Et si la contraception se conjuguait aussi au masculin? Qu’elles soient hormonales ou thermiques, les méthodes de maîtrise de la fertilité destinées aux hommes sont disponibles et déjà utilisées depuis plusieurs années. Pourtant, elles restent toujours très confidentielles. Enquête.
“Il faut déconstruire l’idée selon laquelle la contraception ne concerne que les femmes.” Convaincu que la maîtrise de la fécondité est une responsabilité à partager au sein du couple, Guillaume, 28 ans, s’est tourné vers une méthode contraceptive masculine l’année dernière. “Ma compagne ne supportait pas la contraception classique hormonale”, explique-t-il. Marjolaine, avec qui il partage sa vie, confirme en évoquant la “quinzaine de pilules différentes essayées et un stérilet hormonal testé avec des effets secondaires désastreux”. C’est en consultant en gynécologie au CHU de Toulouse que le duo est orienté vers le Dr. Alain Mieusset, andrologue spécialiste de l’infertilité et de la contraception masculine. Guillaume se voit alors proposer la méthode du slip chauffant. Le principe est simple: enfiler un sous-vêtement sous son caleçon, qui permet d’élever la température des testicules en les plaquant contre le corps et de freiner ainsi la production de spermatozoïdes. Depuis, Marjolaine n’utilise plus de contraception et, à en croire les spermogrammes régulièrement réalisés par Guillaume, la méthode fonctionne.
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Ils seraient entre 20 et 50 hommes en France à profiter d’un moyen de contraception autre que le préservatif et la vasectomie selon Pierre Colin, cofondateur d’Ardecom, l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine fondée dans les années 70. Leurs motivations sont partagées entre désirs d’être maîtres de leur fertilité, d’alléger la charge mentale des femmes et de trouver une alternative à une méthode hormonale que leur partenaire ne supporte pas ou plus. Quand nous interrogeons le militant sur les résultats d’une étude réalisée sur une potentielle pilule pour hommes, encourageants mains loin d’être suffisants pour une mise sur le marché, Pierre Colin s’agace: “Il faut arrêter d’entretenir l’idée que la contraception masculine appartient au futur et non au présent. Aujourd’hui, en France, on a déjà des méthodes qui fonctionnent.” Lumière sur ces moyens de contraception qu’Ardecom présente tous les mois lors de réunions d’information au Planning familial de Paris, mais qui restent encore largement confidentiels.
Le slip chauffant ou la contraception thermique
“Slip chauffant”, “Boulocho” ou encore “Remonte-couilles toulousain”, les noms ne manquent pas pour désigner la méthode de contraception thermique imaginée par le Dr. Mieusset en 1978. Seul représentant du corps médical à proposer cette technique -Ardecom organise de son côté des ateliers de couture pour permettre aux hommes de réaliser les sous-vêtements eux-mêmes-, le spécialiste détaille son mode de fonctionnement sur un site. En simplifié, l’utilisateur positionne ses organes et la peau de son scrotum pour empêcher les testicules de prendre leur place dans les bourses. Elles remontent alors au plus près du corps et se réchauffent à son contact, ce qui entraîne une diminution de la production de spermatozoïdes.
“L’enjeu est que les testicules ne redescendent pas et qu’aucune gêne ne se fasse sentir.”
Une manipulation qui doit être scrupuleusement réalisée et que le docteur enseigne à ses patients lors des premières consultations. Il en profite pour leur expliquer qu’une période de trois mois est nécessaire avant de pouvoir considérer la contraception comme efficace et pour leur distribuer différents modèles du produit. De quoi satisfaire Alban, maraîcher de 30 ans, dont la profession implique une activité physique: “Le docteur nous donne cinq modèles à essayer dans les situations de la vie courante. L’enjeu est que les testicules ne redescendent pas et qu’aucune gêne ne se fasse sentir.”
15 heures par jour: une contrainte?
Les essais de slips se font de manière progressive pour que le patient puisse s’habituer à ce nouveau sous-vêtement, jusqu’à être en mesure de le porter durant les quinze heures par jour nécessaires à son bon fonctionnement. Pour Erwan, 38 ans, lui aussi utilisateur de la contraception thermique, cette obligation est plus que supportable. “Quand je compare ça aux contraintes qui pèsent sur les femmes concernant par exemple leur apparence, le maquillage, l’épilation, les vêtements ou sous-vêtements inconfortables, je me dis qu’on n’a pas trop à se plaindre.” Lorsqu’on les questionne sur la réversibilité de la méthode, Erwan, Alban et Guillaume n’émettent aucune crainte. Ils se justifient en évoquant les périodes pendant lesquelles ils n’ont pas respecté les 15 heures et ont observé une reprise de la spermatogenèse sur les spermogrammes de contrôle.
Une piqûre d’hormones
Pour les hommes que les quinze heures d’utilisation par jour inquiéteraient, l’association Ardecom fait la promotion d’une autre méthode de contraception masculine, cette fois-ci hormonale. L’utilisateur de la CHM (contraception hormonale masculine) reçoit une injection hebdomadaire d’une solution à base d’énanthate de testostérone qu’il peut réaliser lui même, dans un muscle. Une première expérience réalisée auprès de 401 couples en 1996 a apporté des résultats plutôt positifs comme en témoigne cet article de Libération qui présente “une méthode contraceptive efficace à 98,6%”, mais dont la voie d’administration, “pas vraiment incitative”, décourage une utilisation à large échelle. À en croire un communiqué de presse diffusé par Ardecom et le Planning familial en octobre 2013, les hommes qui ont expérimenté cette technique sont au moins au nombre de 1 500 et son protocole a été validé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pourtant, ces injections ne sont prescrites aujourd’hui que par le Dr. Jean-Claude Soufir, médecin à l’hôpital Cochin de Paris et le Dr. Alain Mieusset. Ardecom s’étonne que la méthode ne prenne pas, alors qu’à titre de comparaison, “la pilule pour femmes [a été] prescrite à des millions de femmes après une étude de Pincus sur environ 200 femmes”.
Réticences dans le milieu médical
Malgré nos appels à témoignages et sollicitations auprès d’Ardecom, nous n’avons trouvé aucun utilisateur de la CHM prêt à discuter avec nous. Rien d’étonnant si l’on se fie aux déclarations de Martin Winckler, médecin à la retraite, spécialiste de la contraception et notamment auteur des Brutes en blanc, que la méthode ne convainc pas. Nous lui avons envoyé les articles transmis et signés par Jean-Claude Soufir, sur lesquels le docteur appuie son argumentation. “Aucun des articles ne parle de la toxicité à long terme. Or, il n’est pas anodin de soumettre les hommes à des protocoles hormonaux non ‘naturels’ pendant de longues années. […] La plupart des médicaments et les hormones sexuelles passent dans le sperme. […] Il faudrait donc étudier non seulement les effets au long cours des hormones sur les hommes qui en prennent mais aussi sur leurs compagnes, déclare Martin Winckler. Montrer que cette méthode est sans danger pour les utilisateurs et leurs partenaires est quasiment impossible.”
“Les deux essais remontent à plus de vingt ans, ce qui signifie qu’ils n’étaient pas assez concluants pour l’OMS.”
Lorsque nous abordons la validation du protocole par l’OMS, il nuance: “L’OMS a validé des protocoles expérimentaux, destinés à évaluer les méthodes. C’était légitime. Elle n’a pas pour autant déclaré qu’il fallait les utiliser de manière élargie. D’ailleurs, les deux essais remontent à plus de vingt ans, ce qui signifie qu’ils n’étaient pas assez concluants pour l’OMS pour en financer d’autres, alors que l’organisation a par exemple promu et soutenu largement la vasectomie.”
La faute à la culture patriarcale?
Quoi qu’il en soit, il est étonnant de constater le manque d’avancées concernant la maîtrise de la fertilité masculine. Pour Martin Winckler, les recherches sur le sujet trouvent leurs limites dans la science. Alors que le fonctionnement de la pilule féminine consiste à faire croire au cerveau que les utilisatrices sont enceintes, et qu’il s’agit donc de reproduire une situation “normale”, les hommes, eux, ne connaissent pas de phénomène naturel qui interrompe leur production de spermatozoïdes. Pour certain·e·s féministes, la barrière est sociale et relève du caractère patriarcal de la société. Sabrina Debusquat, journaliste indépendante spécialisée dans les sujets santé (Ndlr: collaboratrice de Cheek Magazine) et autrice de J’arrête la pilule, attribue ce phénomène à une structure sociale “marquée par le machisme et le patriarcat dans laquelle la recherche est très masculinisée” et qui “pense que cette charge incombe aux femmes”. La jeune femme évoque en conséquence une “réticence à toucher à la fertilité masculine, la peur que cela puisse ‘affecter’ en quelque sorte la virilité”. De son côté, Erwan avance une justification historique. “Dans le passé, les hommes utilisaient la méthode du retrait pour la simple raison que si leurs partenaires tombaient enceintes, ils avaient pour obligation de se marier avec elles, renseigne-t-il. L’arrivée de la pilule a eu pour effet de faire de la contraception une affaire de femmes.”
Le Dr. Soufir soutient quant à lui qu’un plus fort intérêt médical concernant la question de la contraception masculine ne se fera pas sans une mobilisation massive. “La contraception féminine s’est développée grâce à une pression sociale qui a engendré une adaptation du corps scientifique et du corps médical, raconte-t-il. On attend qu’il y ait un mouvement social, éventuellement politique et économique pour permettre le développement de nos méthodes.” Concernant la contraception thermique, le Dr. Mieusset discuterait avec un industriel pour financer plus de 2000 sous-vêtements en vue d’une étude sur 400 couples pour une reconnaissance de sa méthode à l’échelle européenne. Pierre Colin en est persuadé, “dans un ou deux ans, cette technique sera commercialisée de manière industrielle et remboursée”. Une bonne nouvelle pour les hommes, mais aussi pour les femmes qui, comme Marjolaine, ne sont pas satisfaites des produits contraceptifs qui leur sont proposés aujourd’hui.
Margot Cherrid
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