À la veille de l’élection présidentielle au Chili, un pays très conservateur en matière de droits des femmes, on a rencontré Constanza Figari, la réalisatrice d’un film coup de poing sur l’avortement.
L’année dernière, son film 7 semanas avait créé un vif débat dans son pays au moment de sa sortie au mois de décembre. En effet, le long-métrage de Constanza Figari suit le parcours d’une jeune Chilienne qui décide, contre l’avis de tous, de mettre un terme à une grossesse non voulue. Depuis, la loi autorisant l’IVG thérapeutique a été votée. La plupart des médias ont alors parlé d’une victoire historique. Qu’en est-il vraiment? À deux jours de l’élection présidentielle qui se tiendra dimanche, où le candidat de droite Sebastian Piñera a déjà annoncé qu’il reviendrait sur la législation en vigueur, rencontre avec la réalisatrice du film, Constanza Figari.
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Quand as-tu décidé de réaliser ce film et surtout, pourquoi?
Par le passé, comme de nombreuses femmes, j’ai cru quatre ou cinq fois être enceinte. Chaque fois, j’étais dépitée et résignée: même si je ne le voulais pas, j’allais être mère. Il n’y avait pas d’autre possibilité. Le film est inspiré de l’histoire vraie d’une de mes amies: elle n’en a parlé à personne hormis à moi au départ. Elle avait honte, elle avait peur. Elle-même pensait ne jamais avorter un jour. 7 semanas était mon projet de fin d’études, il suit le parcours d’une jeune Chilienne qui décide, contre l’avis de tous, de mettre un terme à une grossesse non voulue. À ce moment-là, je ne savais pas que ce film allait changer ma vie à sa sortie, en décembre 2016: avec ma famille, avec mes proches, dans la société. Certains membres de ma famille, très conservatrice, catholique, pro-life ne m’ont plus parlé pendant des mois. J’ai toujours été féministe, mais là, j’ouvrais une porte sur cette énorme réflexion, je donnais une voix à cette cause. C’était une décision politique de faire ce film.
Tu as étudié le cinéma dans une université catholique et conservatrice. Quelle a été la réaction de tes professeurs quand tu as décidé de travailler sur ce sujet?
Tous nos professeurs étaient des hommes, d’environ 40 ans. Au départ, ils avaient vu le potentiel de ce film uniquement parce que le sujet était en vogue avec les discussions au Congrès (Ndlr: les discussions autour du projet de loi autorisant l’avortement thérapeutique ont duré plus de deux ans au Chili). Ils se disaient, “ça va être mortel!” parce qu’ils savaient que le film ferait parler. Eux, voulaient qu’on fasse un film qui abordait l’avortement d’une femme concernée par les trois cas de la loi, à savoir en cas de viol, de risques pour la vie de la mère et de risques pour la vie du fœtus. Sauf que nous, nous voulions vraiment prendre le cas d’une femme confrontée à une grossesse non désirée sans qu’elle entre dans ces trois conditions. Nous voulions parler de la propre décision d’une femme d’avoir ou non un enfant. On a dû lutter pour qu’il s’agisse d’un personnage tout ce qu’il y a de plus classique. Ca a été un vrai combat avec les professeurs, ils ont eu beaucoup de mal à comprendre.
Quel a été l’accueil du public à sa sortie?
Même si le sujet a fait polémique au sein de la société, à sa sortie, énormément de femmes nous ont remercié, nous ont dit combien elles avaient eu besoin de ce film, combien elles se sentaient représentées par ce personnage. Une femme m’a même écrit pour me confier être actuellement en procédure judiciaire car quelqu’un avait dénoncé son IVG clandestine. Elle me disait être très anxieuse car elle avait son procès le lendemain et le film lui avait donné du courage. Ici, tu ne peux faire confiance à personne, tu es jugée très sévèrement si tu dis que tu veux avorter ou que tu as avorté. Il ne faut pas oublier que tu peux aller en prison pour ça! Ces dernières années, la société a évolué sur le sujet extrêmement rapidement. Même si c’est toujours tabou, ce n’est plus si difficile d’en parler, tu peux plus facilement appeler une amie de confiance et lui demander où trouver de l’aide pour obtenir une pilule abortive. Quand on a commencé à filmer en 2014, ce n’était vraiment pas le cas.
Que penses-tu de la loi qui a été votée cet été et qui permet désormais un accès à l’avortement thérapeutique dans trois types de cas?
On a enfin une base, toute petite, mais ce n’est pas une victoire. Ce n’est pas ce que nous voulions, pas ce dont nous avons besoin. Ce n’est pas vraiment une avancée car la décision ne revient toujours pas à la femme. Ça reste quelque chose de très paternaliste: ce sont les médecins qui décident si une femme peut avoir recours à un avortement ou non. Il faut qu’ils aient décidé si le fœtus est viable ou non, si cela représente un danger pour la vie de la mère. Il ne s’agit pas du droit des femmes à disposer de leur corps. C’est seulement après ce diagnostique qu’une IVG peut être décidée. Même le viol ne garantit pas toujours d’avoir accès à une IVG.
C’est-à-dire?
Les médecins peuvent avancer leur objection de conscience, et ça va même jusqu’à l’équipe médicale. Si un membre de l’équipe est contre cette IVG, elle n’a pas lieu. La conséquence est d’autant plus dramatique si tu vis dans une ville où il n’y a qu’un seul hôpital aux alentours. Tu serais obligée de te rendre à des centaines de kilomètres pour trouver un autre hôpital qui accepterait peut-être de réaliser cette IVG. Ce qui signifie que si une gamine est violée par son beau-père en Patagonie par exemple, – parce que oui ça arrive toujours et bien trop souvent -, et si l’hôpital le plus proche de chez elle refuse de pratiquer un avortement, elle se retrouvera dans une situation dramatique. C’est directement la conséquence des mœurs de la société.
© Audrey Lebel pour Cheek Magazine
Qu’entends-tu par les mœurs de la société?
Durant les discussions au Parlement, le point concernant le viol a suscité beaucoup de débats. Le Chili est un pays très catholique et très conservateur. De nombreux députés disaient “ne tuez pas cet innocent, il n’y est pour rien, même si les conditions de sa conception sont terribles”. Le discours de la droite durant les discussions consistait à dire “vous serez un super héros en gardant cet enfant né d’un viol”. Ils ne parlaient même pas de fœtus mais utilisait des mots comme “bébé”, “sœur”, “frère”, de façon à ce que les femmes ayant accès à une IVG, même après un viol, se sentent mal, soient jugées par la société. Ils disaient également “tout le monde va inventer un viol désormais pour avoir accès à l’avortement”. C’était très violent. Cette loi n’est pas une victoire non plus car les gens vont désormais dire, “n’en demandez pas plus, vous avez déjà ça, ça suffit”. Alors même que cette loi, c’est le minimum! Les trois cas qui permettent aujourd’hui l’accès à l’IVG ne représentent qu’environ 3% de l’ensemble des avortements au Chili selon les associations féministes.
La prochaine élection présidentielle aura lieu le 19 novembre. Quelles seront les conséquences pour les droits des femmes si le camp de la droite l’emporte?
Sebastien Piñera (Ndlr: candidat de la droite, ancien président du Chili de 2010 à 2014) a déjà dit qu’il changerait la loi dès son élection. Alors même que la loi est déjà limitée, notamment avec l’objection de conscience. Mais ne soyons pas entièrement pessimistes. On vit un moment où les féministes qui se battent pour les droits des femmes ont enfin une voix et un certain poids au sein de la société. Les femmes se réveillent aujourd’hui. Si Piñera revient sur cette loi comme il l’a promis, ce serait aussi peut-être un mal pour un bien car ça permettrait de garder les discussions ouvertes sur le sujet. Il y aurait des manifestations pour protester contre sa décision, et les femmes pourraient de nouveau exprimer ce qu’elles souhaitent: le droit à disposer librement de leur corps.
Propos recueillis par Audrey Lebel, à Santiago du Chili
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