Dans son nouveau livre, “Choisir d’être mère”, la journaliste et autrice féministe Renée Greusard lève le voile à paillettes posé sur la maternité pour en dresser un portrait plus complexe et plus vrai, s’appuyant sur sa propre expérience et sur des entretiens avec des femmes et des expert·es.
Si vous êtes enceinte ou projetez de l’être, alors il faut vous jeter sur ce livre. Avec ce nouvel ouvrage, Choisir d’être mère (Éd. Lattès), la journaliste et autrice Renée Greusard répond à toutes celles et ceux qui se contentent de vous servir le fameux “les enfants, c’est que du bonheur”. Non, ce n’est pas que du bonheur -loin de là- et croyez-la, c’est bon à savoir lorsqu’on se dirige vers la voie de la parentalité. “Je ne crois pas qu’on puisse consentir à quoi que ce soit sans être informée, écrit-elle. Si je me sens prête à vous parler, c’est que mon propre consentement à la maternité n’a pas été éclairé. J’aurais aimé qu’on me prévienne plus et qu’on me dise la vérité.” C’est précisément à cette vérité si salvatrice qu’il faut vous attendre en tournant les pages de cet excellent livre qui ne cache rien de ce que recouvre la maternité, et plus globalement la parentalité.
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Avec beaucoup d’humour et de pertinence, Renée Greusard aborde tous les sujets auxquels les jeunes mères se retrouvent très vite confrontées sans forcément y avoir été préparées. Des difficultés de l’allaitement à l’ennui ressenti au parc en passant par la multiplicité des maladies infantiles bénignes, la grande arnaque du “congé” maternité ou encore le tsunami qu’est un enfant pour le couple, la journaliste aborde tous les sujets qui sont encore trop souvent tus. Alternant entre le récit de son expérience personnelle, des témoignages de mères et des interviews de spécialistes, elle ambitionne “de permettre aux femmes de ne pas partir en trek au Népal avec des escarpins”. On lui a posé quelques questions.
Qu’est-ce qui t’a poussée à écrire ce livre?
J’ai beaucoup douillé en devenant mère et j’ai été scandalisée de découvrir qu’on envoie les femmes en enfer sans les prévenir en amont de ce qui les attend! (Rires) Le but de ce livre est de montrer que la parentalité est une histoire complexe, très belle et joyeuse mais souvent difficile aussi. J’ai été frappée par l’absence d’informations qu’on aurait dû me donner avant mon accouchement, qu’il s’agisse de la disponibilité permanente, de l’absence d’espace et de temps pour soi, de la question du sommeil ou encore des crises de l’enfant. J’aurais voulu savoir tout ça avant d’avoir mon fils. Non pas que j’aurais changé d’avis mais je ne serais pas partie la fleur au fusil comme ça. J’ai fait une dépression post-partum, mon couple a explosé, j’ai vécu une période trash et je me suis rendu compte, a contrario, que tous les sujets sur lesquels j’avais été briefée avant n’ont jamais posé problème. Une femme prévenue est une femme plus forte.
Ton enfant a six ans, pourquoi ne pas avoir écrit ce livre avant?
L’idée de ce livre est venue très vite, Ulysse avait 10 mois: très rapidement, j’ai été révoltée qu’on ne dise pas la vérité aux femmes au sujet du “congé” maternité. Après la naissance, j’ai vraiment galéré, j’avais un mal fou à écrire, je me heurtais au syndrome de la page blanche. J’étais dans une disposition permanente à mon fils. Les enfants sont tellement en demande d’attention et de soins qu’au début, le retour au travail s’apparente à des vacances! Quand je ne m’occupais pas de lui, j’essayais de me retrouver, de me rencontrer à nouveau. Mon échappatoire, c’était la fête: j’avais le sentiment de me récupérer lorsque j’étais sur le dancefloor. Tout ça ne permet pas de faire un livre dans des conditions sereines, il m’a fallu quelques années pour que le projet aboutisse.
Tu écris que tu n’as pas “consenti à être mère”, qu’entends-tu par là?
Pour consentir, il faut choisir et pour choisir, il faut être éclairée. Je vais prendre un exemple très simple: on propose à une personne deux verres, dans l’un, il y a du jus de pomme et dans l’autre un jus dont on ne connaît pas la saveur. Peut-on vraiment choisir si on ne sait pas ce qu’il y a dans l’un des deux verres? J’ai désiré être mère, mais je n’ai pas consenti à l’être dans le sens où je ne savais pas ce qui m’attendait réellement.
De ton côté, tu as été bercée d’illusions sur la parentalité avant de l’expérimenter?
Complètement. A postériori, je me rends compte que je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. Je projetais des choses sur la parentalité: je me voyais faire des goûters pour l’anniversaire de mon fils, lui faire faire l’avion, ou lui donner le sein mais la réalité, c’est que j’ai pleuré tous les jours et que je n’ai pas dormi pendant une longue période! Je ne regrette absolument rien, mais j’ai découvert ce que signifie être disponible pour quelqu’un en permanence, 24 heures sur 24. On envoie les femmes au charbon sans leur dire ce qui les attend.
Aujourd’hui, on ne vit plus la parentalité de la même façon, tu écris qu’on la “sublime” et que ça induit tout un tas de nouvelles injonctions, lesquelles?
Un sociologue, Gérard Neryand, explique que c’est lié à un changement démographique: aujourd’hui, on fait beaucoup moins d’enfants qu’avant car la mortalité infantile a très fortement baissé. Nous ne sommes donc plus des berger·es élevant un troupeau mais des artistes de la vache! (Rires) Ainsi, éduquer un enfant devient une valeur à part entière, d’accomplissement et de réussite sociale. Et c’est comme ça qu’on se retrouve à sublimer ce goal qu’est devenue la parentalité.
Dans ton livre, tu égratignes l’éducation bienveillante et toutes les injonctions qui vont avec, comment participent-elles à la culpabilité parentale, et plus particulièrement à la culpabilité maternelle?
Sur le papier, il n’y a rien à redire sur l’éducation bienveillante. Je considère évidemment mon enfant comme une personne, et j’écoute le plus possible ses besoins et aussi ses reproches à mon égard. En revanche, je pense qu’un enfant a besoin d’un cadre ferme, c’est ce qui le sécurise et la fermeté n’exclut pas la bienveillance. Dans la vraie vie, personne n’est parfait et on fait toutes et tous du mieux qu’on peut. Parfois, quand son enfant hurle car on a appuyé sur le bouton de l’ascenseur à sa place, on a le droit de se mettre en colère. On se doit d’être bienveillant·e envers son enfant mais aussi envers soi-même. On ne peut pas faire fi de toutes ses limites et de tous ses besoins, et ça c’est quelque chose qui n’est pas suffisamment pris en compte dans l’éducation bienveillante.
Les maladies infantiles récurrentes, l’aliénation de l’allaitement, le corps d’après, la disponibilité permanente, l’impact sur le couple, comment expliques-tu que tout ça soit quasiment passé sous silence?
Derrière cette omerta se cache un enjeu démographique: le secret existe pour préserver la natalité de nos pays. On ne veut pas que les femmes sachent car on souhaite qu’elles fassent des enfants. Une fois, alors que je parlais des difficultés que je rencontrais, on m’a dit: “Ne dégoûte pas les autres.” Cette loi du silence est devenue inacceptable pour notre génération, je pense à des personnalités comme Illana Weizman ou Masha Sexplique, nous sommes une génération de femmes qui veulent de la transparence, que ce soit sur la sexualité ou sur la parentalité. Nous voulons avoir le choix et ne plus subir. Ce phénomène n’est pas forcément nouveau, d’autres femmes à l’image d’Annie Ernaux ont ouvert la brèche mais aujourd’hui, les témoignages sont de plus en plus nombreux.
On apprend beaucoup de choses dans ton livre, tu lèves notamment le voile sur la nuit de java sur laquelle les parents ont très peu d’informations, peux-tu nous en dire davantage?
La nuit de java est la deuxième ou troisième nuit après la naissance pendant laquelle l’enfant pleure énormément pour être nourri. Lorsque le bébé naît, il est épuisé par l’effort qu’il a fourni et à l’inverse, la mère, qui a beau être fatiguée, est dopée à l’adrénaline et souvent elle ne dort pas beaucoup. Ensuite, de son côté, ça retombe alors que la montée de lait a lieu et c’est là que l’enfant va être énormément en demande. Pour ma part, je n’avais pas été prévenue, j’ai crû que j’allais mourir durant cette nuit…
On apprend aussi que les parcs pour enfants ont été initialement inventés dans le but d’endiguer la criminalité…
Oui, c’est dans un article de Ferdinand Cazalis que j’ai trouvé l’histoire fascinante du jardin d’enfants. C’est une invention relativement récente née en Allemagne qui s’est ensuite exportée aux États-Unis à la fin du XIXème siècle dans le but d’endiguer la criminalité, particulièrement la criminalité supposée des enfants noirs qui étaient considérés à l’époque comme des “sauvages”.
On sait que les inégalités femmes-hommes dans les couples hétéros explosent à l’arrivée de l’enfant, quelles sont les plus révoltantes?
J’en ai identifié deux. Il y a d’abord le temps passé à s’occuper de l’enfant: les femmes passent 2,1 fois plus de temps que les hommes à s’occuper des enfants. Ensuite, on constate une inégalité criante dans la baisse des activités de loisirs: si les deux parents voient leur temps de loisirs se restreindre, dans les couples hétéros, c’est la femme qui en pâtit le plus.
Quel message as-tu envie de faire passer aux femmes qui sont en passe de basculer dans la parentalité?
J’aurais envie de leur dire que oui, c’est vrai, un enfant c’est merveilleux, c’est une bulle d’amour qui nous fait grandir vite! Mon fils m’apprend par exemple à être patiente alors que je suis la personne la moins patiente du monde. Mais que ce n’est pas tout. Si elles ne sont pas enceintes, je leur dirais de s’assurer qu’elles désirent prendre cette voie, de questionner leur désir pour être certaines de ne pas céder à une injonction sociétale. Selon moi, la bonne question à se poser, c’est “À la fin de ma vie, si je n’ai pas eu d’enfant, est-ce que cela me rendra malheureuse?” À celles qui attendent un enfant, je leur dirais: “Considérez que vous partez courir un marathon et préparez-vous en conséquence. Renseignez-vous au maximum, réfléchissez déjà à l’organisation de l’après avec votre conjoint·e et pensez à mettre votre entourage à contribution.” J’aimerais qu’il y ait davantage de solidarités entre jeunes parents et qu’on sorte de nos bulles familiales très restreintes, on pourrait imaginer des communautés de parents qui s’organisent entre eux, qui se rendent service car même si c’est difficile, c’est important de demander de l’aide. Personnellement, j’ai attendu d’avoir épuisé mon stock de forces pour le faire et c’était une erreur, il faut le faire bien avant, c’est la clé!
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