Dans un roman graphique émouvant illustré par Audrey Lainé, la réalisatrice et autrice Ovidie revient sur son adolescence au moment même où sa fille de 15 ans est en train de vivre la sienne.
“L’été où ma fille a fêté ses 15 ans, c’est comme si j’avais été renvoyée 25 ans en arrière. Tout est remonté à la surface, même ce que je ne voulais surtout pas voir resurgir.” C’est par ces mots qu’Ovidie ouvre sa nouvelle BD, Les Cœurs insolents, illustrée par Audrey Lainé et préfacée par l’écrivaine et performeuse Wendy Delorme: elle y documente son adolescence, celle d’une “jeunesse de la classe moyenne et de la France pavillonnaire des années 90”.
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À l’époque, il n’y a ni téléphone portable ni réseaux sociaux mais le minitel, les cassettes, les films loués au vidéo-club du coin de la rue, et il est encore possible de fumer des clopes dans la cour du lycée. “Le fait d’avoir une fille ado m’a replongée en arrière, m’a fait revivre des passages de ma propre adolescence« , explique Ovidie. Au fil des pages, l’autrice et réalisatrice se remémore certaines expériences pour lesquelles, à l’époque, il n’y a pas encore de mot: personne ne parle encore du du harcèlement de rue, du slut-shaming ou encore des violences sexuelles ordinaires. Avec habilité et délicatesse, Ovidie compare les époques en évoquant ses souvenirs à la lumière de ce que les jeunes de la génération de sa fille, nés au début des années 2000, vivent aujourd’hui. On lui a posé quelques questions.
Pourquoi avoir voulu explorer ce parallèle entre ton adolescence dans les années 90 et celle des ados d’aujourd’hui?
C’est lié à ma parentalité bien sûr et c’est aussi lié au fait que je fais régulièrement des interventions dans des lycées. Je suis donc souvent confrontée à des jeunes gens et je ne peux m’empêcher de comparer leur adolescence à la mienne. Je me dis souvent “tiens, c’est marrant, ils sont vachement avancés sur ce sujet-là” ou encore “nous, on n’avait pas ce problème”. Ça m’amène naturellement à m’interroger sur ce qui a changé.
Si tu devais décrire ton adolescence en quelques mots?
Classe moyenne, France pavillonnaire, recherche de radicalité et d’identité.
Et celle de ta fille de 15 ans?
Ce sont presque les mêmes mots qui me viennent à l’esprit. Je dirais aussi recherche de radicalité et France provinciale. Finalement, j’ai le sentiment que, sur bien des points, on n’a pas une adolescence si éloignée que ça toutes les deux. Certes, le monde a changé mais j’ai l’impression qu’il y a un véritable déterminisme social donc je ressemble à mes parents et ma fille me ressemble. Pour le meilleur et parfois pour le pire! (Rires)
Qu’est-ce qui a profondément changé entre ta génération et la sienne?
Je trouve cette génération vachement éveillée et très avancée sur des notions comme le consentement, dont on ne parlait jamais à l’époque où j’étais adolescente. Je l’écris dans la BD, je pense qu’il y a plein d’hommes de mon âge qui ont du viol ordinaire sur les mains car à l’époque rien n’était remis en question. Ma fille fait partie de cette génération qui est entrée en adolescence au moment où MeToo a éclaté. Ils·elles ont grandi avec les notions de consentement, de harcèlement, de slut-shaming, de revenge porn. Tous ces termes font désormais partie de leur vocabulaire et ça signifie qu’il y a eu une véritable révolution de ce côté-là. Je trouve les garçons d’aujourd’hui aussi beaucoup plus conscientisés que ceux que j’ai pu croiser à mon époque sur les questions de sexisme, d’homophobie, de racisme mais aussi d’écologie ou de végétarisme. Celui qui est homophobe passe pour un ringard ou un vieux con. Ils·elles sont 15 kilomètres devant par rapport à nous et ça donne beaucoup d’espoir pour la suite.
Qu’est-ce qui doit encore changer?
Qu’on dégage et qu’on leur laisse la place! Nous, on fait ce qu’on peut, on se débat pour faire avancer les choses mais finalement, je pense que ça ira bien le jour où on laissera la place, la liberté et la possibilité de construire un autre monde à cette génération et à ses enfants.
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