Trouver un gynécologue, en France, relève désormais du miracle: dans certaines régions, tous les cabinets ont fermé. Pourtant, elles (90% sont des femmes) sont les garants de la bonne santé des femmes. Enquête.
1212. C’est le nombre de gynécologues médicaux en exercice en France en janvier 2016 (chiffre officiel de l’Ordre des médecins). 1212 pour environ 30 millions de femmes… Pas étonnant qu’il soit désormais si difficile de décrocher un rendez-vous avant trois mois. Si on sort une calculette, juste comme ça pour se faire mal, on réalise qu’en France il y a en moyenne une gynéco pour 24 000 femmes. Dans certains départements, comme les Ardennes, la Nièvre ou le Cher, tous les cabinets de gynécologie ont fermé. Et avec une majorité de médecins dont l’âge dépasse les 60 ans, d’ici quelques années, la gynécologie médicale aura totalement disparu en France.
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Grâce à cette branche de la médecine spécifiquement féminine, les femmes françaises ont longtemps eu une meilleure santé.
Margaux a 36 ans et vit en Seine-Saint-Denis. Dans son département, 17 gynécologues pratiquent encore. C’est 62% de moins qu’en 2007. “Je ne trouve pas de gynéco pour mon suivi. Ceux qui pratiquent près de chez moi ne prennent plus de nouvelles patientes. Je suis donc suivie à l’hôpital Debré, de l’autre côté du périph’, mais depuis dix jours, la gynécologue du service est injoignable. Au standard, on me dit que les appels sont trop nombreux, et je ne peux pas obtenir de rendez vous avant deux mois.”
La gynécologie médicale, spécificité française
Mais où sont passé les gynécos? Déjà, pendant près de 20 ans, la spécialité “gynécologie médicale” avait disparu des écoles de médecine. Pour comprendre le problème, il faut d’abord savoir poser l’équation. La gynécologie médicale est une spécificité française, créée en 1963. C’est une spécialité (et un diplôme) différente de la gynéco-obstétrique classique qui concerne essentiellement la chirurgie et les accouchements. Elle consiste en la prise en charge de tous les problèmes gynécologiques médicaux pendant la vie d’une femme, comme la contraception, la prévention, le dépistage et traitement des maladies sexuellement transmissibles évitant ainsi stérilités, grossesses extra-utérines, FIV, cancers, etc.
Grâce à cette branche de la médecine spécifiquement féminine, les femmes françaises ont longtemps eu une meilleure santé. Ainsi, en France, seules 6,7% des femmes ont subi une ablation de l’utérus contre 30 à 50% dans les autres pays d’Europe et aux États-Unis. Le taux de survie après cancer du sein est l’un des meilleurs: 80,5% en France, contre 69% en Angleterre et 65% au Canada (Étude 2007 du Comité de défense de la gynécologie médicale).
Une pénurie programmée?
Mais au début des années 80, au prétexte de s’aligner sur les diplômes de médecine européens et de faire des économies (on a reproché aux gynécologues de prescrire trop d’actes médicaux dispendieux) cette spécialité disparaît. De 130 gynécologues médicaux formés par an, on tombe donc à zéro. Pendant 17 ans. Soit un manque à gagner de 2210 médecins. Il a fallu attendre 2003, et une longue bataille menée entre autre par le Comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM), pour que cette spécialité soit à nouveau enseignée dans les écoles de médecine.
“La disparition de cette spécialité a été un retour de bâton des droits octroyés aux femmes.”
Depuis, le nombre de diplômés remonte péniblement chaque année. De 20 nouveaux gynécologues par an dans les années 2000, on a atteint l’année dernière le nombre de 70. “Ce n’est évidemment pas suffisant pour rattraper le retard dans la formation des médecins, s’alarme Marie Stagliano, la co-présidente du CDGM. La situation est catastrophique et cette pénurie est programmée.”
“La disparition de cette spécialité dans les années 80 a été un retour de bâton des droits octroyés aux femmes, notamment avec le droit à l’avortement”, renchérit le Dr Marie-Annick Rouméas. Derrière cette décision qu’elle qualifie d’éminemment politique, cette gynécologue, auteure de À l’écoute du corps et de la parole des femmes, voit l’œuvre des pontes de l’obstétrique, “pour la plupart des hommes”, et le besoin de “reprendre le pouvoir sur le ventre des femmes”. Selon elle, les médecins obstétriciens -chirurgiens, donc- voulaient garder le contrôle sur la santé des femmes. “C’est une spécialité très fatigante, justifie-t-elle. Alors, après des années de pratique hospitalière, certains souhaitaient pouvoir ouvrir un cabinet en libéral”, avance-t-elle. Les gynécologues médicaux auraient-ils été perçus comme des concurrents par les obstétriciens? Quoi qu’il en soit, la rivalité entre le pan “masculin” de la profession -les obstétriciens- et le pan “féminin” -les gynécos- semble avoir pesé dans cette décision de supprimer la spécialité.
Sage-femmes et généralistes pour remplacer les gynécos
Face à cette pénurie, la ministre de la santé Roselyne Bachelot a dégainé en 2009 une mesure pansement: la possibilité pour les sage-femmes d’effectuer le suivi médical des “femmes en bonne santé”. Une aberration pour Marie Stagliano: “Les femmes ne sont en bonne santé que jusqu’au moment où elles ne le sont plus! Et seules les gynécologues médicales sont suffisamment formées et ont surtout l’expérience nécessaire pour faire un vrai dépistage. Nous avons besoin des sage-femmes, mais ce sont des métiers complémentaires, pas interchangeables!”
Ni les médecins généralistes, ni les sage-femmes, ni même les gynécologues obstétriciens n’auraient, selon le Dr Rouméas, la formation et l’expérience pour diagnostiquer certaines maladies, comme l’endométriose, où la salpingite aiguë (une inflammation des trompes qui peut rendre stérile).
“Les médecins généralistes ne peuvent pas tout savoir! C’est à ça précisément que servent les spécialités.”
“L’endométriose, il semble que les médecins la découvrent aujourd’hui. Moi, j’en ai vu et diagnostiqué tous les jours pendant 30 ans”, affirme la gynécologue, qui s’empresse d’ajouter: “Mais c’est normal, les médecins généralistes ne peuvent pas tout savoir! C’est à ça précisément que servent les spécialités”. Marie, 35 ans, est atteinte de cette pathologie qui l’a empêchée jusqu’à maintenant de tomber enceinte. C’est son médecin généraliste qui, après deux ans d’examens en tous genres pour comprendre les raisons de son infertilité, a fini par poser le diagnostic. Marie n’a jamais été suivie par un gynécologue médical: “Je n’ai jamais réussi à décrocher de rendez-vous”. CQFD.
Caroline Langlois
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