Alors que l’élargissement de l’aide à la procréation médicale à toutes les femmes fait actuellement débat en France, la PMA pour toutes est une réalité aux États-Unis depuis les années 1980. Une étude au long cours montre que cette première génération d’enfants de mères lesbiennes se porte à merveille et qu’elle est en aussi bonne santé mentale que les enfants du même âge ayant grandi dans des couples hétérosexuels.
L’Assemblée nationale examine ce jour le projet de loi de bioéthique, qui comprend notamment l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. Mais outre-Atlantique, cela fait plus de trente ans que les femmes célibataires et les couples de femmes lesbiennes bénéficient déjà de cette possibilité: en 1982, la féministe Barbara Raboy crée la banque de sperme de Californie (The Sperm Bank of California) pour permettre à chacune, indépendamment de son statut matrimonial et de son orientation sexuelle, de fonder une famille légalement et dans un cadre médical sûr. La psychiatre Nanette Gartrell, qui enseignait alors à la faculté de médecine de Harvard, a connaissance par le bouche-à-oreille de ce “phénomène social” et met sur pied une équipe de chercheur·se·s en 1986. Leur étude nationale longitudinale sur les familles lesbiennes (NLLFS) doit permettre de récolter des données sur les familles lesbiennes et le développement psychologique des enfants qui y naissent et y grandissent.
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Un taux de réussite scolaire supérieur à la moyenne
33 ans plus tard, Nanette Gartrell, actuellement professeure invitée à l’université de Californie, récapitule les derniers résultats de l’étude publiés dans le prestigieux New England Journal of Medicine: “Nous suivons ces familles depuis l’insémination ou la grossesse des mères et nous constatons maintenant que leurs filles et fils âgés de 25 ans ont des résultats aussi bons en matière de santé mentale que les autres adultes du même âge.” Grâce à un questionnaire standardisé, les chercheur·se·s ont comparé le comportement adaptatif de ces jeunes adultes par rapport à un échantillon équivalent d’États-Uniens du même âge, ainsi que leurs relations sociales, leur réussite scolaire et professionnelle, et leurs éventuels problèmes émotionnels ou comportementaux: il n’y a aucune différence significative entre les deux groupes. Et comme 92 % des familles ayant pris part à l’étude à la fin des années 1980 sont encore impliquées aujourd’hui, les chercheur·se·s estiment que ces résultats sont fiables et rendent bien compte du devenir de cette première génération de familles lesbiennes.
“Ces résultats montrent que les affirmations selon lesquelles il est préjudiciable pour les enfants d’être élevés par des couples de même sexe sont totalement infondées.”
Les enfants de mères lesbiennes ont même un taux de réussite scolaire et professionnel supérieur à la moyenne nationale. “Je ne dirais pas que c’est un résultat prédictif pour toutes les familles dont les parents sont membres d’une minorité sexuelle, explique Nanette Gartrell. La première génération de mères lesbiennes était une génération très spéciale. On peut généraliser l’étude en disant que les enfants dont les parents sont très impliqués, très aimants, très attentifs à leur éducation ont d’excellents résultats.” Cette première génération s’était en effet largement préparée aux réticences de la société à son encontre en formant des groupes de parents et en faisant un travail d’information auprès de l’entourage des enfants, des pédiatres aux instituteur·rice·s.
La moitié des jeunes a fait l’expérience de l’homophobie
À 17 ans, la moitié des enfants suivis par les chercheur·se·s avait fait l’expérience d’une stigmatisation liée à l’orientation sexuelle de leurs mères, le plus souvent dans un cadre scolaire. Cette homophobie a été source de souffrance chez les enfants qui y ont été confrontés. Mais parmi celles et ceux qui l’ont vécue, avoir une relation étroite avec leurs mères les a protégés et a atténué ses effets négatifs. Dans un processus de résilience répondant à l’hostilité à laquelle ils ont pu faire face à différents âges, les enfants devenus adultes, soucieux de la prochaine génération, ont par la suite entamé eux aussi un processus d’éducation de leur entourage. Les entretiens avec ces jeunes montrent également que l’absence de modèle masculin n’a pas d’impact négatif sur le développement psychologique des enfants et sur la construction de caractéristiques genrées. Les chercheur·se·s notent en particulier que lors des entretiens réalisés avec les enfants lorsqu’ils avaient 17 ans, aucune maltraitance venant d’un parent n’est rapportée, alors que dans l’ensemble des États-Unis, 26 % des jeunes du même âge signalent des cas de violences physiques et 8 % des cas de violences sexuelles.
“Ces résultats montrent que les affirmations selon lesquelles il est préjudiciable pour les enfants d’être élevés par des couples de même sexe sont totalement infondées”, insiste l’une des chercheuses, Henny Bos, professeure en développement et éducation de l’enfant à l’université d’Amsterdam. Et Nanette Gartrell de s’interroger: “Les données de nos études sont accessibles partout dans le monde. Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour que ça ne devienne ne serait-ce que le sujet d’un débat parlementaire en France?”
Quant à la question complexe du statut du donneur de sperme, Nanette Gartrell estime que l’étude ne fournit pas de réponse définitive: “Parmi celles et ceux qui connaissent leur donneur, beaucoup sont satisfait·e·s mais certain·e·s ne le sont pas. Parmi celles et ceux qui ont un donneur anonyme, certains enfants le regrettent et pour d’autres ça n’a aucune importance. Il n’y a pas de règle.”
Adèle Cailleteau
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