On a discuté avec Emmanuelle Bercot de son long-métrage La Fille de Brest, qui revient sur le parcours du combattant de la pneumologue Irène Frachon pour faire retirer du marché le Mediator.
Si Irène Frachon n’avait pas été ce qu’elle est, c’est-à-dire un personnage haut en couleur, un tempérament énergique hors norme, une guerrière tenace, Emmanuelle Bercot ne se serait certainement jamais lancée. La réalisatrice de La Tête haute et d’Elle s’en va aime les histoires de femmes et pouvait difficilement espérer mieux avec celle de cette lanceuse d’alerte qui se décrit elle-même comme “quelqu’un de très ordinaire qui s’est retrouvé embarqué dans une histoire extraordinaire”.
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Avec La Fille de Brest, Emmanuelle Bercot retrace le parcours du combattant de cette pneumologue au CHU de Brest, qui s’est battue pour que le Mediator, médicament contre le diabète, produit par le laboratoire Servier, largement prescrit comme coupe-faim, soit retiré du marché en 2009 alors qu’il était extrêmement dangereux, voire mortel pour les patients. Il augmentait le risque de valvulopathie, une atteinte des valves cardiaques qui régulent l’afflux de sang vers le cœur. Plusieurs centaines de patients sont décédés. Le film est inspiré du livre d’Irène Frachon, Mediator 150 gr, publié en 2009, dont le sous-titre –Combien de morts?– avait dû à l’époque être retiré suite à une plainte pour diffamation du laboratoire Servier.
Pour incarner Irène Frachon, Emmanuelle Bercot a fait le choix étonnant de l’actrice danoise Sidse Babett Knudsen, César de la meilleure actrice dans un second rôle pour L’Hermine et héroïne de la série Borgen. Elle a bien fait car, passée la surprise du début -on n’attendait pas forcément un personnage breton avec un accent danois-, les spectateurs se laissent happer par la personnalité de la talentueuse actrice, parfaite pour transmettre l’humanisme et l’exaltation de cette pneumologue hors du commun, dans ce qui s’apparente à un thriller inquiétant. Enfin, la réalisatrice réussit le tour de force de rendre en images toute la complexité de l’affaire du Mediator, sans pour autant perdre le public. On lui a posé quelques questions.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser un film autour de l’affaire du Mediator?
Un ensemble de choses! J’aime beaucoup le monde médical, et je suis sensibilisée depuis longtemps à la question des laboratoires pharmaceutiques. Le scandale du Mediator offrait aussi tous les ressorts d’un thriller mais ça ne suffisait pas: si ce combat avait été mené par une femme scientifique austère, ça n’aurait pas suscité chez moi l’envie d’un film, c’est vraiment la personnalité d’Irène Frachon qui a été décisive.
Vous dites que vous êtes fascinée par le milieu hospitalier, c’est-à-dire?
Je suis fille de chirurgien cardiaque et, comme c’est un métier que j’ai voulu exercer jusqu’à mes 15 ans, j’ai passé à l’époque beaucoup de mes après-midi libres au bloc opératoire. L’hôpital est un endroit dans lequel je me suis toujours sentie chez moi, j’ai assisté à des opérations dès l’âge de 8 ans. L’envers du décor est passionnant. En réalisant ce film, j’étais dans mon élément.
Bande-annonce La Fille de Brest
À quel point la présence d’Irène Frachon a-t-elle été décisive pour le film?
D’abord, on avait lu son livre évidemment, mais la rencontrer était indispensable car elle a une façon de raconter les choses très humaine. Irène Frachon est une personne très émotive, et en nous racontant l’histoire, elle revivait les scènes avec une grande sensibilité, ça prend alors tout de suite un autre relief. Le bouquin, c’est seulement la première moitié du film; il a fallu qu’elle nous parle de la seconde partie qui n’est pas dans le livre, mais dans le film. Irène Frachon a été une collaboratrice constante, on a fait un immense travail de recherches durant une bonne grosse année, on a rencontré tous les protagonistes pour maîtriser les tenants et les aboutissants de cette affaire. Il fallait qu’on respecte la dimension médicale de l’affaire et que, par la suite, on la simplifie pour la rendre accessible. Irène était notre garante technique et scientifique. Sur le tournage, c’était davantage une présence bienveillante et amicale. On a tourné dans l’hôpital où elle travaille et ça m’arrivait souvent de l’alpaguer dans les couloirs pour qu’elle me rappelle un détail ou qu’elle montre à Sidse (Ndlr: Sidse Babett Knudsen) comment utiliser un stéthoscope par exemple.
© Jean-Claude Lother / Haut et Court
Pourquoi avoir choisi l’actrice danoise Sidse Babett Knudsen pour interpréter Irène Frachon?
Je ne fais jamais aucun compromis quant au casting. Parmi les actrices françaises, je n’arrivais pas à imaginer celle qui pourrait incarner Irène Frachon, j’étais même sur le point d’abandonner le projet. C’est Catherine Deneuve qui m’a parlé de Sidse, et quand j’ai regardé la série danoise Borgen (Ndlr: Sidse Babett Knudsen y joue le rôle principal.), ça a été évident: c’était la personne que je cherchais! Le fait qu’elle ait un accent était insignifiant pour moi, ça n’a pas du tout été un obstacle. Ensuite, j’ai eu du bol: elle parlait français. J’avais un peu peur de l’annoncer à Irène, mais il s’est avéré que toute la famille Frachon est fan de la série et de Sidse. Irène m’a même dit qu’elle ne pouvait pas rêver mieux pour l’incarner. Si le spectateur peut être déstabilisé au début par l’accent, il se laisse très vite embarquer par le tempérament de Sidse.
Comment s’est passée la première rencontre entre Irène Frachon et Sidse Babett Knudsen?
Le jour où elles se sont rencontrées, je suis volontairement arrivée avec un quart d’heure de retard, je voulais d’abord les laisser seules toutes les deux. Au bout de cinq minutes, elles étaient déjà copines, elles ont beaucoup de points en commun et ça a tout de suite connecté entre elles. Irène, c’est un personnage: quand on la rencontre, elle fait très forte impression, elle est très spontanée, elle ne cache pas son jeu. Ça a été immédiatement une grande source d’inspiration pour Sidse.
“Le combat a été mené par une femme, avec son lot de force, de courage, de détermination et de tempérament guerrier qu’on n’associe pas forcément à une femme.”
Dans le film, Irène Frachon est particulièrement soutenue par son mari qui s’occupe de tout parce qu’elle est entièrement prise par l’affaire, c’était important pour vous de montrer ça?
Ce que j’aimais dans cette histoire, c’est, qu’en effet, on est assez loin des clichés habituels, notamment celui qui voudrait que le mari se rebelle, dise à sa femme qu’elle n’est plus là pour lui, pour leurs enfants et qu’il devienne l’opposant. C’est un schéma ultra classique. Dans ce cas précis, j’ai simplement respecté la réalité: j’ai passé du temps dans la famille Frachon et j’ai découvert une cellule familiale extraordinaire, les parents et les enfants sont archi soudés, ils s’aiment, se respectent, se font rire, c’est une famille de rêve! En voyant ça, je me suis rendu compte que c’est avec ce socle amoureux et familial qu’Irène avait pu tenir. C’est drôle car, dans ce couple, on ne peut pas faire plus opposé: Irène est extravagante alors que son mari est très réservé!
© Jean-Claude Lother / Haut et Court
Choisir de filmer le combat de cette lanceuse d’alerte fait-il partie d’une démarche féministe?
Non, je ne suis pas féministe. Et je pense qu’Irène ne l’est pas non plus. Le combat a été mené par une femme, une mère de quatre enfants, avec son lot de force, de courage, de détermination et de tempérament guerrier qu’on n’associe pas forcément à une femme. Si ça avait été un homme, est-ce que j’aurais eu envie de faire ce film? Je n’en suis pas sûre. Irène Frachon est une vraie héroïne et mettre les femmes en avant, c’est ce que j’aime faire au cinéma.
Je me permets d’insister, car j’ai le sentiment justement que vous êtes féministe, qu’est-ce que le féminisme pour vous?
Je ne sais pas ce que c’est et c’est peut-être pour cette raison que je pense que je ne le suis pas! (Rires.) Je n’ai jamais été engagée, militante, et je n’ai jamais été confrontée, au cours de ma carrière, à des inégalités, en termes de salaires par exemple. Ça ne devrait pas m’empêcher d’être féministe mais c’est vrai que je pense que ça me sert d’être une femme, je pense qu’on a une force de frappe supplémentaire. Le monde du cinéma est un monde majoritairement masculin, ce sont des métiers difficiles et quand je fais des films, je pense que les gens qui travaillent avec moi ont envie de me porter, de m’aider, justement parce que je suis une femme.
Quelle est la plus grande difficulté à laquelle vous vous êtes confrontée pour vulgariser une affaire aussi complexe ?
On était sur un fil tout au long du film, il fallait que le public suive l’histoire et ne soit pas assommé d’infos techniques. En même temps, il fallait être ultra crédibles sur le plan technique justement. Tous les faits sont avérés, c’est une affaire brûlante, on ne pouvait absolument pas prendre de libertés.
Propos recueillis par Julia Tissier
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