Le témoignage d’une Polonaise venue en aide à des Ukrainien·nes.
La Polonaise Maria Charmast est partie de Varsovie en voiture pour venir en aide à des connaissances ukrainiennes et russes bloquées à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine. Elle a passé, comme des centaines de milliers de personnes, près de deux jours dans les embouteillages monstres pour les aider à fuir le pays. Dans l’angoisse, la fatigue, sans nourriture, sans eau, sans toilettes, et par -2°C la nuit. Elle témoigne.
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“Il fallait faire vite. Quand mon amie ukrainienne de Kyiv m’a appelée vendredi matin pour me demander d’aller chercher en voiture Irina, une amie à elle enceinte, sa mère handicapée en fauteuil roulant et une de ses amies avec son fils en bas âge, je n’ai pas réfléchi, j’y suis allée d’emblée. À tel point que j’ai regretté ensuite de ne pas m’être mieux préparée pour apporter de l’aide sur place: des couvertures, de l’essence, de la nourriture, des protections périodiques pour les femmes, des couches pour les enfants. Certain·es Ukrainien·nes ont fui le pays dans la précipitation, sans faire suffisamment de réserves d’eau, de médicaments, de vêtements chauds, en particulier pour les enfants, ou de nourriture. J’avais juste apporté avec moi quelques bananes.
“Les nombreux exilés d’origine africaine, arabe et asiatique étaient automatiquement mis sur le côté à la frontière.”
J’étais déjà sur la route. J’étais déjà allée chercher deux réfugiées russes à la gare d’une ville située à environ 80 kilomètres de la frontière polonaise, en Ukraine. Il y a de plus en plus de Biélorusses et de Russes qui essaient aussi de se rendre en Europe, ce qui ne fait qu’augmenter les files d’attente pour franchir la frontière polonaise. Aujourd’hui, il y a 40 kilomètres de bouchons pour passer de l’autre côté. J’ai dû traverser plusieurs checkpoints pour sortir de plusieurs villes d’Ukraine où les soldats me demandaient où j’allais, ce que je faisais ici avec une plaque d’immatriculation polonaise. Mais heureusement, je n’ai eu aucun problème. Cela n’a pas été le cas de nombreux·ses exilé·es d’origine africaine, arabe et asiatique. A la frontière, il·elles étaient automatiquement mis sur le côté, les Polonai·ses faisaient passer en priorité les Ukrainien·nes. Leur file d’attente était quasiment deux fois plus longue que pour les déplacé·es ukrainien·nes.
“Des milliers d’hommes ont dit au revoir à une compagne, un enfant, une mère, une sœur.”
Irina, Tatiana, Olena et Danil se trouvaient elles, à 7 kilomètres à pied de la frontière polonaise. Le poste frontalier ne laissait pas passer les réfugié·es qui n’avaient pas de moyen de locomotion, ils n’avaient pas encore mis en place le franchissement de la frontière pour les piétons. Le mari de mon amie, l’un des millions d’Ukrainiens appelés (Ndlr: tous les hommes de 18 à 60 ans ont été circonscrits) n’a pas pu les déposer plus loin. Il devait rejoindre Kyiv. Comme des milliers d’autres hommes qui ont dit au revoir à une compagne, un enfant, une mère, une sœur, il a fait demi-tour pour se rendre disponible dans l’armée. Des milliers de femmes se sont alors retrouvées sans voiture, et ont cherché de la place dans des véhicules pour elles et leurs proches. C’était terrible de voir le nombre de personnes errer désespérément pour trouver un moyen de monter dans une voiture. Ce n’était pas faute de vouloir aider, mais toutes étaient complètement pleines.
“Tout le monde s’est couché au sol, des enfants pleuraient, des femmes hurlaient.”
Quand j’ai retrouvé les proches de mon amie, elles n’avaient pas dormi depuis des heures. Elles étaient épuisées, mais tellement dignes. La première nuit, nous n’avons pratiquement pas parlé. Irina et sa mère essayaient de se tenir chaud comme elles pouvaient avec les trois chats qu’il y avait en plus dans la voiture. La température la nuit était dans tombée le négatif. Il n’y avait aucun endroit pour se rafraîchir, aller aux toilettes, prendre un café ou manger quelque chose. De toute façon, nous n’avions pas faim. Je ne pouvais pas quitter trop longtemps mon véhicule car le trafic ne s’arrêtait jamais, on avançait tout le temps mètre par mètre. Quand le jour s’est levé, les tensions sur la route se sont multipliées. Des voitures essayaient de doubler les deux files d’attente en roulant à contre-sens, ce qui a provoqué énormément de colère et d’échauffourées. Le gros moment de tension, c’est surtout quand un drone a survolé les environs et que des militaires ukrainiens ont commencé à tirer pour essayer de l’atteindre. Tout le monde s’est couché au sol, des enfants pleuraient, des femmes hurlaient. Moi, je suis restée stoïque, comme paralysée, je n’ai pas pu bouger pour me protéger.
“Il restera au moins ça.”
Finalement, nous avons mis 24 heures pour faire 7 kilomètres et franchir la frontière. On a été accueilli avec du thé chaud, des gâteaux, et beaucoup de bienveillance. C’est ce qui m’a mis du baume au cœur dans ce chaos: voir majoritairement la solidarité entre les Ukrainien·nes sur place. Les bus qui transportaient les passagers étaient pleins à craquer, les gens étaient même assis dans l’allée centrale. La mobilisation sur les réseaux sociaux a aussi été gigantesque. Des dizaines de groupes polonais, français, allemands se sont créés pour trouver des hébergements pour accueillir les exilé·es. Irina, sa mère et ses amies sont maintenant au chaud, en sécurité, dans deux appartements que des connaissances leur ont prêtés à Torun, au nord de la Pologne. Des minibus ont aussi été affrétés par des particuliers pour venir en aide aux Ukrainiens. Il restera au moins ça.”
Propos recueillis par Audrey Lebel
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