Comme Emmanuel et Brigitte Macron, les couples où la femme est plus âgée que son compagnon se multiplient et remettent en cause de nombreux stéréotypes. Enquête.
On a beaucoup jasé sur la différence d’âge du couple Macron ces derniers mois, et pourtant ils n’ont rien inventé. En 1923 déjà, Raymond Radiguet créait le scandale en publiant Le Diable au corps, dont l’adaptation au cinéma 25 ans plus tard avec Micheline Presle et Gérard Philippe échauffa tout autant les esprits. Quand, en 1967, le jeune Dustin Hoffman paniquait tel un lapin devant les phares d’une voiture face aux charmes insistants d’Anne Bancroft dans Le Lauréat, le monde entier frissonnait devant l’interdit.
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Eh bien, il semblerait que nous n’ayons pas beaucoup avancé depuis, et qu’en 2017, on s’offusque beaucoup plus de la différence d’âge entre Emmanuel et Brigitte Macron que de celle entre Donald et Melania Trump, qui est pourtant exactement la même, à savoir 24 ans. Un réflexe réac en décalage avec notre société, où le nombre de femmes plus âgées que leur petit ami augmente doucement mais sûrement (+6% depuis les années 60). De fait, de plus en plus de trentenaires sont séduites par les charmes de garçons plus jeunes, qui sont 24% à s’engager dans des relations avec elles.
Les frontières de l’âge plus floues
C’est le cas d’Antoine, 28 ans, en couple depuis six ans avec une femme de huit ans son aînée. “Je ne me suis jamais posé la question de la différence d’âge, dit-il. C’est surtout une histoire de feeling et de bonne entente.” Julia, elle, avait 35 ans quand elle a rencontré Ulysse, qui n’en n’avait que 26 à l’époque, et elle est d’accord: “L’âge n’a jamais été un problème. Je me concentre plutôt sur l’individu, car c’est plus une question de vitalité et d’envie d’avancer. Je pourrais d’ailleurs partager ma vie avec un homme bien plus âgé que moi, pour peu que l’on partage la même énergie.” Antoine ajoute que sa compagne “fait bien plus jeune que son âge. Du coup, personne ne se rend compte qu’elle a huit ans de plus”. De toute façon, pour Dominique Babin, analyste tendances, “on ne réfléchit plus en terme d’âge aujourd’hui. On observe une certaine fluidité, un peu comme avec le genre”. En effet, aujourd’hui les femmes bénéficient d’une espérance de vie plus longue que les hommes d’en moyenne six ans, et pour tout le monde, les signes du temps sont beaucoup moins visibles qu’auparavant. Forcément, les frontières sont plus floues et l’âge n’est plus toujours une donnée déterminante dans les relations amoureuses.
Le Lauréat, de Mike Nichols, 1967
Il deviendrait donc socialement acceptable pour les femmes d’être au bras d’un homme plus jeune. Pourtant, si Antoine avoue n’avoir jamais subi de commentaires désobligeants, Julia, Élodie -36 ans, dix ans de plus que son compagnon- et Marie -34 ans, en couple avec David, 24 ans- font régulièrement l’objet de remarques, clins d’œil appuyés ou sous-entendus graveleux. “C’est rarement dit avec malveillance, mais les gens ne se rendent pas compte à quel point leurs blagues sont sexistes”, confie Élodie. Pour Julia, ces plaisanteries, souvent émises par d’autres femmes “sont surtout motivées par l’envie”. Ces relations qui bousculent l’ordre établi feraient-elles des jaloux.ses? Brigitte Macron, qui s’en prend plein la figure, en est la preuve.
“Les couples deviennent de moins en moins stéréotypés.”
D’ailleurs, Dominique Babin est persuadée que si les médias s’en prennent aussi violemment à la femme du candidat, c’est qu’ils sont “tenus par des leaders d’opinion de la vieille école qui véhiculent des représentations d’un autre temps. Mais la réalité va plus vite que ces figures qui sont déjà dépassées”. Car, pour elle, sortir avec un “petit jeune” n’est pas nouveau. “Cela a toujours existé, mais en les appelant MILF (Ndlr: Mother I’d Like To Fuck, “Mère que j’aimerais baiser”), le rap a donné à ces femmes un statut désirable dans la société. Avec cette dénomination, elles sont passées de prédatrices (cougars) à objet de convoitise.” Ce faisant, il est devenu flatteur pour ces jeunes hommes de s’afficher avec une femme plus expérimentée sexuellement mais aussi dans la vie, “car cela montre qu’ils assurent sur tous les plans”, ajoute-t-elle.
Des représentations qui bougent
Aussi, au moment où la plupart des femmes ont gagné leur indépendance financière, où 44% des mariages se terminent en divorces, où le nombre de familles monoparentales explose (+78% depuis 1990) et où les unions se font et se défont en un swipe sur Tinder, “les couples deviennent de moins en moins stéréotypés et l’on assiste à une véritable modification sociale”, précise Dominique Babin.
“Pendant longtemps, la construction de la féminité s’est aménagée en opposition avec la représentation de la supériorité et de la puissance masculine, explique la psychologue clinicienne Lisa Baudet, la position sociétale machiste proposait donc des modèles de couples dans lesquels les femmes se retrouvaient avec des hommes plus mûrs, servant ainsi les représentations sociales ou psychiques d’une femme douce, fragile et docile.” Cet inversement de la tendance où l’homme était toujours le plus âgé semble en être une manifestation directe (dans les années 60, 60% des couples étaient composés d’un homme plus âgé que la femme). Pour Élodie, c’est une bonne nouvelle, “cela signifie que l’on accorde moins d’importance aux qualités de représentation et reproductives des femmes au profit de leurs qualités humaines”.
Jennifer Lopez et Casper Smart ont eu une relation de 5 ans malgré leurs 17 ans d’écart (Instagram/JLo)
Sortir avec une fille plus âgée serait alors un engagement féministe? Si Antoine n’a pas réfléchi en ces termes, il se revendique clairement féministe. De même pour Ulysse, le compagnon de Julia: “Notre rencontre s’est faite sans calcul, mais oui, il est franchement féministe et très sensible à la question des violences faites aux femmes.” Du côté des filles, Élodie a l’impression qu’à son “petit niveau”, c’est une façon de “faire bouger les lignes”. En effet, pour Lisa Baudet, “le besoin d’indépendance, l’attachement profond aux idées et aux actions ayant pour but la libération de la femme, ainsi que la volonté de faire partie de ce combat social ont pu entraîner chez certaines femmes un besoin psychique de faire de leur lien amoureux le miroir de ces nouvelles représentations sociétales”.
Être au même endroit au même moment
Cependant, la question de la maternité reste largement soulevée. En témoigne MILF, l’éloquent acronyme dont nous avons parlé plus haut. Si les garçons qui sortent avec des filles plus âgées ne sont pas forcément dans un schéma œdipien compliqué, Marie indique que “sa douceur et son côté maternel jouent certainement un rôle” dans l’attraction que les jeunes hommes ont pour elle. Et le fait que Julia soit déjà mère et qu’elle ne souhaite pas forcément réitérer l’aventure a été décisif dans son rapprochement avec Ulysse qui n’aspire pas à être père. Selon Dominique Babin, il ne faut pas négliger l’attrait des femmes plus âgées pour les garçons car “elles représentent moins de pression financière, plus de confort matériel, et moins de pression pour avoir un enfant”.
Mais alors que les femmes de la génération Y, en plein dans la trentaine, ressentent cette pression de la maternité de plein fouet, la différence d’âge peut tout de même peser plus que dans d’autres relations. Ainsi, Élodie témoigne: “Mon ami souhaite fonder une famille avec moi, mais comme il n’a que 26 ans, il n’est pas très pressé. C’est donc devenu un sujet entre nous même si je n’ai pas vraiment de désir de grossesse, car j’ai peur qu’on se réveille trop tard.” De même pour Antoine, dont la compagne a 36 ans et pas encore d’enfant, cette problématique “met face à un choix plus tôt [qu’il] ne l’aurait imaginé”.
“Je me vois vieillir, et j’ai peur du regard qu’il posera sur moi les prochaines années.”
C’est précisément cette peur de ne pas être “au même endroit” qui a fait hésiter Marie avant de se lancer dans sa relation avec David. “J’avais peur qu’il n’ait pas les mêmes envies de construire une famille. Mais ce n’étaient que des projections, car nous sommes en phase sur le sujet.” Pour Élodie, la différence d’âge n’a pas toujours été simple à gérer et la jeune femme raconte que son compagnon n’avait que 23 ans au moment de leur rencontre, alors qu’elle en avait déjà 31… “Il a mis plus d’un an à assumer le fait d’être en couple car il avait une peur panique de l’engagement. Je ne pouvais pas lui en vouloir car, à son âge, j’étais pareille.”
Pour Julia, en revanche, tout s’est passé très simplement: “C’est Ulysse qui a proposé qu’on habite ensemble. J’ai trouvé ça audacieux de sa part, car cela signifiait emménager aussi avec ma fille de 12 ans.” Si chaque histoire est différente, les trois femmes révèlent toutes avoir des doutes quant à l’avenir. “Je me vois vieillir, et j’ai peur du regard qu’il posera sur moi les prochaines années”, confesse Marie. “Quand Ulysse aura l’âge que j’ai aujourd’hui, j’aurai presque 55 ans… Comment vivra-t-on cette période?”, se demande Julia. En attendant, elles sont toutes d’accord sur un point: le cœur a ses raisons…
Adeline Anfray
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