Plusieurs associations récupèrent de longues mèches de cheveux pour les vendre au profit de femmes atteintes d’un cancer. Objectif: les aider à financer leur perruque et à retrouver leur féminité. Notre journaliste Arièle Bonte a testé l’expérience.
83 centimètres. La dernière fois que j’ai mesuré la longueur de ma tignasse avec ma mère, elle mesurait 83 centimètres du haut de mon crâne jusqu’à la toute dernière pointe de mes cheveux. Autant vous dire que je me rends rarement dans un salon de coiffure. Je préfère m’occuper moi-même de mes pointes. Deux, trois coups de ciseaux suffisent et basta. Mais il y a quelques semaines, je me suis séparée de cette chevelure qui me caractérise depuis tant d’années. Pourquoi? Pour changer de tête, m’alléger l’esprit et les épaules, et prendre part à une bonne action: donner mes cheveux à une association pour financer les perruques des femmes atteintes d’un cancer.
La première fois que j’ai entendu parler du don de cheveux, c’était en 2018, quand Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État en charge de l’égalité entre les hommes et les femmes, avait communiqué sur le sujet à l’occasion de la campagne Octobre Rose. “Quand une femme souffre d’un cancer, la facture augmente vite et va bien au-delà des soins médicaux eux-mêmes… Par exemple, pour celles qui perdent leurs cheveux avec le traitement et n’ont pas toujours les moyens d‘acheter une perruque si elles le veulent”, écrivait-elle sur son compte Facebook.
Depuis avril 2019, les modalités de prise en charge de l’assurance maladie ont changé mais ne sont pas toujours suffisantes, comme le souligne Marie-Claire Salmon, psychologue à la Ligue contre le cancer et écoutante sur la ligne dédiée (0 800 940 939). “Ce sont souvent des prothèses qui ne sont pas de très bonne qualité. Il faut compter autour de 800 euros pour un rendu plus naturel.”
Changer de tête
Face à ce constat, on peut se dire que donner ses cheveux n’est pas si compliqué. Il suffit de bénéficier d’une longueur suffisante (25 centimètres sur les plus petites mèches pour l’association Solid’hair, 30 pour Coupe d’éclat), de les rassembler en deux ou trois couettes, les couper et les envoyer par La Poste. Mais quand on touche à cette partie de notre corps, c’est toute une réflexion qui se met en place et, pour ma part une prise de conscience: ma tignasse me protège du monde extérieur, elle entoure mon corps telle une armure. Que vais-je devenir sans elle? Qui serai-je? Pourquoi suis-je aussi attachée à cette longueur extraordinaire? Vais-je devenir ordinaire, une fois les cheveux (plus) courts?
“Changer de tête permet de restaurer l’image de soi si elle a été bousculée. On le constate dans les salons de coiffure des hôpitaux, chez les femmes suivies pour une dépression. Et c’est banal après un échec sentimental ou professionnel”, explique le docteur Sylvie Consoli, dermatologue et psychanalyste dans Psychologies Magazine. “À l’opposé, conserver à jamais la même coupe de cheveux témoigne que l’on est en accord avec soi-même. On s’est trouvé, on sait qui l’on est. À moins que cette attitude ne cache une crainte de la nouveauté ou une forme de rigidité. On instaure sa coiffure et on ne change pas non plus d’opinions ni d’habitudes.” Une réflexion qui donne matière à réfléchir et qui explique peut-être pourquoi il s’est passé neuf mois entre le moment où j’ai décidé de passer à l’action (septembre 2019) et le passage sur le siège d’un salon de coiffeur (début juin 2020). Le temps d’une gestation.
Arièle Bonte, avant / après, DR
Être renvoyée à son statut de malade
Mais les patientes atteintes d’un cancer n’ont pas ce luxe. Car la perte de cheveux ne renvoie pas seulement à une perte de leur féminité, comme on pourrait le penser d’emblée. “Ce qui revient souvent chez les femmes comme chez les hommes, c’est la difficulté du regard de l’autre, qui s’ajoute au regard que l’on porte sur soi-même”, confie Marie-Claire Salmon. En d’autres termes: perdre ses cheveux parce qu’on est malade, c’est exister dans la société uniquement en tant que malade. Être renvoyées à ce statut dans une vie sociale et/ou professionnelle jusqu’alors préservée peut être un véritable choc. D’où l’importance, pour certaines, de pouvoir “se protéger des réactions d’autrui par l’usage d’une perruque”, explique encore la psychologue.
Mais n’allez pas croire qu’avec ma quarantaine de centimètres donnés, j’ai pu aider une femme en particulier, comme je le fantasmais. Tiffany Bulteau, porte-parole de Think Pink, la campagne nationale belge de lutte contre le cancer du sein, à l’origine de l’opération Coupe d’éclat, explique que les cheveux reçus sont triés et traités. “Pour concevoir une perruque en cheveu véritable, il faut 6 à 10 dons de cheveux de 30 centimètres, précise-t-elle. On ne peut donc pas aider une personne directement avec une queue de cheval.” Bonne nouvelle, Coupe d’éclat, qui en est à sa sixième édition, a reçu plus de 170 000 dons.
De mon côté, comment me suis-je sentie en passant d’une coupe (très très) longue à un carré long? Étrangement bien. Il faut dire que passer le confinement avec ma tignasse m’a convaincue qu’il était temps de passer à autre chose. Je n’avais plus qu’une hâte: me débarrasser de cette longueur encombrante et découvrir mon nouveau visage. Suis-je devenue une personne différente depuis? Pas vraiment! Si ce n’est que je me sens… plus légère. À qui le tour?
Arièle Bonte