Dali Misha Touré, 25 ans, étudiante en psychothérapie et écrivaine, a déjà signé quatre romans. Parmi eux, Cicatrices, le premier publié récemment à compte d’éditeur. C’est le récit sensible au ton enfantin d’une adolescente incomprise par sa propre famille, au sein d’un foyer polygame quelque part en banlieue parisienne, et qui trouve refuge dans les mots. Rencontre.
L’endroit de notre rencontre n’a rien d’un lieu trouvé au hasard. O’Parinor, centre commercial d’Aulnay-sous-Bois, Dali Misha Touré le connaît comme sa poche. Une bise à la vendeuse de la cafétéria et nous voilà installées pour une heure d’entretien. Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, c’est la ville d’enfance de l’écrivaine, celle où elle habite toujours.
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Cicatrices, son deuxième roman, écrit et auto-édité alors qu’elle n’avait que 15 ans, ressort aujourd’hui, dix ans plus tard. Marie Hermann, des éditions Hors d’atteinte est tombée dessus en octobre 2017 lors d’un trajet en train Marseille-Paris. Arrivée à destination, l’éditrice rencontre Dali Misha Touré et lui confie son intérêt de le publier. Réponse de l’autrice: “Ah merci, c’est gentil!” La version 2019 est un peu retravaillée mais le ton est le-même, celui d’une adolescente évoluant dans un environnement familial violent, devenant elle-même agressive et qui trouve un échappatoire dans l’écriture. Une histoire qui aurait pu se passer à Aulnay-sous-Bois. Ou ailleurs. Le récit se veut universel. Cicatrices commence avec des mots très forts de la narratrice adolescente sur ses souffrances dans ce foyer violent. Mais elle ne juge jamais ses parents.
Oui, elle se demande comment son père polygame fait pour s’organiser. Elle raconte les coups qu’il lui assène, sa mère inattentive, les moqueries qu’elle subit de ses frères et sœurs, l’absence de communication dans cette grande famille, les bagarres entre les épouses… C’est le récit d’une enfant avec son regard d’enfant. Mais sa situation est normale, car elle ne connaît que ça même s’il est hors de question pour elle d’avoir un époux polygame plus tard. C’est une jeune fille perdue qui aime ses parents et qui les déteste aussi. Interview.
Cette histoire, tu l’as écrite à 15 ans. Cette narratrice, c’est toi, un peu toi, pas du tout?
C’est un personnage que j’ai inventé tout en m’inspirant à la fois de ma vie et de celle d’autres. Par exemple, son rapport à l’écriture, c’est quelque chose que j’ai vécu. En revanche, son schéma familial, l’incompréhension de ses parents sur ses choix, ça ce n’est pas moi. Je me suis surtout inspirée de gens de mon entourage qui vivaient des situations similaires et qui se confiaient beaucoup à moi. D’habitude, mes personnages ont une identité définie. Là, je ne voulais ni lui donner de prénom, ni l’incarner dans un contexte précis pour que tout le monde puisse s’identifier. Je ne voulais pas enfermer mon personnage dans un territoire.
“Pour la narratrice, le moyen de s’en sortir, c’était qu’elle écrive.”
Il y a le personnage de Matilda de Roald Dahl que la narratrice admire beaucoup. Pourquoi l’avoir intégré dans ce récit?
Quand j’étais petite, moi aussi j’aimais l’histoire de Matilda, je voulais être une surdouée comme elle. Quand j’ai commencé à écrire à 14 ans, je me disais que j’étais Matilda, version noire! (Rires.) J’ai voulu l’intégrer dans le livre car souvent on imagine que les enfances difficiles ne sont le lot que des filles noires, de parents immigrés etc… Matilda n’est pas noire et pourtant son histoire est aussi douloureuse.
Est-ce que, pour toi, la littérature est une manière d’aborder des sujets comme la polygamie sans être dans la confrontation?
Oui! Sur ce sujet, par exemple, on va souvent avoir des experts qui vont se réunir, débattre, mais jamais des gens qui ont vécu cela et qui racontent le sujet de leur point de vue. Pour ce travail, j’ai parlé avec des personnes qui ont grandi dans des familles polygames, des amis pour qui cela se passait bien et d’autres qui l’ont mal vécu.
Tu écris “Les cicatrices physiques peuvent partir en quelques semaines voire en quelques jours mais les cicatrices mentales peuvent prendre des mois, des années, voire même ne jamais partir”. C’est l’écriture qui permet à cette adolescente d’exister. Toi aussi tu penses que les mots peuvent panser des plaies?
Oui, j’en suis sûre! D’ailleurs, l’écriture, c’est mon point commun avec la narratrice. J’écris des histoires depuis que j’ai appris à écrire à l’école, ça a toujours été un exutoire pour moi. Pour la narratrice, le moyen de s’en sortir c’était qu’elle écrive. Ces cicatrices, elle les a domptées et en a fait une force.
“Les mots sont gratuits, ils n’appartiennent à personne.”
Comment as-tu accepté qu’une maison d’édition retravaille ton texte alors que tu as été habituée à écrire seule?
Quand j’ai commencé à écrire à 14 ans, je voulais absolument être publiée par une maison d’édition. Je visais haut! Je tapais sur Google “maisons d’édition” et j’ai envoyé mes textes à plus d’une vingtaine d’entre elles dont Gallimard, mais à chaque fois, soit je ne recevais aucune réponse, soit on m’envoyait des contrats à compte d’auteur·rice où il fallait tout financer soi-même! Je n’ai pas eu d’autre choix que de m’auto-éditer. J’allais sur Open Office, je faisais moi-même les mises en page. J’ai aussi trouvé un site, lulu.com, pour la couverture de mes livres et j’ai tout fait toute seule.
Malgré ces galères, tu te considères bien comme une écrivaine?
Oui, pour moi, être écrivain·e, c’est écrire, et comme mes livres ont été publiés, je me considère comme telle. S’il y a plusieurs personnes qui vous lisent, pour moi on est écrivain·e.
Tu n’as jamais ressenti de sentiment d’illégitimité?
Jamais! Dans mon premier livre, j’ai écrit “les mots sont gratuits, ils n’appartiennent à personne”. Pour moi, l’écriture est universelle, sans milieu d’appartenance. Je ne me suis jamais mis de barrière. D’ailleurs, dans mon entourage, depuis que j’écris, on m’a toujours encouragée, personne ne m’a jamais dit “qui va lire un livre d’une gamine de 14 ans?”. Pour moi, chacun·e a son style d’écriture. Je suis française, noire, malienne, voilée, jeune et écrivaine.
Est-ce que dans ta démarche, tu souhaites aussi envoyer un message à des jeunes, pour qu’ils et elles s’autorisent des ambitions?
Oui, le plus possible. On m’invite beaucoup dans des centres de jeunesse, des écoles. Je vois que les élèves ont besoin de s’identifier à quelqu’un qui leur ressemble, une jeune, qui parle comme eux, qui a grandi dans leur ville, dans leur quartier et qui a pu accomplir son rêve. Je leur dis que ce sera peut être un tout autre domaine pour eux, mais qu’avec de la persévérance et du travail, on peut devenir ce que l’on veut être. Moi, j’ai voulu écrire des livres, je l’ai fait.
Quels ont été tes modèles en littérature?
Faïza Guène, j’aime beaucoup son style, j’ai lu tous ses livres, je m’identifiais beaucoup à elle. De manière générale, j’apprécie les récits autobiographiques. En ce moment, je lis Une si longue lettre, de Mariama Bâ.
Imagines-tu une suite à Cicatrices?
Oui, j’y réfléchis. J’aimerais bien une suite plusieurs années plus tard, avec une narratrice plus âgée, plus mature, avec plus de recul sur sa vie. Pourquoi pas à l’occasion de la naissance de son enfant ou d’un voyage en Afrique pour tenter aussi de comprendre l’histoire de ses propres parents.
Propos recueillis par Nassira El Moaddem
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