Le réalisateur Océan et l’autrice et comédienne Sophie-Marie Larrouy, ami·es depuis plus de 10 ans, questionnent leur désir d’enfant et plus largement, celui de faire famille autrement dans une nouvelle série documentaire décalée et émouvante sur France.tv Slash.
Le réalisateur Océan et l’autrice et comédienne Sophie-Marie Larrouy, dite SML, se connaissent depuis plus de 10 ans. Dans la vie, comme dans la série documentaire Faire famille sortie le 31 mai sur France.tv Slash, ils vivent sur le même palier et passent leur vie ensemble. Alors quand SML, à 38 ans, s’interroge sérieusement sur son désir d’enfant, Océan l’accompagne aussi bien dans ses réflexions qu’à ses rendez-vous médicaux et se pose la question d’une éventuelle “place dans cette famille”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si dans les deux saisons précédentes, le réalisateur documentait sa transition et mettait en lumière le parcours de personnes trans et non binaires, il s’intéresse dans cette troisième saison aux multiples façons de faire famille autrement, hors des schémas hétéronormatifs.
Ces deux potes, qui déjà font en quelque sorte famille, se rendent donc ensemble dans les cabinets de gynécologues français ou belges pour connaître leurs options et essayer de répondre à cette question que se pose SML avec une candeur malicieuse: “Comment est-ce qu’on fait un enfant quand il n’y a pas d’amoureux dans l’équation?” Les questionnements sont nombreux: opter pour une FIV à l’étranger avec don de sperme? Se lancer dans une monoparentalité? Proposer une coparentalité à un couple d’amis gays? Comment dissocier le couple de la famille? Porter l’enfant ou pas? Est-ce que finalement un chien ne serait-il pas une meilleure option?
Pour tenter de trouver des réponses et leur propre chemin sur la route des parentalités queers, Océan et SML vont à la rencontre de celles et ceux qui sont déjà passé·es par là -des parents solos, des couples gays ou lesbiens, des familles transparentales- mais aussi d’enfants nés de dons de gamètes. Au fil de la série, on les voit évoluer dans leurs désirs, leurs questionnements, leurs peurs et leurs doutes. On les voit aussi s’engueuler car penser la parentalité en dehors des normes sociales cishétéros reste un sacré challenge d’invention permanente. Un challenge sublimé par Océan qui signe ici une série émouvante et nécessaire. Entretien.
Quel a été le point de départ de cette troisième saison?
Mon travail fait souvent écho à ce que je traverse d’un point de vue personnel. Dans la saison 2, j’ai voulu mettre en avant la diversité des parcours de transition après avoir moi-même transitionné. Là, dans la saison 3, je me suis intéressé à la question de la famille. Avec Sophie-Marie Larrouy, on vivait sur le même palier, on était célibataires, et elle réfléchissait à son désir d’enfant et se posait la question de faire famille autrement. On a traversé ces questionnements ensemble et je me demandais quelle allait être ma place là-dedans. Lorsqu’on est queer, on est souvent dévalorisé, on peut avoir le sentiment qu’on ne mérite pas d’avoir de famille autant que les autres donc j’avais envie de mettre en valeur d’autres modèles familiaux, de dire qu’ils sont tous aussi beaux. C’est d’autant plus nécessaire selon moi qu’on constate que le premier lieu des violences faites aux femmes et aux enfants, c’est la famille hétéros cis patriarcale, donc tout ce discours anti-trans et anti-LGBTQI+ qui met dans la balance le bien-être des enfants est complètement infondé et irrationnel. C’était important pour moi de dire aux jeunes queers, qui sont souvent rejetés par leurs familles, qu’ils peuvent s’en constituer une autre, de façon différente. Ça me tenait à cœur d’employer le mot “famille” car on a le droit de se réapproprier des mots et des usages traditionnels pour en faire quelque chose qui nous ressemble. Dans la saison 3, je montre des personnes, que je connaissais avant pour la plupart d’entre elles, qui ont construit des familles différentes avec des enfants désirés, réfléchis et aimés. Je les trouve belles et courageuses car la société ne les encourage pas à prendre cette voie-là.
À un moment donné dans la série, SML dit à votre mère “on est quand même famille avec Océan.” Quelle est justement votre définition de la famille?
La famille, c’est une constellation. Ce sont des liens de soin, d’amour, de responsabilité et d’engagement vis-à-vis des autres. Ça prend du temps et de l’énergie pour la construire car ça nécessite de se faire confiance et parfois c’est difficile. La famille doit être l’endroit de la sécurité psychique et matérielle. Pour les jeunes queers, les familles biologiques ne sont malheureusement pas toujours des endroits de sécurité et ça va faire partie de leur chemin de vie de s’en créer une autre où ils pourront être eux-mêmes. Et puis, la famille, je tiens à le préciser, ce n’est pas forcément faire des enfants.
Vous êtes ami avec SML depuis plus 10 ans et lorsqu’elle vous parle de son désir d’enfant, vous vous posez très vite la question de votre place…
À partir du moment où on traîne ensemble toute la journée et qu’on habite sur le même palier, ça va forcément avoir un impact sur notre quotidien. En tant que meilleur ami, j’ai une grande liberté de choix quant à la place que je peux prendre dans cette aventure. Lorsque Sophie-Marie m’en a parlé, je lui ai tout de suite dit qu’elle pouvait faire un enfant sans pour autant être en couple, que je serai là pour eux, que je serai un soutien psychologique et matériel.
Vous n’avez pas d’enfant et dans le documentaire, vous dites qu’a priori, vous n’en aurez pas, quel est votre rapport à la parentalité?
C’est difficile de répondre à cette question n’ayant pas d’enfant mais pour moi, il y a plein de façons différentes de transmettre. J’ai des liens très forts avec des jeunes queers et des jeunes hommes trans qui n’ont pas forcément des familles soutenantes, parfois certain·es m’appellent même “Papa” pour rigoler! Je les aide, il y a un lien de transmission entre nous et je suis persuadé que ce dernier peut exister même sans aucun lien de sang. La parentalité, c’est accompagner, transmettre, protéger et entrer en relation avec un véritable engagement et c’est tout à fait possible de le faire avec des gens avec lesquels on n’a pas de lien biologique.
Est-ce que vous avez perçu à un moment donné votre orientation sexuelle, ou votre identité de genre comme un obstacle à la projection dans la parentalité?
Je pense que, comme beaucoup de personnes queers, j’ai internalisé de l’homophobie, de la transphobie et vu la galère que c’était pour devenir parent, vu tous les obstacles qu’il fallait surmonter, j’ai laissé de côté l’idée de faire un enfant. À l’époque où j’étais dans des relations de couples lesbiens, il faut rappeler que la loi sur la PMA n’était pas encore passée, et qu’on était sans cesse renvoyé·es au fait qu’on ne méritait pas de faire famille. Je n’ai jamais eu une envie viscérale de parentalité, et aucune de mes partenaires non plus donc ça ne s’est pas fait, même si j’étais tout à fait prêt à l’envisager.
Jusqu’en 2016, on conditionnait le changement d’état civil suite à une transition à une stérilisation, aujourd’hui ce n’est heureusement plus le cas et les hommes trans peuvent porter un enfant. Dans la série, vous dites que vous auriez détesté être enceinte lorsque vous étiez perçu comme femme, mais qu’en tant qu’homme trans, vous auriez pu le faire. Pour quelle raison?
Porter un enfant lorsque j’étais perçu comme une femme, ça aurait été trop pour moi avec tous les stéréotypes que charrie la grossesse. Mais une fois perçu comme un homme, tout d’un coup, ça devenait une expérience de vie qui pouvait me plaire. Ça aurait été une grossesse différente et c’est vrai que je me suis posé la question. Mais j’ai transitionné tard et les personnes trans n’ont toujours pas le droit d’accéder à a PMA, nous sommes encore traités comme des sous-citoyen·nes. On peut aller à l’étranger mais administrativement, ça reste une galère.
Dans la série, vous allez à la rencontre de parents queers, qui se détachent des normes de genre, des normes sociales cishétéros, qu’est-ce que vous inspire ces autres façons de faire famille?
Tous ces témoignages nous ont beaucoup nourri·es, ébloui·es, intéressé·es. Voir des gens avec une force incroyable, celle de se confronter au regard social et de tracer leur route, c’est toujours très inspirant. C’était important pour moi de les filmer car les spectateur·rices peuvent s’en inspirer et potentiellement s’identifier. Je voulais montrer des parents célibataires, des projets de coparentalité, des familles transparentales et aussi des personnes qui décident de ne pas faire d’enfant et dire que tous ces scénarios sont possibles et ont la même valeur.
Est-ce que les représentations des familles queers évoluent au sein de la société?
Je trouve qu’il n’y en a pas forcément beaucoup et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle j’ai réalisé ce film. J’ai clairement voulu pallier au manque de représentations avec ce documentaire et créer de la visibilité pour les familles queers. Ça permet à plein de gens de se projeter éventuellement dans des schémas différents. Je me dis souvent que si les informations sur la question trans avaient été plus accessibles, j’aurais peut-être transitionné beaucoup plus jeune, à 18 ou 20 ans. Les choses bougent quand même un peu, on a aujourd’hui davantage de représentations queers et féministes mais il y a aussi un backlash violent et plein de mouvements anti-trans et réacs qui émergent et qui sont inquiétants.
Qu’est-ce que les parentalités queers, qui apparaissent libératrices car elles s’inventent en permanence et en direct, peuvent-elles apporter aux parentalités dites ”classiques”?
Plein de choses! Les parentalités queers doivent se construire face à l’adversité et aux résistances et elles réfléchissent énormément à ce qu’elles veulent transmettre et construire. Leurs réflexions vis-à-vis du patriarcat, de la norme et de la domination masculine sont enrichissantes pour tout le monde. Elles déconstruisent aussi les rôles genrés du père et de la mère, les cartes sont rebattues et elles reposent la question de “qui fait quoi?”. Ça peut faire bouger les lignes des familles traditionnelles qui ont parfois du mal à se défaire de certaines injonctions liées à ces rôles sociaux. Tout est hyper réfléchi car les familles queers n’ont pas d’autre choix que de se poser des questions: comment aimer? Comment transmettre? Comment protéger? Et elles trouvent des solutions.
{"type":"Banniere-Basse"}