Dans son premier roman Beyrouth, la nuit, Diane Mazloum évoque une jeunesse libanaise qui, le temps d’une nuit d’été, s’autorise tous les excès, entre angoisse et euphorie. Une génération forte et fragile, que l’auteure incarne sans demi-mesure. Rencontre.
Elle est née à Paris, a grandi à Rome et vit désormais à Beyrouth. Symbole d’une génération Y qui porte les séquelles de la guerre civile au Liban (1975-1990), Diane Mazloum dresse avec son premier roman Beyrouth, la nuit, le portrait d’une jeunesse dorée, coincée entre la volonté de grandir et le besoin de vivre le moment présent sans penser au lendemain. Une jeunesse sans repères, surprotégée, qui ne sait pas vraiment où aller, mais a soif de vivre tout, tout de suite.
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Les protagonistes sont six trentenaires qui n’ont pas confiance en l’avenir mais qui, le temps d’une soirée de Coupe du monde 2010, essaient de changer certains aspects de leur vie. Si la guerre est la cause de tous leurs maux, il n’en est pourtant jamais question directement. Une volonté que l’auteure assume: “J’aimerais passer à autre chose. C’est un conflit qui n’a pas été résolu, qui n’est pas près de l’être, alors à quoi bon rester dessus et continuer à en parler puisque personne ne veut le résoudre?” Parler de cette manière du Liban, c’était aussi un moyen pour elle de casser les clichés orientalistes et de montrer une autre réalité: celle d’une société libre et libérée.
“Il y a une énergie et une inspiration retrouvée nulle part ailleurs.”
Fin 2004, Diane Mazloum sort de trois années d’études d’astrophysique à l’université Pierre et Marie Curie à Paris. Après un bref retour à Rome, elle décide de tout reprendre à zéro et de partir étudier au Liban, que ses parents ont fui lors de la guerre. “J’avais envie de découvrir le pays. Il y avait beaucoup d’espoir à ce moment-là, c’était la belle époque du Liban, on sentait que l’on pouvait prendre le pays en main et tout changer. On y a vraiment cru jusqu’en 2005”, confie la jeune femme de 34 ans.
Après quatre années d’études de design graphique, Diane Mazloum décide de rester là-bas malgré le retour de l’insécurité, “parce qu’il y a une énergie et une inspiration retrouvée nulle part ailleurs”. Elle rédige son premier livre en 2009, Nucleus, en plein cœur de Beyrouth city, récit graphique inspiré par ses amis beyrouthins. La passion de l’écriture l’anime depuis l’âge de huit ans, preuve qu’on peut mêler parcours scientifique et sensibilité littéraire. Une contradiction à l’image de sa ville. Interview “Beyrouth”.
Ton endroit fétiche à Beyrouth?
Ça peut être un café, une rue, une promenade. Mais je dirais la corniche. C’est juste au bord de la mer, il y a les palmiers, le mélange de nouveaux immeubles -qu’on dirait tout droit sortis de Dubaï-, et de très anciens datant des années 1940/1950. C’est le spot le plus représentatif de Beyrouth: toutes les confessions religieuses y sont représentées, ainsi que toutes les cultures, les architectures, les âges, les époques.
LA chose à faire à Beyrouth la nuit?
Commencer par prendre un apéritif sur une terrasse au coucher du soleil avec la vue sur la mer. Aller dîner dans un restau assez branché, bobo, au Casablanca par exemple. Ensuite, soit faire une virée dans les ruelles qui sont ponctuées de petits bars à Gemmayzeh, soit passer d’une terrasse à l’autre sur les toits de la ville.
Une odeur indissociable de Beyrouth?
Le mélange du café turc associé au kérosène.
“La nuit est peut-être le seul moment où il y a comme un relâchement, il y a tout à coup moins d’agressivité.”
Une chanson représentative de la ville?
Celle de la grande diva libanaise Fairuz, Ya leili, qui signifie “Ma nuit”. C’est une chanson qui dure huit minutes et dans laquelle elle ne fait que répéter ces deux mots. Elle est sortie à la fin de la guerre en 1990 et a marqué une certaine époque. Je l’aime aussi parce qu’elle est très caractéristique de Beyrouth. La nuit y est assez spéciale: l’effervescence monte encore plus, surtout à cette période de l’année, le printemps, et n’en parlons pas à l’été. Le vent chaud, l’humidité, la douceur de l’air… On se sent emporté, soulevé de la surface de la Terre. La nuit a quelque chose de magique à Beyrouth. On a la sensation que tout devient possible. C’est peut-être le seul moment où il y a comme un relâchement, il y a tout à coup moins d’agressivité, une baisse de ses propres gardes, c’est là que le masque tombe.
Qu’est-ce qui t’a inspiré l’écriture de ce roman?
Le point de départ, ça a été le crash de l’avion d’Ethiopian Airlines en 2010. L’atmosphère de cette matinée était tellement forte que j’avais pris des notes sur ce que je ressentais. Et puis quelques mois plus tard, la Coupe du monde. Là aussi, il y avait une ambiance très particulière. Les Libanais adorent la Coupe du monde alors qu’il n’y a même pas une équipe nationale qui participe, mais tout à coup, cet événement sportif créé un sentiment d’appartenance qui se révèle. Toute la ville vibre.
Ton plus beau souvenir à Beyrouth?
Mes années d’études à l’université américaine. Ce sont peut-être même les plus belles de ma vie. Quatre années de design graphique avec un programme axé sur la philosophie, très créatif, très conceptuel, où il y avait beaucoup de liberté. Et en même temps, j’étais très encadrée, je me sentais protégée, je pouvais donner le meilleur de moi-même.
“C’est difficile de rester concentrée à Beyrouth avec tous les amis qui te sollicitent.”
Le pire?
Le pire, ça a été juste après, quand je me suis retrouvée confrontée à la réalité et que je n’avais plus vraiment de structure. Je n’avais pas envie de rentrer dans une entreprise qui m’aurait formatée, et en même temps, être seule était une énorme responsabilité: moi et ma volonté, ma discipline. C’est difficile de rester concentrée à Beyrouth avec tous les amis qui te sollicitent.
Ce que tu préfères chez les Beyrouthins ?
Ce que j’aime, c’est leur forme de tendresse. En surface, c’est ce que je n’aime pas: le côté superficiel, hypocrite, calculateur, axé sur les apparences et les potins. Mais il y a une bonté au fond d’eux: on pourra toujours compter sur un Libanais. En Europe, ça restera toujours plus froid. Le Libanais, malgré la guerre, les horreurs qu’il a vécues, les problèmes de base (manque d’eau, pas d’électricité), a toujours une vraie forme d’empathie, en totale contradiction avec l’hystérie collective qu’on sent au premier abord. On passe très vite de l’hystérie à l’empathie d’ailleurs. Il n’y a jamais d’entre-deux à Beyrouth, ce sont toujours les deux extrêmes.
“Il y a des réflexes à certains endroits: en passant devant telle place où il y a eu un attentat, on a tendance à accélérer le pas, ou en voiture, à foncer.”
Ce que personne ne sait sur Beyrouth?
Beyrouth ressemble beaucoup à une femme. C’est une ville changeante, contrastée, qui a un million de récepteurs. D’une rue à l’autre, on est projeté dans une autre dimension. Aussi, le Libanais est un observateur assez fin, ses sens sont aiguisés. C’est peut-être dû à la guerre, au fait qu’il fallait toujours être en alerte. Depuis, il y a des réflexes à certains endroits: en passant devant telle place où il y a eu un attentat, on a tendance à accélérer le pas, ou en voiture, à foncer. C’est toujours angoissant aussi lorsqu’on est bloqué dans les embouteillages, on se dit que s’il y a une bombe, on est fichu. Alors qu’en étant tout le temps en mouvement, on n’a pas le temps d’y penser.
Un mot pour caractériser la jeunesse libanaise?
Vivante. Il y a une volonté de trouver des solutions, de s’en sortir, de continuer à chercher, de ne pas être passif.
Propos recueillis par Audrey Lebel
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