Arrêt sur Images décrypte l’actualité des médias, Hors-Série se penchera sur l’actualité culturelle. Ce pure player en construction sera piloté par quatre femmes qui entendent renouveler le traitement de la culture dans les médias.
Les internautes les connaissent bien et devraient donc se réjouir de cette nouvelle: deux des journalistes d’Arrêt sur Images préparent avec deux autres chroniqueuses un nouveau site consacré à l’actualité de la culture. Frustrées de ne pas trouver de vraie critique dans les médias traditionnels, Murielle Joudet, Judith Bernard, Laura Raim et Maja Neskovic ont décidé de créer Hors-série, un site d’entretiens culturels filmés en partenariat avec Arrêt sur Images. “Nulle part on ne trouve une position critique exigeante qui assume d’être située dans le monde contemporain avec un positionnement moral, intellectuel et politique”, explique Judith Bernard, chroniqueuse chez Daniel Schneidermann depuis 2004 et pionnière du projet. “Je le faisais déjà sur Arrêt sur Images mais l’émission n’était pas conçue pour ce genre d’exercice. On a essayé quand même, avec le sentiment que ce n’était pas vraiment l’endroit approprié”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La liberté à tout prix
Peu à peu naît l’idée de créer un espace dédié au format de la critique, qui permettrait de sortir d’un traitement exclusivement people et promo de la culture. Afin de concrétiser leur projet, les quatre femmes lancent une collecte via le site de financement participatif Ulule. Aujourd’hui, elles ont récolté les 60000 euros nécessaires pour le mettre en route, signe que le public est prêt à les suivre dans cette innovation. La mise en ligne est prévue pour la mi-mai.
Pas de subvention, pas de publicité, le modèle économique repose essentiellement sur les abonnements.
Dans Hors-série, l’équipe ne compte pas “lécher l’air du temps dans le sens du poil”. Les journalistes auront chacune leur émission, dans laquelle elles mèneront de longs entretiens nuancés et approfondis avec des personnalités qui pourront dire ce qu’elles pensent sans tabous. Au programme: Judith Bernard, aux commandes de Dans le texte épluchera les textes d’écrivains. Sur la même lignée, Murielle Joudet ira à la rencontre des cinéastes avec Dans le film. Dans l’émission Aux sources, Maja Neskovic s’entretiendra avec des personnalités artistiques et intellectuelles. Tandis que Laura Raim s’attaquera aux questions d’argent dans les milieux artistiques avec son émission Aux ressources. Et derrière ce collectif 100% féminin, il y a quand même un homme: Raphaël Schneider, qui s’occupe de la réalisation et du montage des émissions mais aussi du design du site.
Le choix du payant
Pour assurer une ligne éditoriale totalement indépendante, Hors-série sera un site payant: il en coûtera 1,50 euros par mois aux abonnés d’Arrêt sur Images et 3 euros aux autres. Pas de subvention, pas de publicité, le modèle économique repose essentiellement sur les abonnements.
Le modèle a fait ses preuves pour Daniel Schneidermann. Alice Antheaume, chroniqueuse dans Médias le mag et auteure du Journalisme numérique (Presses de Sciences Po, 2013), constate toutefois que le système de l’abonnement ne séduit pas tous les internautes: “Quand je demande aux étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po [Ndlr: elle en est responsable de la prospective et du développement international] s’ils sont prêts à payer pour de l’information, ils estiment le plus souvent que non, tout en reconnaissant bien sûr le paradoxe de cette situation, alors même qu’ils apprécient la qualité des productions et connaissent le coût de leur fabrication”. Pour elle, c’est “en répondant aux usages personnalisés de leur audience que les médias pourront espérer monétiser des contenus.”
“Les abonnés ont compris ce qu’ils s’offraient en payant de l’information, ils rémunèrent des journalistes indépendants qui font un travail d’investigation.”
Dans le cas de Hors-série, le site cible un public très gourmand d’entretiens culturels de qualité et prêt à payer pour obtenir une offre intellectuelle à la hauteur de ses attentes: “Les abonnés ont compris ce qu’ils s’offraient en payant de l’information, ils rémunèrent des journalistes indépendants qui font un travail d’investigation et qui font sortir des affaires dont personne n’a parlé avant eux, décrypte Judith Bernard. Les gens ont vite compris l’intérêt de ne pas laisser d’autres payer à leur place le travail des journalistes. Parce que les autres, ce sont soit les annonceurs, soit les pouvoirs publics, qui n’ont pas les mêmes intérêts que les citoyens ou les consommateurs d’art, de culture. Je pense que le modèle payant sur Internet commence à entrer dans les mœurs. La preuve: l’abonnement chez Mediapart est à 9 euros par mois et ça cartonne.”
La presse de demain
Alors que la presse traditionnelle est de plus en plus soumise à la censure et freinée par une production lourde et chronophage, les pure players flexibles et débordants d’imagination prennent le relais. Pour Alice Antheaume, la presse est dans une période de mutation, il n’y a plus un seul et unique modèle à suivre: “Il y a autant de pure players que de modèles économiques. Ils proposent des offres éditoriales très diversifiées et des modèles économiques à l’avenant. C’est riche et précieux et cela témoigne d’un dynamisme rare .” Elle souligne également leur capacité à capter le lecteur: “Les pure players trouvent les lecteurs là où ils passent du temps, sur les réseaux sociaux, sur mobile, et sur les moteurs de recherche”.
Forte de son expérience passée et de sa légitimité construite au fil des années, l’équipe de Hors-série sait déjà où trouver ses premiers abonnés, et vient apporter sa pierre à l’édifice du nouveau modèle de la presse en train de se construire.
Lara Sini
{"type":"Banniere-Basse"}