On a rencontré Déborah Meier-Mimran, l’une des trois avocates de la websérie de France Télévisions, Commises d’office.
Déborah Meier-Mimran, 30 ans, est avocate généraliste, avec un net penchant pour le pénal. Au tribunal d’Évry, elle défend depuis cinq ans ceux qui le lui demandent, et ceux qui n’en ont pas les moyens: en parallèle de ses dossiers habituels, elle est commise d’office. La jeune femme est l’une des protagonistes de l’excellente websérie documentaire signée Olivia Barlier, aux côtés de Noémie Meublat et Marion Masson. On les suit toutes les trois dans leur quotidien d’avocates commises d’office, confrontées à différents dossiers. La série est intégralement disponible sur la chaîne de IRL, la plateforme de France Télévisions. Déborah Meier-Mimran défend, elle, son premier gros dossier: un homme accusé de viol par des proches. Pour en savoir plus sur son travail, Cheek l’a rencontrée.
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Comment vis-tu l’obligation de défendre des dossiers que tu n’as pas choisis?
Au barreau de l’Essonne, et dans la plupart de ceux d’Ile-de-France, on n’est pas convoqué sur des affaires criminelles comme ça. On s’inscrit d’abord sur des listes, il y a une démarche positive de notre part. Donc, on s’attend à recevoir ce genre de dossier. Bien sûr, certains d’entre eux peuvent nous heurter, nous marquer plus que d’autres, mais on a toujours une clause de conscience, la possibilité de dire “non, ce dossier-là, je ne peux pas”. Et puis, finalement, les faits ne me heurtent pas. C’est impossible de se détacher de tout sentiment, mais on est des professionnels, j’en viendrais presque à dire: “J’ai vu pire, je verrai pire.” Certains faits, peut-être, m’interpelleront plus que d’autres, mais c’est justement là que je me demanderai comment en est-on arrivé là? Je chercherai à comprendre l’enchaînement qui a provoqué la situation dans laquelle est la personne.
Comment gères-tu l’échec -qui se lit un peu sur ton visage dans Commises d’office– lorsqu’un client dessert son cas lors d’une audience?
À l’école, on nous a toujours dit “le pire ennemi du client, c’est le client lui-même”, et ça se vérifie totalement. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de réagir: n’importe qui serait en difficulté alors qu’on le sort de détention pour le balancer devant un juge d’instruction, une cour d’assises ou un tribunal correctionnel. On lui enlève les menottes trente secondes avant… Jamais le client n’aura la posture qu’on attend. S’il est innocent, il essaiera de le montrer mais ça ne fonctionnera pas, parce que c’est tellement simple de partir dans tous les sens pour essayer de se défendre. S’il ne l’est pas, il essaiera de se sortir de là par tous les moyens… Théoriquement, chacun est présumé innocent, mais la présomption d’innocence, à mon sens, n’existe pas! Du coup, je crois que ça ne sert à rien de m’énerver contre le client, mais qu’il vaut mieux tout faire pour expliquer à l’interlocuteur, au magistrat, que justement, il n’y a pas de bonne posture. J’essaie de leur faire comprendre qu’il faut faire abstraction de l’attitude à l’instant T qui, pour moi, ne veut rien dire, pour se concentrer sur le fond du problème qui nous occupe.
Assez tôt, tu déclares “Je refuse d’accepter qu’il prenne 30 ans simplement parce qu’il n’a pas le bon profil”. C’est quoi justement le bon profil?
C’est super simple: une femme, blanche, entre 30 et 50 ans. Là, vous pouvez tuer votre gosse, c’est bon, vous allez ressortir. C’est très sérieux, j’ai eu une cliente accusée pour un bébé secoué, l’enfant n’a pas survécu, et elle a fait trois mois de détention provisoire! Alors qu’à côté, des mecs qui se font prendre avec des stupéfiants, en correctionnelle, ils se retrouveront avec un an de détention provisoire! Je ne sais pas pourquoi, mais pour n’importe qui, les juges, les jurés, vous, moi, c’est toujours plus compliqué d’envoyer une femme en prison. Et le pire profil, ça va être un type entre 20 et 40 ans, noir ou arabe, qui n’a pas de boulot. Le client dont on suit le dossier dans la série, par exemple, correspond bien aux clichés, il rentre dans ce genre de catégorie, il ne sait pas s’exprimer, etc.
Il n’y a quasiment que des femmes, dans la série, dans quelle mesure est-ce représentatif de la profession?
Le dossier de Commises d’office, avec sa juge, sa greffière, ses expertes femmes, c’est un cas un peu à part pour être honnête! La profession se féminise, c’est certain: il y a beaucoup de femmes juges, la plupart des greffiers sont des femmes, ça ne sert à rien de le cacher… Mais au pénal, on est moins nombreuses que les hommes.
Dans quelle mesure cela laisse-t-il de la place au sexisme?
Quoiqu’on fasse, au début, il faut taper plus fort du poing sur la table. Il m’est arrivé d’entendre des trucs de la part de magistrats hommes qui ne se seraient jamais permis de sortir le même genre de choses à mes confrères masculins, même les plus jeunes. Devant ces gens-là, j’ai tapé franchement du poing sur la table, aussi parce que je me savais soutenue par mes supérieurs. Et maintenant, quand je les croise, ils sont super sympas. Mais ma patronne l’avait aussi remarqué: il faut leur montrer qu’on est là, qu’on ne se laissera pas faire. Une fois qu’on a montré les dents une bonne fois pour toutes, ils nous fichent la paix. Mais il y a besoin de le faire, alors que ce ne sera pas le cas pour les trois quarts de mes confrères masculins.
“Il m’est arrivé de plaider pour des cas de bébés secoués alors que j’étais enceinte. Des jurés ont alors demandé au président de la cour d’assises comment j’avais fait.”
Et puis dans l’exercice quotidien de mon travail, j’entends parfois des réflexions invraisemblables. Il m’est arrivé de plaider pour des cas de bébés secoués -j’en ai eu plusieurs- alors que j’étais enceinte. À la fin du procès, le président de la cour d’assises est venu me dire que plein de jurés lui avaient posé des questions du genre “comment elle a fait pour plaider?”. Mais, et alors? Premièrement, ça ne m’enlève pas le cerveau, et deuxièmement je ne vais pas avoir l’idée de secouer mon bébé dans mon ventre, c’est idiot! Et puis, je suis une avocate, je suis derrière une robe qui représente ma fonction. Que j’attende un enfant, ce n’est vraiment pas le débat. J’ai fait remarquer au président que, s’il avait su qu’un confrère homme venait d’avoir un enfant, il ne lui en aurait pas parlé. Il a répondu “oui c’est vrai”, et il s’est senti gêné.
Et avec vos clients, comment ça se passe?
Justement hier, il y en a un qui m’a dit: “Je sors de prison, j’ai eu plusieurs avocats, je ne vous cache pas que c’étaient des hommes, mais ils ne sont pas sérieux et je me suis dit que j’allais changer.” Du coup, je réponds quelque chose comme: “Mais on ne vous a jamais dit que les femmes sont beaucoup plus sérieuses, qu’elles font les choses jusqu’au bout?” Il a ri et puis, il a fini par lâcher: “Honnêtement, j’avais peur de prendre une avocate femme!” Et quand je lui ai demandé pourquoi, évidemment, il a dit qu’il ne savait pas. Bref, ça arrive mais, dans un sens, ça a aussi un avantage d’être une femme. Une fois qu’ils ont compris que nous aussi, on peut être avocates, les clients peuvent même être plus sympas. Il y en a un, par exemple, qui m’avait interdit de venir à la fin de ma grossesse, il disait: “Non, ne venez pas à la prison dans cet état, je suis prêt à attendre.” Après, bien sûr, il y en a aussi qui vont directement dire “je ne veux pas de femme, je veux un avocat”. C’est encore arrivé la semaine dernière à une copine. Dans ces cas-là, pas la peine de trop se prendre la tête, on laisse le dossier à quelqu’un d’autre.
Propos recueillis par Mathilde Saliou
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