait qu’ils marchaient de concert, tous deux évoluant dans la même sphère, dans des rôles de leadership. On ne le savait pas mais il y avait des interférences dommageables”, décrypte la politologue Mariette Sineau, auteure de Femmes et pouvoir sous la Vème République (Presses de Sciences Po, 2011). Pour Christine Clerc, “les hommes font parfois semblant d’accepter le succès de leur femme, puis finissent par avoir des réactions incontrôlées et pratiquent des actes manqués, comme François Hollande qui ne soutient pas Ségolène Royal, pourtant désignée à la tête du parti qu’il dirige. L’idéal serait un couple à la Borgen où chacun est en lumière tous les cinq ans, en alternance.”
“Homme de” en retrait
Cette catégorie de maris a fait le choix de laisser son épouse briller, à l’instar de Jean-Pierre Philippe, “Monsieur Nathalie Kosciusko-Morizet”. Ex-maire, passé par les affaires et la diplomatie, il a décidé de ne plus se montrer en public et est devenu quasiment père au foyer pour laisser le champ libre à sa femme. Quand, dans Les Conquérantes, Christine Clerc demande à NKM pourquoi si peu de jeunes femmes s’engagent en politique, celle-ci répond: “C’est un monde brutal dans lequel dominent les rapports de force et de vanité. Alors, quand une femme mène de front plusieurs vies, elle a tendance à jeter l’éponge plus rapidement. Et avant même de se lancer, elle pense que ce n’est pas un monde pour elle: trop de duretés, de sacrifices, de temps perdu. J’ajoute qu’il faut avoir la chance d’avoir un mari ou un compagnon qui accepte… une femme qui ne soit jamais là et qui passe son temps avec d’autres hommes!”.
Cette entente stratégique, permettant d’accepter que l’un soit sur le devant de la scène et l’autre dans l’ombre, est nécessaire selon Mariette Sineau: “S’il y a un problème, les femmes auront tendance à diminuer leur implication ou à rompre le lien conjugal, car ce n’est plus tenable quand le mari n’accepte plus le rôle de prince consort.” Sandrine Meyfret, consultante chez Alomey et spécialiste du couple à double carrière, va dans le même sens: “Pour qu’il y ait une réelle égalité dans le couple, il faut un double mouvement impliquant que la femme aille vers l’extérieur et que l’homme revienne vers l’intérieur.”
“Homme de” par conviction
C’est le cas de Jean-Marc Germain, le mari d’Anne Hidalgo, qui semble être la grande gagnante en matière d’époux.“Elle a trouvé en Jean-Marc Germain, (ndlr: député des Hauts-de-Seine) le compagnon rêvé de toute femme politique, écrit Christine Clerc dans Les Conquérantes. Intelligent, d’excellent conseil en raison de sa double expérience politique nationale et locale, d’un tempérament égal, possédant de solides réseaux de relations, s’intéressant à tout”.
Très présent pour leur fils, il est impliqué dans la vie domestique et va même jusqu’à se faire photographier par Paris Match en train de cuisiner. L’“homme de” idéal? “Dans les couples à double carrière, il y a beaucoup moins d’attente réciproque sur l’implication dans le foyer, explique Sandrine Meyfret. Chacun sait que cela prend du temps de faire carrière et l’accepte car c’est un choix.”
“C’est aux journalistes de sortir de leur conformisme et de poser aux hommes politiques les questions sur l’éducation de leurs enfants.”
“L’homme de” a-t-il de l’avenir?
Toutes les expertes tendent à dire que ce n’est pas gagné pour la jeune génération. D’après Sandrine Meyfret, “si le principe même de la répartition des tâches ménagères est un modèle en reconstruction, les choses évolueront vraiment quand l’éducation et les codes changeront profondément”.
Mariette Sineau, elle, insiste sur le fait que “les hommes doivent autant penser à l’éducation de leurs enfants que les femmes” et que “c’est aux journalistes de sortir de leur conformisme et de poser aux hommes politiques les questions sur l’éducation de leurs enfants et le temps qu’ils leur offrent!” Selon elle, les femmes doivent également se positionner dans un rapport de force et le gagner, aussi bien dans la sphère privée que publique. “Elles en ont les capacités intellectuelles, universitaires”, argumente-t-elle. Ce que confirme Christine Clerc, pour qui “les femmes doutent trop, du fait de leur éducation et des siècles passés. Or elles doivent se soutenir pour avancer, être plusieurs, s’entraider.”
Mais pour que les choses changent réellement, il faudra surtout que les femmes passent la main et épaulent à leur tour leur mari, selon le supposé contrat moral passé avec eux. Tout comme Simone Veil insistait pour que son époux ne soit pas relégué en bout de table lors des dîners officiels.
Laura Soret
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