Après avoir cosigné Libres avec Ovidie, l’autrice de 31 ans signe les illustrations du grimoire de Jack Parker, Witch Please. Diglee nous a raconté son parcours féministe.
Lorsque nous retrouvons Maureen Wingrove, plus connue sous le nom de Diglee, à la terrasse d’un café parisien, elle ne peut pas s’arrêter de sourire. Elle a été invitée chez Christie’s par deux lectrices fidèles de son blog à consulter les originaux de lettres de George Sand. Après notre rendez-vous, elle file à la Maison de la Poésie écouter l’autrice américaine Siri Hustvedt parler de son dernier roman. En riant, elle soupèse son sac et nous fait la liste de son butin parisien, des livres qu’elle a dénichés dans les librairies où elle a ses habitudes. Sa passion communicative pour les livres, elle la partage chaque jour avec un enthousiasme solaire sur son compte Instagram, où elle communique avec plus de 56 000 abonné·e·s. Les mots des femmes qui l’inspirent -poétesses, romancières, essayistes- y ont une grande place. Parfois, elle les accompagne de ses dessins à l’encre, représentant des figures féminines fortes comme autant de symboles du pouvoir infini de l’écriture.
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Il faut dire que Diglee a vécu dès son plus jeune âge pour sa “sainte trinité” comme elle l’appelle: la lecture, l’écriture, le dessin. “Mes parents étaient tous les deux assez littéraires et très tôt ma mère m’a inscrite à la bibliothèque, se souvient Diglee. Le rapport au livre était très important dans la famille.” Après sa terminale L, elle hésite longuement entre suivre son instinct et devenir étudiante en lettres à la Sorbonne ou explorer sa passion pour le dessin. “Le dessin était une évidence absolue, explique-t-elle. Je dessinais toutes mes copines dès le plus jeune âge.” Elle opte pour cette orientation en suivant l’école Emile Cohl à Lyon. Sur son temps libre, Maureen Wingrove fait comme beaucoup de jeunes dessinateurs·trices de sa génération: elle alimente son blog. Elle y raconte ses histoires du quotidien, avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision. Son héroïne est une fille expressive, reconnaissable par ses grandes lunettes et son enthousiasme débordant. “J’aimais beaucoup le biais de l’humour et de l’ironie à l’époque, analyse l’illustratrice. Je ne me sentais pas légitime pour attaquer des sujets sérieux. J’explorais déjà l’intime, l’autobiographie, le journal, les petites choses du quotidien. J’en suis très fière aujourd’hui mais à l’époque je me remettais beaucoup en question. Le directeur de mon école m’avait dit que je ne ferai jamais de BD, ce qui m’a beaucoup encouragée comme on peut s’en douter!”
“Les cinq premières années de ma carrière, on m’a fait comprendre que ce que je faisais était très débile et creux.”
Le succès est pourtant fulgurant. L’été qui a suivi l’ouverture de son blog en 2007, elle est invitée au Festiblog, un festival qui n’en est qu’à ses premiers balbutiements et qui réunit des auteurs·trices de blogs BD. Son lectorat ne fait que grandir sous ses yeux jusqu’à la publication de sa première BD en 2010. “La starification!”, se souvient-elle en souriant, avec cette pointe d’ironie qu’elle manie parfaitement. Ce qui est loin de plaire à tout le monde dans ce petit milieu très masculin. “Les cinq premières années de ma carrière, on m’a fait comprendre que ce que je faisais était très débile et creux, explique-t-elle. Alors que, lorsque je relis ce que je faisais, j’avais les mêmes intérêts que maintenant: la littérature, ma passion pour Anaïs Nin, l’érotisme, mon intérêt pour les brocantes… Tout était pareil sauf que je mettais en avant la légèreté et l’humour. Ce qu’on me reprochait, on ne le reprochait pas à mes homologues masculins comme Boulet, qui avait pourtant lui aussi un blog dessiné en forme de journal du quotidien. Je faisais aussi de l’autobiographie humoristique mais comme j’abordais des thèmes liés au fait d’être une femme, c’était vu comme ‘bête’. Quand on est une femme qui fait de la BD, on n’est pas prise au sérieux et si ce qu’on fait marche, alors on génère plus que de l’agacement: on se prend des violences.”
© Pauline Darley
Diglee, tout comme Pénélope Bagieu, essuie cette forme de “jalousie très sexiste” selon ses propres termes, qui ne l’empêche pas de continuer son propre chemin créatif. Sur son blog, elle dessine des femmes, ses amies, des blogueuses. Sa sincérité, son humour et son univers riche en paillettes cristallisent une base de lecteurs et de lectrices très fidèles. Ce ne sont pourtant pas les foudres des “puristes” de la BD qui l’entraînent à marquer une pause dans sa production BD mais le documentaire de Sofie Peeters, Femme de la rue, qui allume la flamme de son féminisme. “En voyant cette vidéo, j’ai senti qu’il y avait quelque chose sur lequel je n’avais jamais mis de mot”, se souvient-elle. Toutes les micro-agressions, les violences du quotidien lui reviennent et elle décide d’en parler sur Facebook, sur son blog et sur Madmoizelle. “Après ça, j’ai eu besoin de me taire, explique-t-elle en marquant une pause. Je n’avais plus d’idée, je n’avais plus envie de rigoler, j’ai eu besoin de réfléchir, de lire, de calmer ma colère.”
Sur une lancée militante
Son ton change alors, ses questionnements aussi, son dessin s’affine et s’affirme. Son public, lui, reste. Diglee fait vivre sa déconstruction et son éveil féministe à des milliers de personnes, sans jamais hésiter à faire son auto-critique. “Déjà quand j’ai fait Forever Bitch en 2013, je donnais la parole à des femmes, explique Diglee. C’est une BD qui n’est pas parfaite mais où j’assumais déjà un positionnement fort: parler de sexualité de manière crue et réaliste, avec une retranscription mot pour mot de conversations que j’avais avec des amies. Je disais déjà que le sexe n’appartient pas aux hommes.” Pendant une rencontre, elle glisse cette BD à la réalisatrice et autrice féministe Ovidie, qu’elle admire énormément. Cette dernière est séduite et l’appelle pour lui demander de co-signer Libres!, un “manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels”. “C’était ma première parution estampillée ‘féministe’, se souvient Diglee, donc c’était un choix très fort pour moi. Avant cela je n’étais pas du tout politisée dans les médias. Je suis tellement fière d’avoir signé cette publication avec Ovidie.”
“En 2019, on me dit encore que les poils sont sales, dégoutants. D’où l’intérêt de les montrer!”
Le livre est un succès. Et Diglee continue sur sa lancée militante. En 2017, elle publie le premier tome de son roman jeunesse Le Journal intime de Cléopâtre Wellington. Un rêve de toujours qui lui permet d’explorer le féminisme en parlant aux adolescentes. “Le point de départ de ce livre c’est vraiment le corps, explique-t-elle. J’avais envie de parler de l’adolescence d’une fille, de ce moment de transition avec les poils, les règles… Je voulais écrire un livre rassurant et c’est pour cela qu’on a mis un dessin de Cécile Dormeau avec une fille qui a du poil aux jambes sur la couverture, même si ça a été un vrai combat. En 2019, on me dit encore que les poils sont sales, dégoutants. D’où l’intérêt de les montrer!” Elle signe aussi les illustrations du “grimoire de sorcellerie moderne” de son amie Jack Parker, Witch Please. Un sujet qui lui tient à cœur. “Je pratique peu la magie, explique-t-elle, mais je suis curieuse. Je prends des notes, je vois ce que j’aime et ce que je n’aime pas. J’ai un groupe avec des copines dans lequel on réfléchit à ces sujets.” Comme pour tout, elle explore, lit, apprend.
Diglee nous explique qu’à l’instar de ses coupes de cheveux sans cesse différentes, que l’on voit évoluer dans ses BD et sur son Instagram, ses envies elles aussi ne sont jamais fixes. Elle pointe du doigt sa frange brune et ses cheveux bouclés qui changent radicalement de son personnage des années 2010 aux longs cheveux blonds, perché sur des immenses talons. Dans les tuyaux, elle a autant de projets concrets que d’envies. Il y a son Inktober actuel, qui explore son imaginaire érotique sous un prisme féministe en essayant de sortir des images centrées sur le plaisir des hommes, un projet d’édition autour de ses illustrations de poétesses connues ou méconnues, des désirs de romans et de bandes-dessinées… Et l’envie de toujours partager ses lectures. Avec, à la clé, des moments de sororité puissants, comme lorsque près de 2000 femmes ont partagé en même temps leurs notes de lecture du Mur invisible de Marlen Haushofer sur Instagram suite à l’une de ses recommandations. Sous quelle forme son féminisme s’exprimera-t-il à l’avenir? Diglee laisse toutes les portes ouvertes.
Pauline Le Gall
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