Elle s’appelle Delphine Delafon et ses sacs bourse, fabriqués en France et faits sur mesure, sont pile dans l’air du temps. Rencontre avec cette créatrice trentenaire à la cool qui a décidé de faire uniquement ce qui lui plaît.
C’est amusant qu’une jeune femme qui sache aussi bien capter l’air du temps ne se serve pratiquement jamais de Facebook. Ça ne l’intéresse pas, dit-elle, c’est son côté “old school”. Et puis Delphine Delafon est comme ça, elle n’aime pas “faire comme tout le monde”. Du coup, ceux qui la demandent en “amie” peuvent attendre des semaines, voire des mois avant d’être acceptés. Voilà pour une facette de la créatrice. Pour l’autre, elle fabrique des sacs sur mesure signés de son nom et convoités par un bon paquet de filles. Preuve qu’elle est donc un peu comme tout le monde. À moins que ce ne soient les autres qui veuillent être comme elle. C’est une hypothèse à garder précieusement en tête car Delphine Delafon a de quoi donner envie ou, pour les plus aigris d’entre nous, de quoi agacer. Car en plus d’être talentueuse, la fille est jolie. Pire encore, elle n’a besoin d’aucun artifice: sa silhouette élancée, ses yeux verts, ses sourcils bruns et ses cheveux de surfeuse font le job. En plus, elle en impose avec sa voix grave à la Anna Mouglalis, dont on se demande si elle la doit aux Marlboro Light qu’elle enchaîne. La créatrice de 32 ans nous a reçues chez elle, Paris rive gauche, dans une très jolie maison de plain-pied qu’elle partage avec Camille, son fils de trois ans, et Max, son colocataire. C’était en plein mois de juillet et elle a parlé, beaucoup parlé puisque, comme elle dit, elle n’a “pas trop de pudeur intellectuelle”.
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Au début, elle en confectionne pour le plaisir mais quand des filles qu’elle ne connaît même pas commencent à débarquer dans sa cuisine le matin pour commander un sac, elle se dit qu’elle tient peut-être un truc.
Ce n’est pas la première fois qu’on la rencontre, on était déjà allée la voir à son atelier, rue du Faubourg-Poissonnière dans le Xème arrondissement, où elle dessine et crée ses sacs bourse, entourée d’une équipe d’une dizaine de personnes. C’est là que la créatrice reçoit ses clientes, uniquement sur rendez-vous: elle viennent et, autour d’un café ou d’un thé, choisissent la taille de leur sac et les matières parmi les dizaines en échantillonnage. Elles touchent, hésitent, tranchent et repartent les mains vides puisqu’il faut compter au moins trois semaines avant de récupérer l’objet tant désiré. À l’époque où le made in France et la personnalisation sont des arguments de vente en béton, la petite affaire de Delphine Delafon, qui se dit davantage “créative que business”, décolle. L’histoire commence en 2010. À l’époque, elle est enceinte et s’ennuie. Ne trouvant nulle part le sac dont elle rêve, elle décide de se le fabriquer toute seule. Voilà l’avantage de savoir se servir de ses mains. Une de ses copines le remarque et veut le même. Puis, une amie de cette copine et ainsi de suite. Au début, elle en confectionne pour le plaisir mais quand des filles qu’elle ne connaît même pas commencent à débarquer dans sa cuisine le matin pour commander un sac, elle se dit qu’elle tient peut-être un truc. Elle vient d’accoucher et, les biberons dans une main, la machine à coudre dans l’autre, elle décide de se lancer. Aujourd’hui, pour un sac, il faut débourser entre entre 400 et 1800 euros selon les matières choisies. Encensée par la presse, Delphine Delafon voit son carnet de commandes gonfler de jour en jour.
© Laetitia Prieur
Mais cette inventive n’en est pas là par hasard. Née à Santa Monica dans le comté de Los Angeles, la jeune franco-américaine y a vécu cinq ans car son père, dans la finance, “un peu fantaisiste et mégalo”, avait décidé de faire fortune aux États-Unis. Sa mère, plutôt “posée et discrète”, est peintre et restauratrice de tableaux. De retour en France, la famille s’installe à Paris. De l’école, l’aînée de cette fratrie de trois conserve de mauvais souvenirs: “J’étais nulle et inadaptée, je ne me sentais pas comprise, j’avais plein de difficultés et les profs s’en foutaient un peu.” Elle pousse malgré tout jusqu’à un bac littéraire, qu’elle foire. En 2000, elle s’inscrit à Penninghen mais l’expérience est décevante. Un an plus tard, elle part pour une école de mode, l’Atelier Chardon Savard. Rebelote. Cette fois-ci, direction le Studio Berçot. Mais le déclic ne vient toujours pas: “Ça ne m’a pas plu et je me suis dit qu’il fallait que j’arrête l’école.” Sage décision, acceptée par ses parents à une seule condition: “Il fallait que je trouve un job.”
Engagée comme assistante studio, elle se retrouve vite propulsée à la tête de la ligne Michel Klein bis.
C’est comme ça que Delphine Delafon s’est retrouvé chez Carven. Cette admiratrice de Balenciaga -“à l’époque de Nicolas Ghesquière”- et d’Yves Saint Laurent est alors assistante de la directrice haute-couture. Six mois s’écoulent avant qu’elle ne fasse ses premiers pas au studio de création. Elle y reste trois mois et un redressement judiciaire a raison de son poste. C’est bien avant l’arrivée salvatrice de Guillaume Henry dans la maison de couture. Entre-temps, Michel Klein a fait appel à elle. Engagée comme assistante studio, elle se retrouve vite propulsée à la tête de la ligne Michel Klein bis. “J’avais une collection entière en main que je devais dessiner. Il fallait s’occuper de tout et j’ai appris beaucoup de choses.” Elle y reste trois ans puis décide de s’en aller et de créer sa propre marque. Heimstone sera le fruit de sa rencontre avec Alix Petit. L’aventure dure trois ans avant de (mal) se terminer. Là-dessus, la créatrice n’a pas envie de s’éterniser. Depuis 2009, Heimstone continue sans elle.
© Laetitia Prieur
Aujourd’hui, c’est du passé et la griffe Delphine Delafon est en plein développement. Depuis septembre dernier, la trentenaire s’aventure de nouveau dans le prêt-à-porter, seule cette fois-ci. “Pourquoi ne pas coller le schéma des sacs sur un autre produit?”, s’est-elle demandé. Pour le moment, elle se concentre sur le costume sur mesure. Le service est haut de gamme, les matières nobles et les prix élevés: 2000 euros pour une veste en cuir, “une pièce unique”, précise-t-elle. “Très heureuse”, Delphine Delafon fait de toute façon “ce qu’il faut pour l’être”: “J’ai de la chance car j’ai les moyens de mes caprices.” Capricieuse, Delphine Delafon? Elle n’en a pas l’air, on lui envie plutôt sa cool attitude, le genre à ne pas donner trop d’importance aux tracas du quotidien et à les balayer d’un revers de la main. À croire qu’elle a dû traverser pas mal d’épreuves qui lui ont permis de relativiser. Là-dessus, elle ne dit rien non plus. Séparée de son mari il y a plus d’un an, Delphine Delafon garde toujours un œil sur son fils quand il est avec elle. “Je n’avais pas l’instinct maternel, ça m’est un peu tombé dessus”, estime-t-elle. “Un enfant devient vite le centre de ton monde mais j’essaie de cultiver son indépendance, de ne pas trop l’écouter et de faire en sorte qu’il ne s’écoute pas trop non plus.” D’ailleurs, si elle devait lui faire passer un message, elle lui dirait que “la vie est dure et qu’il faut savoir se botter le cul”. Un mode de pensée et d’action volontariste qui expliquerait qu’elle ait choisi Sarkozy au second tour de la présidentielle? “C’était surtout par défaut, je me disais qu’il se passerait plus de choses avec lui qu’avec Hollande, explique-t-elle. La politique, je m’en fous un peu et puis je n’en parle pas, sinon je me fais allumer par mes amis qui sont tous de gauche.” Cette grande fêtarde choie son indépendance. Elle continue de traîner au Flore ou au Montana: “J’ai besoin de lâcher prise de temps en temps et puis, je ne veux pas me faire dicter mon planning par mon enfant.” Son fond d’éducation catholique n’a laissé aucune trace: “Plus le temps passe, moins j’y crois. La religion a été créée par les hommes pour se rassurer. Mon fils, mon travail, ce sont ces choses-là qui me rassurent.” Et puis, on imagine qu’il y a ses bottes aussi. Celles qu’elle porte hiver comme été, y compris pour aller à la plage.
Julia Tissier
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