Emmanuelle Duez est à la tête de Women’Up et The Boson Project, deux organisations qui mettent les carrières de la génération Y aux centre de leur actions. Rencontre.
Trouver un créneau pour interviewer Emmanuelle Duez n’est pas facile. Après un rendez-vous reporté, c’est pendant l’une de ses journées marathon qu’elle nous répond par téléphone. On sent dans sa voix une passion et une énergie très communicatives quand elle parle de son job et de ses projets, qui sont nombreux. La jeune femme de 29 ans s’est fait connaître il y a cinq ans lorsqu’elle a cofondé Women’Up, une association qui travaille sur la génération Y, le networking et la mixité en entreprise. “Quand j’ai commencé à travailler, pour moi, la mixité n’était pas un vrai sujet. C’est en côtoyant des jeunes femmes un peu plus âgées que moi que je me suis aperçu qu’elles avaient atteint le plafond de verre”, affirme-t-elle.
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Faire bouger les lignes dans une société encore très stéréotypée est devenu l’un de ses objectifs principaux. “Il y a encore beaucoup d’autocensure chez les femmes car la société leur apprend depuis toujours qu’elles doivent être sages et gentilles, ajoute-t-elle. Je n’ai pas travaillé suffisamment en entreprise pour rencontrer ces freins mais je l’observe tous les jours, car le système est construit par des hommes, pour des hommes. Et même s’ils veulent changer les choses, ça prend du temps. Car c’est aussi la culture qui doit changer et c’est très long.”
“Je me suis vite rendu compte que j’étais faite pour l’entrepreneuriat.”
Si Emmanuelle Duez n’a pas beaucoup travaillé en tant que salariée, c’est qu’elle a l’entrepreneuriat dans le sang. “J’ai fait des études à rallonge (Ndlr: Sciences Po, Essec, Université Bocconi à Milan) mais je ne savais pas ce que je voulais faire. J’ai découvert que ma force, c’était d’avoir des idées et je me suis vite rendu compte que j’étais faite pour l’entrepreneuriat.” On comprend donc qu’elle ne se soit pas arrêtée à Women’Up: elle a cofondé The Boson Project, un cabinet de conseil qui souhaite révolutionner le monde du travail et le mettre en adéquation avec la génération Y.
Pour Emmanuelle Duez, cette génération est “omnisciente car elle possède une externalisation de son cerveau dans sa poche, le savoir à portée de clic et ça change pas mal de choses”. Une présomption de connaissance qui change notamment le rapport à l’autorité, à la hiérarchie et à l’entreprise. C’est aussi une génération massive et globalisée qui arrive dans un monde à réinventer avec un super pouvoir entre ses mains: le numérique. “Ce qui en fait des individus puissants.” La jeune entrepreneure a également coécrit un livre blanc sur l’intrapreuneuriat, a publié une enquête sur la génération Y et on peut voir plusieurs de ses interventions sur YouTube. C’est une pile électrique. Et donc une candidate parfaite à notre interview “Workaholic”.
À quand remontent les premiers symptômes de ton workaholisme?
Je crois que ça remonte au jour où j’ai décidé d’arrêter de travailler pour lancer Women’Up il y a cinq ans. Quand tu es génétiquement fait pour entreprendre, il n’y a plus de travail, c’est juste l’expression de ta personnalité H24.
La fois où tu as frôlé le burnout?
Pour moi, la vie d’entrepreneur c’est comme un tabouret à 3 pieds: le premier représente l’entreprise, le deuxième la sphère amoureuse et le troisième la sphère sociale, à savoir la famille et les amis. Le jour où l’un des trois s’effondre, on est instable, déséquilibré dans son bien-être. J’ai frôlé le burnout le jour où j’ai eu des blessures amoureuses.
En quoi travailler est-il grisant?
Aujourd’hui, travailler a malheureusement une connotation négative, on considère que c’est faire des choses qu’on n’a pas envie de faire, sous les ordres de quelqu’un qu’on n’aime pas et dans ce contexte, ce n’est pas grisant, c’est déprimant. Alors que travailler sur des projets qui font sens, au sein d’un collectif où l’on peut affirmer sa personnalité et défendre des idées auxquelles on adhère, ça c’est grisant.
Ton truc pour avoir de l’endurance?
Ce n’est pas du tout politiquement correct, c’est même un peu con, mais c’est l’amour qui me permet d’être hyper endurante dans le business.
Quels sont les effets secondaires désagréables du workaholisme?
Le repli sur soi. On en revient toujours à cette histoire de tabouret. Quand tu bosses énormément et que tu aimes ce que tu fais, tu peux délaisser les deux autres pieds du tabouret et perdre l’équilibre.
La dernière fois que tu as fait une nuit blanche?
Jamais. Il faut avoir des rites et des règles absolues pour ne pas partir en vrille et pour moi, ne jamais travailler la nuit en est une.
Ton anti-stress le plus efficace?
Je l’ai déjà dit, c’est l’amour. (Rires.)
Ta façon d’appréhender la detox?
Une bouteille de vin italien que je peux éventuellement boire seule. À la fin, je suis très “détoxée”!
À long terme, envisages-tu de décrocher?
Je ne crois pas en être capable même si personne ne peut prédire l’avenir. Ça fait trop partie de ma personnalité. Si un jour, j’ai dix enfants et que j’en ai marre, peut-être que j’arrêterai le business, mais je n’arrêterai pas de lancer de nouveaux projets, pourquoi pas politiques par exemple. D’ailleurs, je trouve qu’avoir des enfants n’est pas incompatible avec l’entrepreneuriat. J’aimerais voir plus de femmes enceintes entrepreneures, je trouve que ça rend plus fort car on est obligé de déléguer pour garder ses trois piliers.
Qu’est-ce qui te ferait arrêter?
Si un jour je me rends compte que l’aventure que je mène est destructrice pour les gens qui me suivent, c’est-à-dire mes collaborateurs.
Propos recueillis par Stéphanie Semedo
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