Elles sont blogueuses zéro déchet, adepte d’agriculture urbaine, fondatrices d’un collectif écoféministe… Et elles refusent de se contenter de petits gestes qui sur-responsabilisent les citoyen·ne·s sans amorcer de changement à la hauteur. Enquête.
Comme beaucoup d’individus soucieux·ses de l’état de la planète, Justine Davasse y a cru, à la fable du colibri. À l’idée selon laquelle “chaque geste compte” pour freiner le dérèglement climatique et limiter la destruction de la biodiversité, qu’il suffit que “chacun·e fasse sa part”. Zéro déchet, véganisme, locavorisme, seconde main, fournisseur d’électricité verte, petit appartement… Celle qui tient le blog Les Mouvements zéro a voulu cocher toutes les cases, jusqu’à se “perdre dans les méandres de l’engagement éthique et éco-responsable”.
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“Après quelques années, j’ai commencé à douter de cette pensée magique répétée dans les milieux écolos, écrit-elle dans l’introduction de son livre récemment paru, Le Guide des mouvements zéro où elle dézingue quelques idées reçues sur l’écologie et donne des clés pour un engagement éclairé. Il est vrai que je n’achetais plus de vêtements neufs mais la production annuelle de 80 milliards de vêtements à l’échelle planétaire ne s’arrêtait pas. Il est vrai que ma poubelle ne pesait presque rien, et pourtant 634 000 kilos de déchets continuaient de se retrouver dans la mer chaque seconde…”
“J’ai beau essayer de faire mon mieux, j’ai l’impression que cela ne sert à rien.”
Même sentiment d’impuissance chez sa consœur Anaelle Sorignet derrière le blog La Révolution des tortues, agacée aussi bien par “la sur-responsabilisation individuelle” que par les fausses solutions écoresponsables. Un état d’esprit que véhicule bien le titre de son ouvrage sorti le mois dernier, On ne sauvera pas le monde avec des pailles en bambou. “J’ai beau essayer de faire mon mieux, j’ai l’impression que cela ne sert à rien”, nous confie celle qui en a marre d’être la “blogueuse marrante et pas culpabilisante, qui maintient tout le monde dans une écologie molle du cul”.
Ces deux blogueuses tout juste trentenaires ne sont pas seules à être en plein “burn-out du colibri”. Une lassitude générale allant parfois jusqu’à l’(éco)anxiété gagne celles et ceux qui veulent agir mais ne savent plus comment. Et la médiatisation croissante des théories de l’effondrement n’est pas pour aider: “Il y a un tel contraste entre l’ampleur de ce qui est annoncé et le caractère minuscule et dérisoire de ce qu’on nous propose de faire au quotidien qu’il y a de quoi péter les plombs”, constate Anaelle Sorignet. Le phénomène, par ailleurs, touche très largement les femmes. “Ce sont elles qui sont toujours en charge du foyer et des achats, et qui portent cette charge écologique d’emmener leur entourage vers quelque chose de plus vert et plus safe pour la santé”, note Alice Jehan, co-fondatrice avec Solène Ducrétot du collectif écoféministe Les Engraineuses, et avec laquelle elle vient de publier Après La Pluie – Horizons écoféministes.
L’écologie, une affaire de créativité
Heureusement, il existe d’autres manières de s’engager au quotidien qui débordent des “petits gestes pour la planète”. S’engager dans une asso pour sortir de l’isolement, pratiquer un métier en accord avec ses valeurs, manifester… à chacun·e sa manière de sortir de la paralysie. Dans son récent Manifeste pratique de végétalisation urbaine, Ophélie Damblé -créatrice de la chaîne YouTube “Ta mère nature”- nous guide pas à pas de l’action individuelle à l’action collective, de son chez-soi à sa rue, son quartier et la ville toute entière. “Il faut d’abord commencer par soi avant de capter la dimension collective, estime-t-elle. Je ne pense pas qu’il faille critiquer la fable du colibri, mais il ne faut pas se dire que c’est ça la solution. Je me suis aussi un peu enlevé le poids de la misère du monde sur les épaules parce que quand on a envie de s’engager, on a envie de bien faire mais au bout d’un moment c’est trop et on se sent un peu désemparé·e.”
Anaelle Sorignet ne dit pas autre chose lorsqu’elle remet en question l’expression “sauver la planète”, énième expression selon elle du “complexe du sauveur”, à la fois contre-productif et un soupçon “mégalomane”. “Quand on part avec cet objectif en tête, toute action est rapidement découragée puisque jamais à la hauteur de nos espoirs”, écrit-elle. Pour elle, il est vital de renouer avec ses désirs profonds -pas ceux taillés de toutes pièces par la société de consommation qui nous rend malheureux·ses- afin de s’engager de la manière la plus épanouissante possible.
“Plutôt que de tout vouloir faire parfaitement, il faut se demander ce qu’on a vraiment envie de faire, ce dans quoi on a de l’énergie à mettre, souligne-t-elle. Ce n’est pas parce qu’on parle de transition écologique qu’on doit tou·te·s se reconvertir dans la commercialisation des couches lavables ou animer des ateliers zéro déchet. Il y a aussi des réformes à mener dans l’éducation, la santé, la culture… Tout le monde peut apporter une contribution à un endroit différent, que ce soit dans le cadre professionnel ou non. On a besoin d’une transition qui soit beaucoup plus globale que la seule question de la réduction de l’impact de nos modes de vie.” Elle regrette que l’image de l’écolo “modèle” très présent dans l’imaginaire collectif, qui “fait ses produits, cultive son jardin, achète en seconde main, mange bio, se déplace à vélo, passe ses vacances dans un éco-lieu…”, ne laisse guère de place à la “créativité” et la “singularité” de chacun·e.
Cultiver sa joie
S’engager demande du courage, mais une fois passée la peur du changement et de l’inconnu, on peut même y trouver… de la joie. “Je ne crois pas spécialement à une espèce de révolution verte mais foutu pour foutu, il n’y a plus ce souci de réussite donc on peut y aller: tout est possible, tout est envisageable”, déclare Ophélie Damblé, très inspirée par le titre de l’album du groupe anglais Idles, Joy as an act of resistance. Justine Davasse parle aussi d’ “espoir radical” face à la possibilité d’un effondrement civilisationnel -“sinon c’est suicide collectif”. “Radical parce qu’il est nécessaire de changer maintenant et d’agir dans un domaine où on se sent mieux, en y allant franchement, appuie-t-elle. L’engagement peut prendre plein de formes, mais il faut qu’il prenne la forme qui nous rende le plus heureux·se”.
“Se sentir en communauté, relié·e aux autres, sortir de la solitude de son engagement, tout cela permet de combattre l’éco-anxiété.”
Se reconnecter au vivant, retrouver sa capacité d’émerveillement… Loin des idées reçues, beaucoup y trouvent une source d’apaisement, notamment dans le milieu écoféministe. “Il y a beaucoup de cercles de femmes qui se créent depuis quelque temps, pour se guérir soi-même et être mieux dans la société et ‘guérir’ le monde”, observe Alice Jehan. Solène Ducrétot abonde: “Se sentir en communauté, relié·e aux autres, sortir de la solitude de son engagement, tout cela permet de combattre l’éco-anxiété”.
Et au vu des succès de ces nouvelles communautés autour de quelques figures revendiquant l’héritage des sorcières –Odile Chabrillac, Camille Sfez, Stéphanie Lafranque…-, l’idée fait son chemin dans les esprits. De quoi dépoussiérer l’image de la naturopathie, des rituels, de l’astrologie… “Ce sont vraiment des femmes qui sont ancrées dans notre société avec les outils d’aujourd’hui comme les live sur Instagram organisés par les Sorelles”, poursuit Solène Ducrétot. On ne sauvera peut-être pas la planète mais il est encore temps de nourrir son lien à la Terre et aux autres.
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