Emma Gray, spécialiste du changement climatique, fait de la recherche en écologie. À 28 ans, cette Sud-Africaine, boursière de la fondation L’Oréal, rêve de sauver le monde et sort du cliché de la chercheuse telle qu’on se l’imagine. Rencontre.
Emma Gray porte un nom qui évoque les héroïnes romantiques de la littérature anglaise. Pourtant, la jeune femme est profondément ancrée dans son temps. À 28 ans, cette blonde aux yeux bleu azur est une scientifique, spécialisée dans l’écologie. Passionnée par le végétal, et récompensée par la fondation L’Oréal, elle est l’une des 15 boursières qui a pu être financée pour faire son doctorat à l’étranger dans le cadre du programme Pour les Femmes et la Science, en partenariat avec l’Unesco. Sud-Africaine, Emma Gray n’en revient pas, quand nous la rencontrons le 19 mars dernier, d’être à Paris pour la cérémonie qui réunit les diverses récompensées de l’année. Il y a quelques mois, lorsqu’on lui a proposé de postuler au concours, elle l’a fait sans conviction, sans assurance, persuadée que son sujet ne retiendrait pas l’attention. Et pourtant, elle est devant nous aujourd’hui.
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Une chercheuse nouvelle génération
La jeune femme a plus d’une corde à son arc. D’ailleurs, c’est assez inattendu: elle aime aussi la couture, au point, et fabrique elle-même ses robes, dont celle qu’elle porte pour l’interview, blanche avec quelques motifs. Elle le dit elle-même, elle a besoin de créer, d’inventer. Pendant ce voyage, elle ne se sépare pas de son appareil photo reflex, avec lequel elle immortalise cette succession de moments importants. C’est vrai qu’Emma est loin du cliché du chercheur introverti avec ses lunettes, sa blouse, son âge mur. Elle n’a rien non plus du savant fou, à la Doc dans Retour vers le futur. Au contraire. Dans le monde, Emma fait presque figure d’exception: moins d’un chercheur sur trois est une femme. Cette représentante de la nouvelle génération est aussi très sportive. Surfeuse aguerrie, elle se régale à Sydney, en Australie, où elle fait son doctorat, et court aussi trois à quatre fois par semaine, quand son emploi du temps le lui permet. Le sport est nécessaire à son équilibre.
Elle découvre ce pays depuis six mois -son doctorat doit durer encore trois ans et demi. Une éternité pour Emma qui n’a jamais étudié à l’étranger. Originaire de Cape Town, elle adore son pays, l’Afrique du Sud. Si elle se voit faire l’essentiel de sa vie là-bas, elle ne parle pas de politique. Elle pourrait aussi bien vivre quelques mois à Édimbourg. Car sa famille est d’origine écossaise. Mais elle ne dirait pas non à un travail au Brésil, à Paris ou même à New York, peut-être comme post-doctorante.
Son pays est un immense laboratoire, où la végétation est bouleversée par les changements de climat.
Sa passion, c’est la biodiversité. Jusqu’à présent, elle avait étudié les conséquences du réchauffement climatique sur les grandes surfaces de savanes et de prairies en bois et en forêt. Son pays est un immense laboratoire, où la végétation est bouleversée par les changements de climat. Mais pour l’instant, avec sa thèse au département de sciences biologiques de l’université Macquarie, à Sydney, elle s’intéresse aux nouveaux développements des espèces biologiques et aux facteurs qui modifient leur croissance. Dans son labo, il y a à peu près autant de filles que de garçons, et beaucoup de nationalités. “Notre directeur dit souvent en s’amusant que les Nations unies sont représentées ici”, raconte-t-elle.
Une chercheuse qui s’est cherchée
En bonne représentante de la génération Y, elle a un peu tout essayé, avant de revenir se plonger dans l’écologie. “Je ne savais pas ce que je voulais faire quand j’avais 18 ans. Mon destin était-il de devenir une ingénieure ou une artiste? En tout cas, j’étais douée avec les chiffres. Surtout, je n’avais aucune limite. J’avais la certitude que je pourrais tout faire”, se souvient-elle en riant. Enfant, elle voulait devenir “présidente” pour régler tous les problèmes dans le monde.
© Capucine Bailly / Cheek Magazine
À l’aise, Emma Gray ne manque pas d’humour et de repartie et raconte sans détours son parcours un peu chaotique. Ses parents travaillent sur les paysages et sont d’“excellents botanistes”. Dans la famille, on aime forcément la nature. Son frère de 31 ans ne fait pas de sciences, mais est paysagiste. La hantise d’Emma, adolescente? Exercer un métier qui se rapprochait de ce qu’ils font. “Aujourd’hui, ça les amuse que je fasse une thèse sur ce sujet. Je cherchais à y échapper. Et pourtant, ça m’a profondément influencée”, explique-t-elle. Après une année off notamment pour voyager au Royaume-Uni et en Espagne, elle fait d’abord de la génétique et de la biologie. Au bout d’un an, elle ne “peut plus voir un microscope”. “Je ne comprenais pas l’infiniment petit. Ça ne m’intéressait plus”, explique-t-elle.
Faire bouger les choses
Sa rencontre avec William Bond, un professeur à la renommée internationale en écologie, est déterminante pour le reste de sa carrière. Car Emma Gray a une obsession: ne pas s’ennuyer. Dès qu’elle a fait le tour du sujet, elle passe à autre chose. En 2011, elle se réoriente et termine son master en écologie. “Je me demandais bien ce que j’allais pouvoir faire avec un master de sciences”, dit-elle. Changer le monde est aussi une de ses ambitions, elle qui est pleine d’espoir de pouvoir faire bouger les choses. Elle décide alors de devenir consultante pour une entreprise sur le changement climatique. Mais ce nouveau job s’avère très décevant. “Je passais mon temps à lire et à écrire des rapports. C’était tellement ennuyeux”, soupire-t-elle.
“Je craignais de passer le reste de ma vie enfermée à décortiquer des rapports, sans rien apprendre, et finalement sans rien savoir.”
Au bout de trois mois, elle arrête tout. On pourrait croire à un coup de tête, mais c’est mûrement réfléchi. Et ça lui ressemble profondément. “J’ai réalisé que j’avais besoin de nouvelles compétences. Je craignais de passer le reste de ma vie enfermée à décortiquer des rapports, sans rien apprendre, et finalement sans rien savoir.” La jeune femme change de nouveau de voie, et fait son grand retour à l’université. “Pendant six mois, j’ai fait des maths et des statistiques et j’ai adoré”, raconte-t-elle.
© Capucine Bailly / Cheek Magazine
Une autre rencontre s’avère déterminante: le Dr Jasper Slingsby, qui lui propose alors un stage à l’Observatoire de l’environnement en Afrique du Sud (SAEON). “Je ne fais plus de sciences”, lui répond-t-elle. “Tu as fait de la science à l’université, mais tu n’as jamais travaillé dans la science. Ça n’a rien à voir”, insiste-t-il. Elle finit par accepter. “Heureusement, j’ai eu du flair car je peux être bornée”, analyse-t-elle aujourd’hui. C’est ce travail qui réconciliera définitivement Emma avec la science.
Une jeune femme déterminée
En une heure de conversation, difficile de passer à côté de sa détermination et de sa force de caractère. On s’étonne même lorsqu’elle nous dit qu’elle n’est parfois pas sûre d’elle, qu’elle a besoin d’être rassurée. “C’est souvent l’impression que je donne, car je ne suis pas timide”, confie-t-elle. Quand elle parle, on l’écoute. Souriante, avenante, elle comprend ce que son interlocuteur attend d’elle. On lui parle de femmes, de féminisme, de représentation inégale de ces dernières dans la science. Elle réfléchit sur le sujet et cherche des anecdotes la concernant.
“Si être féministe, c’est se prononcer en faveur de l’égalité homme/femme alors oui, je suis féministe.”
Féministe, elle? Ça dépend du sens qu’on prête au mot. “Si être féministe, c’est se prononcer en faveur de l’égalité homme/femme alors oui, je suis féministe”, explique-t-elle, prudente. Pendant son passage à Paris, on lui a offert, ainsi qu’aux autres lauréates, des séances de media training. Elle le reconnaît, les femmes scientifiques autour d’elle ont parfois “peu confiance en elles”.
Lorsqu’on lui demande où elle se voit dans dix ans, elle répond: “Dans un secteur qui me plaît. J’ai besoin d’être heureuse sans tout ce que je fais.” À l’université, elle aime ne pas avoir de “routine”, car c’est le début de l’ennui. Elle adore travailler au laboratoire, partir sur le terrain et surtout enseigner aux étudiants, une vraie source d’inspiration. “Ils sont tellement enthousiastes qu’il vous rappellent sans cesse pourquoi cette recherche est si intéressante”, conclut-elle. Une conviction qu’elle ne risque pas de perdre en chemin.
Charlotte Lazimi
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