Delphine Horvilleur est l’une des deux seules femmes rabbins exerçant en France. Cette Française de 39 ans est convaincue que la religion n’est pas misogyne et encourage ses représentants officiels à ne plus l’être. Interview.
[Cet article a été initialement publié en février 2014]
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À 39 ans, Delphine Horvilleur est l’une des deux seules femmes rabbins en France. Depuis 2008, celle qui dirige également une revue trimestrielle de pensée juive, officie au Mouvement juif libéral de France (MJLF) au centre de Beaugrenelle à Paris. Après avoir grandi en Champagne, cette nancéenne a été élève rabbin dans une synagogue new-yorkaise avant de se voir ordonnée là-bas. Convaincue que les religions ne sont pas misogynes, l’auteure de l’ouvrage En tenue d’Ève invite ses représentants officiels à “explorer le féminin” au-delà des préjugés et exhorte les femmes “leaders d’opinion” à revendiquer l’égalité sans pour autant singer les hommes. Rencontre avec celle qui milite pour une interprétation à deux voix des textes religieux, celle des hommes mais aussi celles des femmes.
Quelles sont les origines de votre vocation?
J’ai grandi dans une famille traditionaliste très attachée à la laïcité et à la République. J’ai vécu en Israël, où j’ai étudié les sciences médicales. L’étude des textes juifs a toujours eu une place importante dans ma vie et j’ai découvert dans une yeshiva (Ndlr: un centre d’étude de la Torah et du Talmud) que tout ce que j’avais essayé de trouver dans d’autres voies -la médecine et le journalisme-, ce voyage permanent entre le texte et l’humain, m’amenait vers le rabbinat. Sauf que je ne savais pas qu’une femme pouvait devenir rabbin. Dans les modèles judaïques que je connaissais, ce n’était pas envisageable, mais je me suis rendu compte que ça existait. J’ai fait un séminaire aux États-Unis et j’ai constaté que les femmes rabbins étaient nombreuses.
Avez-vous connu un modèle féminin qui vous a inspirée pour vous lancer dans cette voie?
À vrai dire, ce ne sont pas tant des femmes rabbins que des rabbins plus globalement qui m’ont servi de modèles, ceux-là même qui n’avaient pas de problème à explorer le féminin dans la religion juive. Partout où l’on évoque le féminin, on parle de capacité d’écoute, d’empathie et de vulnérabilité. Tous ces attributs n’appartiennent pas exclusivement aux femmes. Et les discours religieux limitent bien souvent la femme à ça. Tous les gens qui étaient prêts à aller au-delà de cette représentation ont été des modèles.
“La religion est misogyne lorsqu’elle n’est pas capable de faire une place aux femmes, lorsqu’elle ne leur donne pas accès à l’étude des textes ou encore lorsqu’elle les renvoie à leur seul statut d’épouse ou de mère.”
Le fait d’être une femme change-t-il le regard que l’on porte sur les textes et la pratique religieuse?
Je ne sais pas. Je me méfie toujours de cette vision caricaturale selon laquelle les femmes ont une lecture différentes des choses, qu’elles sont douces et à l’écoute alors que les hommes, eux, sont dans la conquête et la virilité. On connaît tous des contre-exemples! En revanche, quand des femmes ont accès à l’interprétation, qui est l’activité religieuse sacrée dans la vie judaïque, c’est clairement un enrichissement pour tous. Une lecture uniquement masculine ne permet pas de tout faire émerger. D’ailleurs, quand des femmes peuvent incarner un leadership religieux, cela invite la communauté à questionner les présupposés. Lorsque je fais l’office par exemple, je peux incarner bien des visages mais je ne peux pas être un père ou un frère. Ça pousse donc les gens à explorer autre chose dans les textes et la tradition.
Les religions sont-elles toutes misogynes?
C’est une question qui m’est souvent posée et à laquelle il est difficile de répondre. Affirmer que ceux qui interprétaient les textes au XIème siècle étaient misogynes, ce serait anachronique et malhonnête intellectuellement car ils le faisaient dans un contexte particulier propre à l’époque. En revanche, la question qu’il faut se poser aujourd’hui, c’est de savoir si ceux qui parlent au nom de la religion en 2014 le sont. Et bien souvent, ils le sont. La religion est misogyne lorsqu’elle n’est pas capable de faire une place aux femmes, lorsqu’elle ne leur donne pas accès à l’étude des textes ou encore lorsqu’elle les renvoie à leur seul statut d’épouse ou de mère. La religion en elle-même n’est pas misogyne, ce sont ses représentants qui le sont et les interprétations qui en découlent.
“Il me semble dommage que les jeunes générations trouvent au mot ‘féminisme’ un côté revanchard, anti-hommes et old school.”
Pourquoi c’est si long à faire évoluer?
La question des femmes demeure la résistance absolue. On est prêt à bouleverser énormément de choses mais en ce qui concerne les femmes, rien ne bouge. C’est le dernier rempart d’une résistance religieuse car ça renvoie à la question de l’altérité, de l’autre et donc à celle aussi des non-croyants, des couples mixtes, des étrangers, de tous ceux qui sont à la périphérie du groupe, de la norme.
Vous considérez-vous comme féministe?
Oui et je pense qu’il faut se revendiquer féministe. Il me semble dommage que les jeunes générations trouvent à ce terme un côté revanchard, anti-hommes et old school et je trouve encore plus dommage que des gens puissent encore dire qu’ils ne sont pas féministes. Il y a encore énormément de chemin à faire pour tout le monde, nous sommes encore dans la transmission inconsciente de beaucoup de clichés sexistes.
Comment faire pour que le féminisme redore son blason?
Il faut que les femmes leaders d’opinion le réclament ouvertement et qu’elles expliquent ce qu’est le féminisme de leur point de vue. Il faut que des voix féminines revendiquent une place égale, pas forcément identique d’ailleurs car nous n’avons pas besoin de singer le masculin. Par exemple, l’accès des femmes au rabbinat doit s’accompagner d’une façon de penser la féminité. Moi, je porte un châle de prière volontairement très féminin car je ne veux pas imiter mes homologues masculins. Revendiquons la féminité dans l’espace public mais avec des images de la féminité!
Être une femme vous rend-il plus ouverte sur les questions d’homosexualité et de genre en général?
Oui, je crois que la pensée religieuse doit revoir son rapport à l’identité sexuelle car aujourd’hui, on a un autre regard sur l’homosexualité, on ne la vit plus comme une déviance, ou une pathologie. Au sein du judaïsme, elle a été repensée avec beaucoup de courage. Dans ma synagogue, ces réflexions sont toujours en cours. Rien n’est figé et une pensée religieuse est vivante tant qu’elle accepte de n’avoir pas dit son dernier mot.
“La question fondamentale, c’est l’accès au savoir car sans ce dernier, pas de pouvoir!”
Comment se fait-on accepter en tant que femme?
Dans ma communauté, je n’ai eu aucun mal à me faire accepter, même si je pense qu’au début, ce n’était pas évident pour tout le monde. Finalement, ça s’est fait en douceur. En revanche, le fait que je sois une femme pose un problème au Consistoire (Ndlr: les représentants officiels du judaïsme). Quand j’interviens dans des institutions traditionnelles, certains ont du mal à dire “madame le rabbin”.
Comment faire progresser le statut des femmes dans les religions?
Il faut le faire à travers les jeunes générations. Pour les jeunes qui fréquentent nos communautés, c’est déjà culturellement accepté. Les habitudes changent vite quand ça devient normal pour les générations suivantes. Par exemple, aux États-Unis, je demandais aux enfants de me dessiner un rabbin et quand je ramassais leurs dessins, je trouvais 50% de femmes et 50% d’hommes. En France, on n’en est pas encore là mais ça viendra. La question fondamentale, c’est l’accès au savoir car sans ce dernier, pas de pouvoir! Aujourd’hui encore, ce n’est pas évident pour les femmes d’étudier le Talmud car il y a beaucoup de cercles d’études qui ne les acceptent pas. Pourtant, l’accès des femmes à l’étude n’est pas tant le produit d’une révolution féministe ou contemporaine, c’est avant tout une véritable fidélité aux textes et à la tradition.
Propos recueillis par Julia Tissier
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