De quoi se retrouver dans la rentrée littéraire de janvier!
La sentence est tombée: nous sommes désormais tous et toutes bloqué·e·s chez nous à 18 heures. L’occasion, si vous en avez le temps et l’envie, de vous plonger dans une rentrée littéraire riche en romans complexes et passionnants pour occuper ces longues soirées d’hiver. On y trouve des récits sur les violences familiales, sur les relations mère-fille et père-fille, sur l’impunité des hommes célèbres, sur les multiples visages des prédateurs sexuels, sur la culpabilité…
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La Vengeance m’appartient de Marie Ndiaye
Le pitch: Le roman de Marie Ndiaye tisse plusieurs histoires complexes autour de la figure de l’avocate Me Susane. Un jour, un homme nommé Gilles Principaux vient à son cabinet pour lui demander de défendre sa femme qui a tué ses enfants en les noyant dans leur bain. Me Susane accepte tout en développant une obsession étrange pour Principaux. Qui est-il? Pourquoi son nom la ramène-t-elle à un souvenir d’enfance qui semble troubler son entourage?
Pourquoi on le lit: Parce que Marie Ndiaye signe un roman d’une infinie richesse qui plonge au plus profond de la conscience de ses personnages sans jamais simplifier le moindre sentiment. La Vengeance m’appartient est un roman d’une grande complexité qui réfléchit au rapport qu’une femme entretient avec son passé et à l’étrangeté de la mémoire humaine. Avec sa plume précise, Marie Ndiaye donne la parole à ses personnages dans de grandes tirades que l’on lit en apnée. À l’instar du long monologue de la femme de Gilles Principaux, Marlyne, qui raconte son destin d’ancienne professeure devenue femme au foyer par obligation. Elle dit tout de la violence sourde de son quotidien. Un grand roman sur la complexité de l’ordinaire.
Paru aux Éditions Gallimard
Un Papillon, un scarabée, une rose d’Aimee Bender
Le pitch: À huit ans, la jeune Francie est obligée de quitter le domicile familial suite à l’internement de sa mère. Elle part vivre avec son oncle, sa tante et leur bébé. En grandissant, Francie doit composer avec la peur d’être atteinte des mêmes troubles que sa mère.
Pourquoi on le lit: Parce que le roman d’Aimee Bender est à la fois un récit d’initiation et de reconstruction, et qu’il parle de santé mentale avec beaucoup de poésie et de sensibilité. En s’attachant à des objets qui obsèdent Francie et marquent son parcours d’adolescente (le papillon, le scarabée et la rose du titre), elle raconte les manières dont chacun·e peut se raccrocher à des détails, à des fictions, pour reconstruire son rapport au monde. Le livre, traversé de métaphores, laisse toujours une grande place à l’imagination et donne toute la place à la complexité de son héroïne. Un superbe récit pour comprendre comment l’on se construit grâce à et en dépit de son enfance.
Paru aux Éditions de l’Olivier, traduit de l’anglais par Céline Leroy
Les Vilaines de Camila Sosa Villada
Le pitch: Les Vilaines raconte l’histoire d’une bande de femmes trans, d’une famille choisie, qui se retrouve autour de la figure de Tante Encarna. Ensemble, elles traînent au cœur du Parc Sarmiento à Córdoba. Le roman suit leurs aventures, des histoires d’amour aux récits de violence en passant par l’adoption clandestine d’un enfant trouvé au milieu des buissons.
Pourquoi on le lit: Le premier roman de Camila Sosa Villada, elle-même femme trans et ancienne travailleuse du sexe, irradie d’une force et d’une puissance rares. Elle embarque le·la lecteur·rice dans le parc Sarmiento et son style précis et poétique donne naissance à une galerie de personnages hauts en couleurs. Son récit raconte les violences grandissantes qui touchent les femmes trans, le regard réprobateur du monde sur sa communauté, les difficultés, l’ostracisation mais il explore aussi la joie, la solidarité, l’énergie, la fête, l’amour. Un roman d’une grande humanité qui témoigne de la fin d’une époque avec une certaine nostalgie. L’une des très belles découvertes de cette rentrée.
Paru aux Éditions Métailié, traduit de l’espagnol par Laura Alcoba
Deux ou trois choses dont je suis sûre de Dorothy Allison
Le pitch: Deux ou trois choses dont je suis sûre est une adaptation d’un texte écrit pour la scène par Dorothy Allison, autrice de L’Histoire de Bone et de Peau. Elle y retrace l’histoire de sa vie et l’influence des femmes qui l’ont entourée.
Pourquoi on le lit: Deux ou trois choses dont je suis sûre raconte l’itinéraire d’une femme qui a grandi dans un contexte de pauvreté dans le sud des États-Unis. En appuyant son propos de photos, elle analyse son rapport compliqué à la féminité, ses amours avec des femmes, les violences subies et infligées la plupart du temps par des hommes. Ce n’est plus à prouver mais le récit de Dorothy Allison est une preuve supplémentaire que le privé est politique, que les autrices qui racontent des éléments personnels de leur vie réussissent à toucher à l’universel. Là où le texte est particulièrement bouleversant, c’est quand l’autrice explore son rapport à sa mère, à ses sœurs et à ses tantes. Un hommage vibrant à ces femmes de l’ombre que l’on ne célèbre pas assez.
Paru aux Éditions Cambourakis, traduit de l’anglais par Noémie Grunenwald
Over the rainbow de Constance Joly
Le pitch: Au début des années 1990, Constance perd son père, qui est emporté par le Sida. Des années plus tard, elle décide de le faire revivre par les mots: elle retrace son enfance avec ses deux parents, puis le coming out de son père, les étés passés avec lui et son compagnon sur des plages baignées de soleil et sa maladie dans une France ignorant encore tout du Sida.
Pourquoi on le lit: Over the rainbow est une lettre d’amour à un père parti trop tôt. À travers sa relation à cet homme fascinant, l’autrice réfléchit à son adolescence, à son rapport à la féminité, aux hommes et à la séduction. Elle porte un regard tour à tour tendre et sévère, toujours lucide, sur cette jeune femme parfois maladroite qui essaie de se faire une place dans le monde qui l’entoure. Elle réussit surtout à faire revivre ce père que l’on voit apparaître à chaque ligne, entre ses tableaux grandioses et ses airs d’opéra. Ce portrait poétique est aussi un témoignage des tabous qui ont longtemps entouré le Sida en France. La narratrice doit faire un long cheminement pour terminer son deuil et mettre des mots sur l’épidémie qui lui a enlevé son père. Un superbe récit qui brise au passage les carcans de la masculinité.
Paru aux Éditions Flammarion
Ta main sur ma bouche de Déborah Saïag et Mika Tard
Le pitch: Lorsqu’une jeune femme publie sur son compte Facebook, en pleine déferlante #MeToo, le témoignage de l’agression qu’elle a vécue quelques années plus tôt, son groupe d’amis de l’époque se déchire. Faut-il la croire ou faut-il soutenir l’agresseur, qui se trouve être le petit ami d’une célébrité?
Pourquoi on le lit: Toutes deux habituées à écrire pour le cinéma et la télévision, Déborah Saïag et Mika Tard ont une écriture nerveuse et rythmée particulièrement adaptée à ce récit aux airs de thriller qui explore toutes les réactions possibles après la publication des témoignages #MeToo. Il y a ceux qui doutent, ceux qui mettent en cause la victime, ceux qui glorifient l’agresseur en se disant qu’il n’aurait jamais pu faire ça… Le couple au cœur du récit traverse tous ces états successivement. Les autrices analysent avec beaucoup de finesse la manière dont ce groupe d’amis et la société ont du mal à accepter l’évidence. À mettre entre toutes les mains.
Paru aux Éditions Nils
Les Fragiles de Maud Robaglia
Le pitch: L’autrice imagine une dystopie dans laquelle la tristesse et le désespoir n’ont pas leur place. Les personnes qui tentent de se suicider ou montrent des signes de dépression, comme l’héroïne du roman, sont mis à l’écart de la société. On les appelle “les fragiles”.
Pourquoi on le lit: Dans ce premier roman sensible et drôle, Maud Robaglia s’empare du thème très difficile de la dépression pour raconter les nombreuses injonctions au bonheur que la société fait peser sur les individus. Avec une plume fine et observatrice et une héroïne attachante, elle explore la place de la mélancolie et du désespoir dans un monde qui essaie de les effacer au lieu d’en traiter les causes. Au cœur d’une période difficile, où il n’a jamais été aussi important de laisser parler ses émotions, ce roman est particulièrement bienvenu. Un éloge à tous ces sentiments, positifs comme négatifs, qui nous rendent humain·e·s.
Paru aux Éditions du Masque
Pandorini de Florence Porcel
Le pitch: Pandorini, grand acteur qui a marqué profondément le cinéma français, vient de mourir. Apprécié pour ses rôles mais aussi pour son engagement auprès des femmes, l’homme est unanimement célébré. Une jeune femme, cependant, se souvient de son expérience avec l’acteur. Au fil des pages, elle va se rendre compte de ce qu’elle a vraiment vécu avec ce “monstre sacré”.
Pourquoi on le lit: Florence Porcel s’est inspirée d’une expérience personnelle pour tisser ce récit qui décortique les mécanismes de l’emprise et fait voler en éclats l’impunité dont jouissent les hommes célèbres. Le roman est à la fois un récit d’initiation, celui d’une jeune femme qui entre dans l’âge adulte pleine d’espoirs et d’illusions, et une fine analyse des tempêtes médiatiques qui accompagnent les accusations publiques de violences sexuelles. Florence Porcel montre, page après page, comment l’empire Pandorini va s’effondrer, malgré les résistances d’un milieu où l’omerta règne. En cela, elle rend hommage à la parole des femmes mais elle explique surtout qu’elles ne peuvent pas porter toute la charge sur leurs épaules: il faut que le monde change, en profondeur. Pour que les victimes ne soient plus seules.
Paru aux Éditions La Grenade / JC Lattès
Une Gifle de Marie Simon
Le pitch: Une gifle est le récit croisé des enfances d’un homme et d’une femme, tous les deux marqués par les violences et les humiliations. Arrivés à l’âge adulte, ils se rencontrent et tombent amoureux. Leurs passés vont faire surface et mettre leur relation en péril.
Pourquoi on le lit: À l’image de La Deuxième femme de Louise Mey, Une Gifle dévoile la vraie nature de son personnage principal au fil des pages, comme dans un thriller. Est-on forcé de reproduire son enfance? D’où naît la violence? Comment se libérer d’une masculinité inculquée par la force? Jamais moralisateur, jamais exactement où on l’attend, Une Gifle réfléchit et informe sur les violences familiales en épousant le point de vue des enfants comme des adultes. Sombre mais nécessaire.
Paru aux Éditions Autrement
Sang et stupre au lycée de Kathy Acker
Le pitch: Presque impossible à résumer tant il est expérimental sur la forme comme sur le fond, Sang et stupre au lycée raconte l’histoire d’une jeune fille de 10 ans qui quitte le foyer de son père incestueux pour se lancer dans des aventures qui vont la mener des rues de New York à la ville de Tanger où elle rencontrera Jean Genet.
Pourquoi on le lit: Sang et stupre au lycée est un roman culte de la littérature underground américaine, l’un des jalons de la culture queer. Paru dans les années 80 (et interdit à l’époque dans plusieurs pays et notamment en Allemagne, comme l’atteste l’annexe de cette édition), ce roman rend état de la violence du monde, qu’il soit extérieur et intérieur, en faisant éclater les limites imposées par la tradition littéraire. Il mêle récit à la première personne, intertextualité littéraire (avec La Lettre écarlate d’Hawthorne), théâtre, dessin, grandes tirades écrites en majuscules… Acker oscille en permanence entre trouées poétiques percutantes et enfoncées glauques dans un monde sans illusions raconté dans un langage brutal. Profondément punk, ce texte résonne plus que jamais dans cette période de lassitude particulière et il réveille le·la lecteur·trice grâce à sa portée féministe radicale et son anticapitalisme féroce. Complètement à part, ce texte “saute à la gueule”, selon les mots de Virginie Despentes.
Paru aux Éditions Laurence Viallet, traduit de l’anglais par Claro
Pauline Le Gall
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