Sur les réseaux sociaux, les militantes féministes doivent se battre contre les insultes et menaces de trolls énervés. Trois jeunes femmes engagées nous racontent cette nouvelle forme de lutte.
Réflexions sur le physique, menaces de violence ou de viol… Être féministe sur le Web aujourd’hui nécessite d’avoir la peau dure. L’histoire n’est pas nouvelle, mais elle reste encore désespérément vraie: les personnalités féministes se retrouvent fréquemment noyées sous des commentaires méprisants à chaque fois qu’elles ont le malheur de soulever un vague problème de sexisme ou d’inégalité sur Internet. C’est ce que l’on appelle le cybersexisme. Les exemples de croisades antiféministes sont légion: Zoë Quinn en a fait les frais avec le Gamergate, triste exemple de la misogynie en vigueur dans le jeu vidéo, tout comme la blogueuse Mar_Lard qui lutte contre le sexisme geek ou encore l’actrice Leslie Jones qui a quitté Twitter après avoir reçu un torrent d’insultes racistes et sexistes lors de la sortie du dernier Ghostbusters. On pourrait citer également les cas de Lena Dunham ou Jessica Valenti qui ont quitté les réseaux sociaux pour ne plus avoir à encaisser cette diarrhée haineuse.
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Ces pratiques, illégales rappelons-le, sont souvent l’action d’armées de haters capables de noyer leurs cibles sous des centaines de messages injurieux dans la journée. Trois activistes féministes ont eu affaire à cette armée de trolls sexistes: la blogueuse Buffy Mars et les militantes Rokhaya Diallo et Anne-Cécile Mailfert nous racontent leur combat contre le cybersexisme.
Buffy Mars, blogueuse et YouTubeuse
DR
“Il y a cinq ans, quand j’ai commencé à m’engager sur le Web, j’étais déjà un peu sensibilisée aux questions de sexisme et de patriarcat. Mais je dirais que le harcèlement a surtout commencé cette année avec l’ouverture de ma chaîne YouTube. Ça m’a apporté plus de visibilité qu’auparavant et j’ai écrit moi-même du contenu féministe au lieu de me limiter à en relayer. J’ai donné mon avis, et ça a favorisé la haine.
Sur Twitter, immédiatement, tout un tas de personnes me sont tombées dessus pour me faire des blagues sexistes ou des remarques sur mon physique avec des commentaires graveleux ou des insultes. Juger mon corps avant mes idées, c’est du sexisme primaire. Pour certaines personnes, ça ne va pas jusqu’à des commentaires haineux, mais ça favorise un environnement extrêmement misogyne et participe à un même système d’oppression. Bien entendu, les blagues sexistes étaient les remarques les plus soft à côté d’autres menaces plus graves.
Quand ça a commencé, j’essayais de discuter, d’expliquer, de me justifier, désormais, je suis beaucoup plus tranchée, je mets des filtres sur certaines insultes, je bloque immédiatement sur les réseaux sociaux. Cela me rend rarement triste ou en colère, une fois que c’est fait, je n’y pense même plus. Je pense qu’on apprend à se barricader au fil du temps, à force de recevoir des menaces de viol ou autres.”
Rokhaya Diallo, journaliste, réalisatrice, écrivaine
© Brigitte Sombié
“Les menaces que je reçois sont souvent un mélange de violence sexuelle et d’insultes racistes, on m’a par exemple menacée d’excision. C’est difficile parfois de discerner ce qui relève du racisme et ce qui relève du sexisme. Mes origines, mon engagement et ma religion, alimentent certains fantasmes qui existent autour des femmes noires.
La première fois que j’ai décidé de porter plainte après une menace de viol, le début de couverture médiatique dont j’ai bénéficié m’a vraiment encouragée dans ma démarche. Je me suis dit que cela pouvait servir d’exemple. Mais c’est surtout en voyant les réactions autour de moi que je me suis dit qu’il était anormal de recevoir de telles insultes. Je voulais mettre l’auteur de cette menace face à ses responsabilités: c’est tout de suite plus difficile de revendiquer ce genre de messages au milieu d’un tribunal face à des magistrats qui lisent à voix haute ces propos orduriers.
C’était aussi un moyen d’encourager les victimes à faire la même chose, car on se sent souvent démunie face à de telles menaces, on a le sentiment que la justice ne peut rien faire. Il y a aussi beaucoup de femmes qui sont complètement découragées par la simple profusion des messages haineux ou par la crainte d’être tournées en ridicule avant même d’y être directement confrontées. Moi, j’ai eu de la chance, je sais que lorsqu’on est moins connu médiatiquement, c’est moins facile.”
Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes
DR
“J’ai commencé à recevoir des menaces et des insultes avant même de prendre des positions militantes dans des associations, et aujourd’hui je continue à en recevoir régulièrement dès que j’exprime un avis qui ne plaît pas. Mais, si l’on s’habitue à cette violence -et c’est bien malheureux parce qu’on ne devrait pas-, ça peut faire peur et changer notre façon de tweeter. Ce genre de menaces peut freiner, intimider, et c’est d’ailleurs l’objectif de ces gens-là, nous faire taire: Internet est presque pire que le monde réel parce que les menaces sont complètement débridées.
C’est pour ça qu’à la Fondation des Femmes, on a créé une force juridique pour lutter contre les violences et les inégalités. Le droit doit devenir une arme pour les femmes. Pour le moment, on n’a pas de structure propre contre le harcèlement en ligne, mais on a pris contact avec le collectif contre le cyberharcèlement pour voir comment on peut continuer à améliorer la législation et à mettre en place des mécanismes juridiques plus rapides et plus faciles d’accès. Le soutien financier que les donateurs nous apportent nous permet de développer financièrement cette réflexion légale et juridique. Il faut éviter que les femmes soient découragées de porter plainte et d’aller plus loin.”
Propos recueillis par Corentin Béchade
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