La majorité des personnes que nous avons interrogées dans le cadre de cet article sont unanimes: Tin-Tin a beaucoup oeuvré pour le tatouage français. Mais, s’il a contribué à démocratiser ce milieu, Cyril Auville fait également l’objet d’accusations de harcèlement, d’agression, d’exhibition sexuelle, ou encore de séquestration. Enquête.
Qui n’a pas entendu parler de la “légende du tatouage français” (GQ), du “tatoueur des stars” (Le Figaro), de la “star des tatoueurs” (Konbini), ou même du “roi des tatoueurs” (Paris Match)? Difficile de passer à côté de Cyril Auville, alias Tin-Tin. Portraits, interviews, invitations dans des émissions… Le tatoueur de 55 ans multiplie les apparitions médiatiques. C’est simple: lorsqu’on entend ou lit le mot “tatouage”, on pense Tin-Tin, son œil brillant, sa gouaille, sa voix rocailleuse et ses allures de biker.
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Sa légende, Cyril Auville commence à la forger il y a 37 ans. Autodidacte, il se fait la main lors de son service militaire à Berlin en 1984, puis reprend une boutique à Toulouse avant de gagner son premier prix lors d’une convention de tatouage à Bourges, en 1989. Tin-Tin s’installe ensuite à Paris en 1992, d’abord rue Saint-Sébastien dans le 11ème arrondissement, puis rue de Douai dans le 9ème. Son talent et sa notoriété grandissante attirent dans son shop des client·e·s tel·le·s que Jean-Paul Gaultier, Lio, Yannick Noah, JoeyStarr, Florent Pagny, Pascal Obispo…
Déjà très médiatisé, le père de famille assoit son statut de porte-parole du tatouage en 2003, lorsqu’il créée le Syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT) avec Rémy d’Estampes. Un titre pompeux, qui agace une partie du monde du tatouage. “Tin-Tin, c’est le président auto-élu d’un syndicat qui n’existe pas”, fustige Jérôme*, un tatoueur de renom qui préfère garder l’anonymat. En effet, si le SNAT est une association conforme à la loi de 1901, elle ne constitue en aucun cas un syndicat. “Je pense qu’il peut y avoir un abus de langage au niveau de l’utilisation de ce terme puisqu’il s’agit d’une association au regard de la loi”, confirme Caroline André-Hesse, avocate spécialisée en droit du travail.
52 apparitions médiatiques recensées en 2018
Pourtant, tout porte à croire l’inverse: sur son site, le SNAT se caractérise comme étant le “seul syndicat français”, tandis que la rubrique “le syndicat” est la première visible sur le bandeau situé en haut de l’interface. La personne à l’origine de la page Wikipédia de l’association entretient -intentionnellement ou non- cette ambigüité lorsqu’elle écrit au mois de mars 2012: “Unique syndicat professionnel français défendant la profession, le SNAT est aujourd’hui un organisme de référence pour tout interlocuteur institutionnel, administratif ou médiatique sur les questions relatives au tatouage ou aux tatoueurs en France.”
Effectivement, la majorité des journalistes se laissent aller à ne donner la parole qu’au SNAT, donc à Tin-Tin -et vice versa. Dans sa rubrique “Médias”, le site de l’association référence ainsi 21 articles citant le SNAT, son président, ou les deux, depuis début 2021. En 2018, ce sont 52 apparitions médiatiques qui ont été comptabilisées par “le syndicat”, parmi lesquelles figurent le livre Mondial tatouage – Sous le regard de Tin-Tin et un 66 Minutes (M6) consacré à “Tin-Tin, la star des tatoueurs”. Une visibilité accordée au détriment d’autres tatoueur·se·s et associations, et qui peut mener à des raccourcis.
Dans cet article de Culturebox par exemple, il est écrit que Tin-Tin “représente quelque 5.000 tatoueurs en France”, alors que le SNAT lui-même indique compter “plus de 1 500 membres”, soit moins d’un tiers du chiffre avancé par la rédaction. Le titre de l’article, “8e Mondial du Tatouage: les tatoueurs aimeraient obtenir un statut artistique”, prête autant à confusion que son texte en généralisant le propos de Tin-Tin. Car, si l’obtention du statut d’artiste est le fer de lance du SNAT, ce n’est pas le cas de toutes les associations, à l’image de Tatouage et Partage et de ses 920 adhérent·e·s, qui revendiquent quant à eux/elles le statut “d’artisan d’art” ainsi qu’un diplôme d’État, après une formation de deux ans en alternance.
“J’ai jamais été skinhead, mais, effectivement, j’ai été jeune et con”
Si les tatoueur·se·s sont aujourd’hui sollicité·e·s par les médias et intéressent le grand public, cela n’a pas toujours été le cas. Chacune -ou presque- des personnes que nous avons interrogées dans le cadre de cette enquête ont reconnu le rôle que Tin-Tin a joué dans la démocratisation du tatouage. Mais, en revenant sur le début de sa carrière, certains professionnel·le·s décrivent également un homme porté sur la violence, et engagé dans la mouvance skinhead.
« J’ai jamais été skinhead, mais, effectivement, j’ai été jeune et con, avec des idées à la con, et j’ai fréquenté des skinheads et des gens qui avaient des idées d’extrême-droite quand j’avais entre 18 et 20 ans, reconnaît Tin-Tin, contacté par Cheek. J’en suis pas spécialement fier mais aujourd’hui ma femme est juive, mon beau-fils est arabe, mes employés sont PD ou gouine, et je pense que je suis l’inverse de ce que j’ai pu être. On a tous été jeunes et très cons, moi je l’étais particulièrement. […] Je suis là pour être gentil avec les gens. Je suis père de famille, j’ai des chiens. J’ai vécu, j’ai été jeune, con et violent, et je le suis plus; j’en suis plutôt content et j’ai vraiment rien à prouver à personne.”
Tin-Tin évoque également son passé avec les Hells Angels, rapporté par plusieurs témoins. “J’ai été avec eux quand j’étais plus jeune, effectivement, puis j’ai changé d’idée un peu plus tard. Ça n’empêche pas que j’ai toujours beaucoup d’amis dans ce moto club, même si y a plein de gens dedans qui m’aiment pas non plus. Maintenant, je n’ai aucune affiliation avec les Hells Angels: je suis même pas support, je porte pas de patch; j’ai une moto mais je la conduis trois fois par an, lâche le tatoueur dans un rire. Par contre je fais beaucoup de conventions de tatouage et il y en a plein qui sont organisées par les Hells Angels, notamment en Espagne, en Suisse, et en France, donc, fatalement, je suis amené à les fréquenter, à les rencontrer. Il y a certains membres qui ont un stand à ma convention mais c’est pas parce qu’ils sont Hells Angels, c’est parce qu’ils sont des bons tatoueurs.”
Fréquenter le célèbre groupe de motards -dont les membres sont parfois soupçonnés de trafic d’armes ou de stupéfiants, d’intimidation, de racket, voire de proxénétisme- n’est pas rare dans le monde du tatouage. “Au début des années 1980, on était seulement une poignée de tatoueurs en France. À l’origine, on était des marins, des rockers ou des bikers, explique Jérôme*, en rappelant que des “tribus” comme les punks et les skinheads se sont ensuite intégrées au milieu. Si on habitait dans le Nord et qu’on voulait devenir support d’un moto club, on supportait les Hells Angels. En dessous de Clermont-Ferrand, ce sont les ‘Bandidos’.”
“J’ai pas besoin d’intimider qui que ce soit”
En plus de lier des relations amicales autour de l’univers de la moto, se rapprocher d’un moto club quand on est tatoueur permet d’accéder à certains festivals et conventions de tatouage, mais également d’exercer une influence. “L’accointance de Tin-Tin lui donne la possibilité de tenir la dragée haute à beaucoup de gens, bien qu’en réalité personne ne puisse se servir des Hells Angels”, estime Jérôme*.
Lorsque l’on demande à Tin-Tin s’il lui arrive de jouer de sa relation avec les Hells Angels pour intimider des membres de la profession, il s’exclame: “Quoi?! Mais personne ne m’emmerde vous savez, moi j’ai pas besoin d’intimider qui que ce soit. Personne ne se sert des Hells Angels. Qui vous voulez que j’intimide? Pourquoi vous voulez que j’intimide quelqu’un? Moi j’ai jamais essayé d’interdire à qui que ce soit de tatouer. Je lutte contre le tatouage clandestin, le tatouage sauvage et les scratcheurs en immeuble mais j’ai jamais été taper la gueule à aucun d’entre eux. Le seul à qui j’ai pété la gueule c’est celui qui signait mes photos et c’était y a 30 ans, donc bon…”
Tin-Tin évoque sa relation avec Stéphane Chaudesaigues, le président de Tatouage et Partage -qui n’a pas souhaité être cité dans cet article, de peur de voir “des projets […] capoter à cause d’une nouvelle guerre dans le monde du tatouage”. “Je lui ai juste pété la gueule parce qu’il faisait croire que les tatouages que je faisais étaient les siens, raconte Tin-Tin. C’est pour ça que c’est mon ennemi depuis tout le temps. Quand j’étais un peu plus jeune, j’étais pas gentil du tout et si tu me faisais chier, je venais te péter la gueule, donc c’est ce que j’ai fait.” Sur son blog, en novembre 2014, Stéphane Chaudesaigues écrivait que, lors de ce “clash”, Tin-Tin était “accompagné bien sûr, et armé d’un revolver”.
“Mainmise sur le milieu”
En dépit des propos tenus par Tin-Tin, c’est l’affiliation aux Hells Angels qui effrayait le plus Thomas*, d’après son témoignage, lorsque sa relation avec le tatoueur se dégradait. “Il était en contact avec des gens qui savaient où je venais de déménager et j’avais peur qu’il les envoie me casser la gueule chez moi”, confie le trentenaire. Il y a quelques années, après avoir co-créé un média spécialisé dans les interviews de tatoueur·se·s, Thomas* a été amené à côtoyer Tin-Tin. Aujourd’hui, il raconte l’existence d’une “cour” -constituée d’une “vingtaine, voire trentaine” de personnes- autour du tatoueur, qui observerait ce qu’il se dit à son sujet sur Internet, avant de le lui rapporter. “C’est pour ça qu’il est au courant de tout très vite et qu’il met des coups de pression tout le temps: il a la mainmise sur le milieu”, assure le trentenaire. S’il décrit une relation professionnelle de prime abord très intéressante et cordiale avec Tin-Tin, il raconte réaliser au bout de quelques mois à quels abus l’homme s’adonne.
“À l’approche du Mondial du Tatouage (Ndlr: la très renommée convention de tatouage internationale organisée chaque année par Tin-Tin à Paris), mon équipe et moi contactons l’attachée de presse de Tin-Tin pour lui demander si on peut filmer pendant l’évènement, se remémore Thomas*. Quelques heures plus tard, il m’appelle et me dit qu’il voit qui on est, qu’il aime relativement notre travail, mais que nous avons interviewé ‘des enculés’. Il m’avertit: pour venir au Mondial, on doit supprimer l’interview d’un tatoueur, qu’il qualifie de ‘petit PD’.”
Embêté, mais n’ayant pas le choix, Thomas* aurait appelé le tatoueur dont il est question -qui n’a pas souhaité témoigner, la “pression” étant trop forte. “Il m’a dit qu’il comprenait, que si on voulait continuer notre travail il allait falloir lui cracher dessus, reprend le trentenaire. On ne voulait pas se positionner, mais Tin-Tin nous a forcés à le faire.” Quelques mois plus tard, des tensions se font sentir au sein de l’équipe du média, le tatoueur tentant de s’immiscer davantage, selon Thomas. “Dès qu’on publiait quelque chose, il nous disait qu’on écrivait des conneries, qu’on n’était pas légitimes et qu’on était des merdeux”, énumère-t-il.
“Soit vous supprimez toutes les conneries que Thomas poste, soit vous êtes blacklistés du Mondial”
Nous avons pu consulter des captures d’écran de messages privés envoyés par Tin-Tin à l’équipe de Thomas sur Facebook. D’après ce dernier, le tatoueur venait de lire un article du média, dans lequel un des rédacteurs avait voulu glisser un trait d’humour, comparant la querelle entre Tin-Tin et Stéphane Chaudesaigues à celle qui oppose les Montaigu aux Capulet, dans Roméo et Juliette. Florilège: “Vous êtes trop des connards les mecs! J’hallucine à quel point vous êtes cons!”; “Déjà que vous ne choisissez que des tocards pour vos reportages… […] Vos articles sont nuls”; “Bande d’abrutis!”; “Quand je pense à toutes les portes qu’on vous a ouvertes avec Mikael… (Ndlr: Il s’agit du tatoueur Mikael de Poissy, ami de Tin-Tin et directeur de la publication de Tatouage Magazine) Vous ne méritez rien de tout ça, vous êtes nuls à chier!”; “Je viens d’apprendre que le mec qui a écrit ça c’est Mathieu*. Un trou du cul de bobo […] Mikael lui a déjà fait retirer deux ‘articles’ […] En fait vous êtes pas méchants, vous êtes juste idiotiquement idiots.”
Selon le témoignage de Thomas*, sa relation avec Tin-tin touche à son terme quelques semaines plus tard. Alors que Quotidien annonce un épisode dédié au tatouage -le Tattoo Show- Thomas donne son avis sur la question dans un post depuis son compte Facebook personnel, en expliquant que le concept l’inquiète un peu, car il craint que l’émission se transforme en show américain. “Dans l’heure qui suit, Tin-Tin m’appelle plein de fois et me laisse des messages en m’ordonnant de le rappeler, se remémore le trentenaire. Je l’ignore, mais il continue, en me disant: ‘Je te vois en train de parler sur Twitter donc si tu as le temps pour ça, tu devrais me rappeler’. Il continue, continue… Mais je n’avais pas envie d’avoir cette discussion.” Le tatoueur aurait fini par appeler l’autre co-fondateur du média, et l’aurait mis au pied du mur: “Soit vous supprimez toutes les conneries que Thomas poste, soit vous êtes blacklistés du Mondial.” Conséquence: l’intéressé a dû arrêter de travailler dans le milieu du tatouage.
Ce qu’il raconte avoir vécu s’appelle se faire “triquer”, c’est-à-dire se faire mettre de côté, hors de la famille du tatouage. Nous avons pu nous entretenir avec des tatoueur·se·s qui considèrent également avoir été “triqué·e·s” par Tin-Tin, mais qui n’ont pas souhaité être cités dans cette enquête, de peur des nouvelles conséquences que leur témoignage pourrait avoir sur leur carrière. L’organisateur du Mondial s’étonne de telles accusations. “J’ai autre chose à foutre que faire en sorte que tel tatoueur travaille ou ne travaille pas dans telle convention, lâche Tin-Tin. C’est aussi simple que ça, sinon je pourrais en faire triquer, effectivement. Je pourrais avoir le pouvoir de faire triquer plein de gens mais je vois pas qui je devrais faire triquer.”
Il reconnaît pourtant “triquer” Stéphane Chaudesaigues car ce dernier a souhaité mettre en place un CAP tatouage. “Il est triqué partout: plus personne ne le veut dans une convention, assure Tin-Tin. Et moi le premier: oui, lui je le trique. Mais moi je le trique pour ma convention. Donc oui triquer des gens, oui des gens qui me font chier, ben oui je les trique, mais vous savez ils essaient même pas de venir dans ma convention donc j’ai même pas besoin de les triquer, quoi. Après, qu’est-ce que je peux avoir comme pouvoir sur les autres conventions franchement, triquer tel ou tel artiste mais pour quelle raison? Pourquoi je ferais ça?”
Dans l’article de blog mentionné plus haut, dans lequel Stéphane Chaudesaigues évoque le “clash” de 1989 avec son confrère, il écrit: “Il m’interdira de continuer d’exercer mon activité de tatoueur.” “Interdiction également de fréquenter les conventions françaises et européennes, tricard selon lui je devais être”, continue le président de Tatouage et Partage, laissant penser que le “triquage” de son confrère remonte bien avant leur différend au sujet de la création d’un diplôme d’État pour les tatoueur·se·s.
“En espérant que personne n’ira lui pourrir sa page…”
Lorsqu’on l’interroge sur L’Aiguilleur, une plateforme créée pour mettre en relation des tatoueur·se·s avec des potentiels client·e·s, Tin-Tin admet également avoir usé de son influence. “Il (Ndlr: Stanley Baudu, le cofondateur du site) a voulu monter une start-up sur le tatouage, enculer tout le monde. Eh ben manque de pot, c’est moi qui l’ai enculé le premier, lâche Cyril Auville. Effectivement, lui je l’ai triqué. C’est ce qui s’appelle triquer quelqu’un. Lui, pour de vrai, et ça s’est fait au grand jour, en mon nom, je me suis pas caché, j’ai dit c’est des petits escrocs, c’est des petits enculés, voilà ce qu’il s’est passé, et là toute la communauté du tatouage s’est mise sur leur couenne. […] Je suis authentique jusqu’à la moelle, et depuis 35 ans, et ça tout le monde le sait.”
Les faits se sont déroulés en février 2019. Stanley Baudu, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, pour ne pas “mettre de l’huile sur le feu”, en a relaté sa version sur le blog de l’Aiguilleur. “On est venu couvrir le Mondial pour notre blog (interviews de tatoueurs, articles etc), on n’a pas eu le temps de voir tout le monde. […] On a contacté tous les tatoueurs non rencontrés, par email, avec en exemple d’interview: celui de Tin-Tin (forcément, c’est l’organisateur du Mondial, à qui on avait bien expliqué le projet de la plateforme d’un côté et du blog de l’autre). Ce mail a été interprété, déformé, ravalé-revomi, et envoyé à Tin-Tin, qui évidemment n’est pas content, normal. Comme on n’est pas des débiles, on s’est expliqués, et excusés, platement, à de nombreuses reprises… C’était inutile”, écrit l’équipe.
Effectivement, le 13 mars dernier, Tin-Tin a publié sur sa page Facebook une “info à partager par qui de droit” où il vise L’Aiguilleur. “Hipsters opportunistes et profiteurs”, “menteurs et extrêmement néfastes”, “petits escrocs”… Derrière ces propos méprisants, Tin-Tin n’hésite pas à se montrer menaçant: “Se faire passer pour des journalistes dans une entreprise très mercantile, une très grosse escroquerie qu’ils vont regretter amèrement!” Une incitation au cyberharcèlement puisqu’il écrit en commentaire de sa propre publication: “Stanley Baudu est le nom du responsable de tout ça… En espérant que personne n’ira lui pourrir sa page…” Lorsqu’un homme lui répond: “Putain ce serait effectivement dommage….. Allez sur cette page là… [lien]”, il surenchérit, sarcastique: “Oh non…. Faites pas les cons!”
Dans les commentaires, les abonné·e·s de Tin-Tin s’en donnent à cœur joie: “Tite catin va”; “Petits batards”; “Petites putes”; “Trou du fion fragile”; “Franchement ils ont les balls pour oser faire ça dans un milieu où y a pas mal de gens à surtout pas faire chier (younowatailllemine)… Ils tiennent pas trop à leur visage… Ou à leurs côtes… :p ahah”; “En insultant Tin-Tin tu nous insultes tous. Je m’occupe personnellement de vous griller sur toute la Corse”.
Quand on lui demande s’il estime qu’il s’agit de harcèlement, voire de diffamation, Tin-Tin s’insurge. “Ce qu’ils ont fait eux, oui c’est du harcèlement et de la diffamation. Ils se sont fait passer pour des journalistes qui allaient faire la promo du Mondial du tatouage et m’ont interviewé dans les locaux de mon attachée de presse. […] Ce petit enculé-là, avec la vidéo qu’il avait faite de moi, il a été démarcher tous les tatoueurs… J’ai fait un post Facebook pour dire que c’était des petits escrocs mais alors, après, les commentaires… On peut plus rien dire aujourd’hui de toute façon, tout est du harcèlement, aujourd’hui dès qu’on joue à la victime on a raison. Ils se sont fait envoyer chier par je ne sais qui, alors y a eu des commentaires un peu violents, ça j’en doute pas, mais voilà, qui sème le vent récolte la tempête hein, ils se sont pas fait péter la gueule pour autant. Moi il m’a écrit l’autre fois, il m’a dit: ‘Oh ce serait bien qu’on se voit quand même, on a entendu ce que t’a dit’.” Le tatoueur raconte lui avoir répondu: “Ouais ce serait bien qu’on se voit mais ce serait surtout pour te mettre une grosse tarte dans ta gueule de petit enculé d’hipster, mais maintenant j’ai autre chose à foutre donc on se verra pas.” “Je lui ai dit qu’il avait quand même du bol car ça se serait passé il y a une vingtaine d’années, il aurait déjà pris une grosse fessée parce qu’il y a des choses qui se font pas dans la vie. Bon ben voilà, j’ai passé l’âge de mettre des tartes dans la gueule aux gens. Y a des fois on a envie quand même, je vous rassure hein, lâche Tin-Tin dans un rire. J’ai terminé mon message en disant: ‘Ta petite start-up de merde tu peux te torcher le cul avec maintenant, parce que tu peux lui dire au revoir. T’as voulu jouer, t’as perdu.’ Voilà, je le cache pas, j’ai aucun souci à vous dire ça. Je dis que la vérité, c’est des escrocs quoi.”
“Pour les prendre, on les prend, les apprenties!”
Si Tin-Tin n’évoque pas d’autres personnes qu’il aurait triquées, une tatoueuse nous a contacté à ce sujet sur Instagram dans le cadre d’un précédent article sur les violences sexistes et sexuelles au sein du milieu du tatouage. Souhaitant témoigner mais étant trop inquiète à l’idée d’être reconnue, elle s’est créée un faux compte pour nous joindre et nous a appelé en numéro masqué. Elle n’a jamais fait suite à nos relances pour connaître son identité -que nous n’aurions de toute façon pas divulguée. Nous l’appellerons Emma*.
Il y a plusieurs années, elle se serait rendue au shop de Tin-Tin afin de discuter d’un éventuel apprentissage. “Quand je lui montre mon book, il me dit: ‘C’est pas mal, mais c’est pas ce qu’on attend d’une femelle’, se remémore-t-elle, la voix tremblante. Sur le moment, je n’ai pas compris, je suis restée totalement abasourdie. J’ai pensé: ‘Il n’a pas pu le dire, ce n’est pas possible’.” D’après son témoignage, l’apprentie tatoueuse ne se démonte pas. Elle explique à Tin-Tin qu’elle dessine depuis plusieurs années et lui livre sa vision du tatouage: un médium définitif, puissant, loin d’être anodin. “Il me dit: ‘Oui, enfin le but c’est de tatouer le plus de personnes possibles: on est là pour l’argent’, raconte Emma. Je lui réponds qu’un métier sert évidemment à joindre les deux bouts mais qu’il y a aussi une certaine manière de l’exercer.” Tin-Tin aurait surenchéri: “Si tu travailles chez moi, il y aura sûrement d’autres manières de payer les factures.”
Interloquée, Emma* se demande si le tatoueur la teste et décide d’ignorer sa dernière remarque. Elle rebondit: “Vous prenez des apprenties?” “Pour les prendre, on les prend, les apprenties!”, lui aurait répondu le tatoueur. D’après la jeune femme, elle tient bon, en se disant que son potentiel futur mentor la pousse dans ses retranchements pour voir si elle s’accroche dans un milieu d’hommes. Tin-Tin lui aurait alors lancé: “Si tu veux, on passe derrière et on va approfondir la question.”
“J’ai eu très peur, souffle Emma*. J’étais seule dans le salon avec lui et d’autres tatoueurs que je ne connaissais pas, donc je suis partie précipitamment, laissant mon book, et ma carte de visite avec le nom de mon compte Facebook. J’ai ensuite envoyé un SMS à Tin-Tin en lui disant que son comportement n’était pas normal et, que s’il traitait les femmes de la sorte, il mériterait que quelqu’un porte plainte. La suite, ça a été une horreur.” Elle dépeint un mois et demi de harcèlement, qui l’aurait poussée à se désinscrire de Facebook et à partir à l’étranger pour exercer son métier.
“Mon compte était saturé de messages de haine, d’injures, de menaces, d’appels au viol… C’était hyper grave, assure Emma. Les amis de Tin-Tin n’arrêtaient pas de m’appeler, j’ai aussi dû changer de numéro.” La tatoueuse décrit une mécanique bien orchestrée: ce n’est pas Tin-Tin directement qui l’aurait harcelée, mais ses “sbires”. Elle évoque ainsi plusieurs noms, qui sont revenus dans d’autres témoignages recueillis au cours de cette enquête, et dont deux siègent au SNAT. “Ils ne sont pas très nombreux, ça vient toujours des mêmes, reprend-t-elle. Ils se comportent comme une meute.”
“Si tu veux pas me montrer ta chatte, je vais pas te tatouer!”
Si on ne compte plus les: “C’est Tin-Tin, personne n’acceptera de témoigner” entendus au cours de cette enquête, Aline D. n’a pas hésité à s’exprimer au sujet du tatoueur sur son compte Facebook. En février 2018 déjà, portée par le mouvement #MeToo, elle poste sur le réseau social un montage des visages souriants de Tin-Tin et Harvey Weinstein. “C’était beaucoup trop tentant! #harveyweinstein #tintin #balancetonporc”, écrit la trentenaire, qui a été confrontée au tatoueur à deux reprises. La première, c’était il y a 15 ans.
D’après son témoignage, Aline, tout juste majeure, se rend dans le shop de Tin-Tin, le seul salon dont elle connaît le nom, en raison de la médiatisation dont il jouit déjà. En arrivant dans la boutique du 37 rue de Douai, elle fait part de son projet à l’accueil: elle souhaite un ange sous le nombril. Son interlocutrice lui demande de faire son choix parmi les dessins des tatoueur·se·s. Aline s’exécute et en retient un. “La jeune femme me dit alors qu’il s’agit d’une œuvre de Tin-Tin et qu’il faut d’abord qu’elle lui demande s’il veut bien me la faire car il choisit qui il tatoue”, se remémore la trentenaire. Après quelques minutes, la femme revient: le patron est d’accord. Il fait alors monter Aline dans une salle à l’étage, qu’il ferme à clé derrière elle.
“Là, il me lance: ‘Bon allez, à poil!’, raconte-t-elle avec dégoût. Il voulait que je me mette nue pour qu’il dessine le tatouage sur mon ventre et pour qu’il voie comment il rendrait par rapport au reste de mon corps.” D’après son témoignage, Aline refuse, mais Tint-Tin insiste: “Si si, mets-toi à poil!”, puis s’énerve. En voyant que sa cliente campe sur ses positions, le tatoueur aurait ouvert la porte de la pièce et vociféré: “Si tu veux pas me montrer ta chatte, je vais pas te tatouer!” “C’était une vraie séance d’humiliation; il a crié pendant au moins 10 minutes, souffle Aline. J’étais pétrifiée et Tin-Tin n’arrêtait pas de hurler, en disant que je n’étais qu’une gamine, que je me ferai effacer mon tatouage deux ans plus tard, que je n’arrivais pas à la cheville des vraies nanas tatouées…”
Quelques semaines passent, et Aline obtient la confirmation qu’elle n’a pas besoin de se mettre “à poil” pour se faire tatouer sous le nombril. “Je suis allée voir une tatoueuse qui m’a beaucoup rassurée, confie-t-elle, en indiquant qu’elle lui a uniquement demandé de soulever son t-shirt. Quand je lui ai raconté ce qu’il s’était passé avec Tin-Tin, elle m’a dit que c’était connu, qu’il acceptait de tatouer les jeunes filles uniquement si les pièces étaient situées près des parties intimes. Les tatoueur·se·s présent·e·s dans le shop ont tous acquiescé.”
“Mais n’importe quoi! Franchement, ça fait 35 ans que je tatoue, donc si ce genre de truc arrivait…, s’insurge Tin-Tin lorsqu’on l’interroge sur l’épisode raconté par Aline. J’ai tatoué des femmes à poil toute ma vie: est-ce qu’il y a eu une seule plainte, un seul souci avec l’une d’entre elle à part cette morue mythomane qui raconte n’importe quoi à qui veut l’entendre? C’est de la délation calomnieuse.”
“J’ai entendu tous les bruits de succions”
Si Aline s’était promis de ne jamais recroiser le chemin de Tin-Tin, elle fait une exception sept années plus tard alors qu’il accueille un guest dans son shop: un tatoueur habitant dans le sud, dont la jeune femme admire alors beaucoup le travail. Après plusieurs jours d’hésitation, elle prend rendez-vous pour une pièce sur la main, en espérant ne pas croiser Tin-Tin. “Le tatoueur a eu beaucoup de retard donc il me reçoit après la fermeture de la boutique”, se remémore Aline, qui était venue accompagnée d’un habitué du salon parce qu’elle avait “peur” de retourner seule chez le tatoueur. Tout d’un coup, Tin-tin serait arrivé avec sa compagne.
“Au moment où ils sont entrés dans la salle, les deux tatoueurs présents –en plus de celui qui tatouait Aline- sont partis en disant: ‘Oh non, ça va pas recommencer, je veux pas voir ça’, reprend la trentenaire. Tin-Tin et sa copine se sont installés juste à côté de moi, dans la même pièce. Il a commencé à se faire sucer pendant que je me faisais tatouer. Je ne regardais pas, ça me dégoûtait. C’était horrible; même mon tatoueur me disait: ‘Retourne-toi vers moi, je bande, je bande’, tout en appuyant comme un fou sur ma main.” Une fois le tatouage terminé, alors qu’Aline s’apprête à partir, Tin-Tin se serait approché d’elle et lui aurait lancé: “Toi, t’as l’air d’être une petite prude. En général, les filles comme toi ce sont des grosses salopes qui aiment le cul.”
Le tatoueur nie vivement ces accusations. “J’étais avec ma fiancée, on était très amoureux, on était en train de se rouler des pelles sur le canapé, et mon confrère a lancé: ‘Vas-y t’as qu’à te faire sucer aussi pendant que t’y es.’ Des blagues de mecs bourrés en fin de soirée pendant l’apéro, quoi. Et là, ma fiancée a fait: ‘Oh oui vas-y’. J’ai fait: ‘Oh oui, vas-y suce-moi’ et elle en a fait le simulacre. Ça s’est passé dans le dos de cette jeune fille, ça a duré, allez, 3 secondes, et c’était une blague quoi, c’était une connerie, et il lui a fallu ça pour raconter que je m’étais fait sucer à côté d’elle. Qui va croire que je me fais sucer à côté des clients comme ça? Non mais n’importe quoi; j’ai 35 ans de carrière, si je faisais ce genre de trucs ça se saurait depuis longtemps, vous croyez pas?”, interroge le tatoueur dans un petit rire, avant d’ajouter: “C’est tellement ridicule.”
Lorsqu’on lui présente cette version des faits, Aline campe sur ses positions. “J’ai entendu tous les bruits de succions, assure la trentenaire, du dégoût plein la voix. Mon tatouage a duré plus de deux heures et la scène s’est déroulée sur 20 à 25 minutes; c’était super long. Je n’ai pas voulu me tourner car je savais très bien ce qu’il se passait. Je me disais ‘Au secours, je ne veux pas voir ça’. Je voulais juste un tatouage.”
“Il m’a demandé si j’avais déjà essayé la double pénétration”
Tin-Tin, dont le “brin de misogynie assumé” est évoqué par Le Parisien, l’assure: “J’ai toujours eu des filles à l’accueil donc si on respectait pas les femmes chez moi ça se saurait!” Cela ne transparaît pas dans les témoignages recueillis. Il y a deux ans, il aurait abordé Maëlle*, venue dans son shop pour se faire tatouer par un de ses collègues, en lui disant: “Il est sexy ton short. Un peu court, c’est bien.” “Ensuite, il a commencé à me poser des questions classiques puis a dérapé en me parlant de cul très crûment pendant que je me faisais tatouer. Il m’a demandé si j’avais déjà essayé la double pénétration avant de me poser d’autres questions du même ordre, et m’a raconté ses histoires avec des prostituées à Pigalle, indique la jeune femme, en rappelant qu’elle évolue elle-même dans un milieu masculin, très sexiste. Sur le coup, cette discussion m’a semblé banale, mais quand j’y ai repensé en prenant du recul, j’ai réalisé qu’elle ne l’était pas.”
D’après son témoignage Thomas* a pu constater le même type de comportement en venant interviewer Tin-Tin dans son shop. “Une fois, il tatouait une femme et nous racontait sa vie, en disant que c’était une porn star, qu’elle baisait super bien…, raconte le trentenaire. On était hyper gênés.” Même son de cloche chez Élodie*, qui a travaillé plusieurs années avec Tin-tin. “À la fin, il ne voulait tatouer que des filles, avec des gros nichons de préférence, souffle la trentenaire, qui décrit un homme aux deux personnalités. Quand on le rencontre, il a un coté super avenant: il fait des blagues, est très gentil…” Si Élodie* s’entendait très bien avec le tatoueur avant de travailler avec lui, elle a vite déchanté.
Elle raconte l’avoir entendu se vanter d’avoir frappé untel ou unetelle à de nombreuses reprises, distiller des propos “racistes”, “négationnistes”, et avoir “dû répondre à des coups de téléphone à 2 heures du matin”. Élodie* décrit également un bizutage quasi systématique envers les apprenti·e·s. “Certain·e·s devaient courir nu·e·s dans la rue, ou garder la place de voiture de Tin-tin pendant plusieurs heures…, énumère l’ancienne employée. On ne devrait pas traiter des personnes comme ça, mais il croit qu’il a tous les pouvoirs. Il a toujours terrorisé les gens. Il exploite tout le monde: c’est un pervers narcissique misogyne et homophobe. ” Une homophobie également décrite par Thomas* et Jérôme*. “Il a beau tatouer tout le Marais, on sait pertinemment qu’il est homophobe, soupire ce dernier. Mais il ne faut pas qu’il le dise car ça nuirait à sa carrière.” Lesbienne, Élodie* se serait faite “afficher” par Tin-Tin dès qu’il recevait une cliente, par des propos tels que: “Ça va, elle ne vous a pas trop draguée la gouine?”
“Il nous a séquestrées pendant 20 minutes”
Au début de leur collaboration, la jeune femme aurait dit au tatoueur qu’elle ne pouvait pas travailler correctement lorsqu’il lui criait dessus. “Il m’a répondu en hurlant: ‘Moi, c’est ta connerie qui me terrorise!’. C’était l’enfer. Un jour il te dit blanc puis l’autre noir, juste pour le plaisir de t’engueuler. Quand il était mécontent de mon travail, il lui arrivait aussi de m’insulter devant les clients à m’en faire pleurer, enchaîne la trentenaire. Dans son shop, il a toujours une tête de turque. À un moment, c’est tombé sur moi: il voulait me faire partir et s’était convaincu que j’avais volé dans la caisse.”
D’après Élodie, c’est dans cet état d’esprit que Tin-tin lui aurait donné rendez-vous dans son shop, pour qu’ils s’expliquent. Alors qu’il l’y aurait attendu, seul, la jeune femme serait venue accompagnée d’une amie. “Peu après qu’on soit arrivées, il m’a mis une claque et a frappé mon amie avec une chaussure; ça lui a percé le tympan, raconte l’intéressée, encore émue. Il m’a piqué mon téléphone et ne me l’a jamais rendu. J’ai eu très peur car il est balèze. Puis, il était hors de lui, on aurait dit un fou; c’était très impressionnant.”
Malgré les supplications d’Élodie, et ses propositions d’appeler les policiers pour prouver qu’elle n’avait rien volé, Tin-Tin ne les aurait pas laissées sortir, elle et son amie. Ce sont les cris de cette dernière qui leur auraient permis de quitter les lieux. “Une fenêtre était ouverte; je pense que Tin-Tin n’avait pas envie qu’on nous entende, suppose-t-elle. Il nous a quand même séquestrées pendant 20 minutes.” D’après Élodie, son amie et elle sont allées porter plainte. Elles attendent toujours d’être appelées pour une confrontation.
* Les prénoms ont été modifiés afin de préserver l’anonymat des témoins interrogés qui n’ont pas souhaité pouvoir être identifiés.
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