À l’occasion de la sortie d’un livre intitulé Du baby blues à la dépression post-partum, coécrit par la journaliste Joséphine Lebard et la psychanalyste Katia Denard, retour sur ce phénomène méconnu et tabou qui touche certaines mères après leur accouchement.
Combien de femmes souffrent de dépression post-partum après la naissance d’un enfant? 10 %? 20%? Sujet encore tabou, les chiffres sont flous car la plupart de celles qui en souffrent n’osent pas en parler. C’est à ce thème qu’a décidé de s’intéresser la journaliste Joséphine Lebard qui a elle-même connu ce type de dépression, bien plus profond qu’un simple baby blues, après la naissance de son fils. Elle en a tiré un livre ludique, coécrit avec la psychanalyste Katia Denard, intitulé Du baby blues à la dépression post-partum. Rencontre avec cette auteure qui prouve que la dépression post-partum, non seulement on s’en sort, mais on peut même écrire dessus.
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Joséphine Lebard © Claire Estagnasié pour Cheek Magazine
Comment est venue l’idée de ce livre?
J’avais déjà sorti un livre chez cet éditeur et j’avais envie de me relancer dans une aventure d’écriture. Avec la psychanalyste et amie Katia Denard, qui a aussi connu une dépression post-partum après la naissance de ses jumelles, on s’est rendu compte qu’il y avait assez peu de livres sur le sujet et, peu à peu, le projet a pris forme. Pour nous qui l’avions vécue, écrire sur la dépression post-partum était à la fois une évidence et une expérience un peu secouante, c’était donc bien d’être deux. Katia Denard a pu apporter son regard de psychanalyste sur ce phénomène. À la limite, écrire sur ce sujet faisait presque partie de la thérapie!
“C’est un phénomène qui touche tous les milieux sociaux.”
Pendant la rédaction, en discutant avec des copines, certaines nous ont dit: “Moi aussi je me sentais mal après la naissance de mon enfant, je crois que j’ai vécu la même chose”. Nous nous sommes aussi rendu compte que c’est un phénomène qui touche tous les milieux sociaux, de la maman migrante que l’on rencontre dans un centre social à la CSP+.
La dépression post-partum est-elle encore taboue aujourd’hui?
Depuis quelques années, un peu moins: le livre d’Alessandra Sublet sur le baby blues a sans doute démocratisé cette notion. Mais c’est vrai que, lorsqu’une mère rencontre des difficultés après la naissance, ça ne se dit pas beaucoup. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle “la dépression souriante”. On s’est vite aperçues que les chiffres étaient très élastiques, entre 10 et 20% des femmes, mais puisque les critères sont flous et que les jeunes mères essayent souvent de faire bonne figure, on ne peut pas être précis sur l’ampleur du phénomène. D’ailleurs, les pères aussi rencontrent parfois des difficultés suite à l’arrivée d’un enfant, des mecs qui partent en vrille ou se barrent sans raison, car tout est chamboulé. C’est encore plus tabou pour eux, car il y a une pression sociale sur le modèle de virilité, une injonction à ne pas montrer ses émotions.
“La dépression post-partum est un sentiment de déprime profond qui s’installe pour longtemps.”
Quelle différence y a-t-il entre un baby blues et une dépression post-partum?
Le baby blues est un mal-être qui dure quelques jours après la naissance. En revanche, la dépression post-partum est un sentiment de déprime profond qui s’installe pour longtemps, c’est pourquoi il est nécessaire de se faire aider. Mettre des mots sur son ressenti permet d’avancer. Je préfère d’ailleurs le terme de “difficultés maternelles” à dépression, car c’est un phénomène qui ne touche pas que les femmes dépressives. La naissance est un choc, qui réveille des choses en chacune de nous.
Louise Bourgoin dans Un Heureux évènement DR
Pourquoi culpabilise-t-on encore les mères qui souffrent de dépression post-partum?
Plus qu’un discours culpabilisant, je parlerais plutôt de maladresses. Un jour, j’ai entendu une femme dire: “Je ne comprends pas ces mères qui n’aiment pas leurs enfants”. C’est une mauvaise interprétation de la dépression post-partum car, au contraire, ces mères-là s’inquiètent pour leurs enfants, c’est donc une belle preuve d’amour.
“Il y a une certaine pression sur les femmes, avec toute cette génération de “mamans Instagram”, qui ont le ventre plat un mois après l’accouchement, sont épanouies par la maternité, assurent au boulot tout en étant des épouses parfaites.”
Puis, il y a une certaine pression sur les femmes, notamment dans la presse féminine, sans parler de toute cette génération de “mamans Instagram”, qui ont le ventre plat un mois après l’accouchement, sont épanouies par la maternité, assurent au boulot tout en étant des épouses parfaites. C’est un manque de tolérance, en vrai tout le monde galère un peu tôt ou tard. La pression est d’autant plus forte qu’on peut rétorquer à la jeune mère “tu l’as voulu, cet enfant”. Car oui, aujourd’hui, avoir un enfant (ou pas) est un choix, pas comme à l’époque de nos grands-mères où la pilule n’existait pas.
Votre livre fait appel à de nombreux témoignages. Donner la parole aux mères qui ont souffert de ce type de dépression, c’est leur redonner une place en tant que femme, et pas seulement en tant que mère?
Nous avons voulu de la sororité, une fraternité féminine d’entraide autour de cette question. Nous avons rencontré des femmes de tous milieux: chaque dépression est une histoire différente. L’instinct maternel? Je n’aime pas cette notion. Comme si les femmes avaient une lampe qui s’allume à l’arrivée d’un bébé! Je parlerais plutôt d’un instinct animal. Les mères qui souffrent de dépression post-partum ont besoin d’être écoutées, protégées: c’est un sentiment très régressif. Elles ont besoin qu’on s’occupe d’elles. La naissance est une reconnexion au corps.
“Il faudrait informer les femmes enceintes pour qu’elles sachent qu’elles peuvent en passer par là.”
Comment pourrait-on mieux prendre en charge la dépression post-partum?
Prévenir, c’est compliqué, mais il faudrait informer les femmes enceintes pour qu’elles sachent qu’elles peuvent en passer par là. Les professionnels de la maternité devraient être très attentifs à ces signaux. Les pédiatres par exemple devraient davantage se renseigner sur le sommeil et l’appétit de la maman, qui sont des signaux d’alerte. Les associations comme Maman Blues font déjà un gros boulot en la matière. On pourrait aussi instaurer des rendez-vous avec un psychiatre à la sortie de la maternité, remboursés par la Sécurité sociale, à l’instar des séances de rééducation du périnée. Une mère qui va bien, c’est un enfant qui va bien plus tard, donc finalement ça n’aggravera pas forcément le trou de la Sécu à terme. Le plus important à savoir, c’est que, si on se fait aider, on s’en remet, et on devient même une meilleure personne, une meilleure mère. La dépression post-partum peut être une opportunité pour se trouver.
Propos recueillis par Claire Estagnasié
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