Pensée par tous les grands philosophes, dont l’Américain Ralph Waldo Emerson, la confiance en soi repose sur quelques principes d’action et de réflexion, dont Charles Pépin consigne avec clarté les enjeux dans son nouvel essai, “La confiance en soi, une philosophie”.
“Aie confiance en toi : chaque cœur vibre à cette corde de fer” : guidé par cette phrase du philosophe américain Ralph Waldo Emerson, guide spirituel majeur de “la confiance en soi“ (essai paru en 1841, qui reparaît ces jours-ci chez Rivages poche), Charles Pépin se livre à son tour à une réflexion sur une question fétiche de l’histoire de la philosophie. De la sagesse des Grecs anciens (Aristote, Sénèque, Marc Aurèle, Epicure…) aux penseurs de la modernité (Spinoza, Rousseau, Kierkegaard…), l’auteur puise dans la grande tradition de la pensée des ressources pour penser le défi de la confiance en soi à l’aune de notre époque, traversée en son cœur par une polarisation problématique entre des individus très (trop peut-être) confiants en eux et d’autres dépourvus de toute estime d’eux-mêmes, comme perdus dans un monde qui ne les aide pas à croire à quelque idée que ce soit, une idée d’eux-mêmes ou autre chose d’extérieur à eux.
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Déduire, par soi-même, la leçon de sa propre vie
Après avoir exploré dans un précédent livre les “vertus de l’échec”, logées dans une vision pratique d’un art de vivre structuré par un travail sur le négatif, Pépin se livre ici à un examen bref et concis de ce que chacun pourrait, par lui-même, développer en soi : activer des ressources pour gagner une confiance sans laquelle une vie humaine n’est pas possible. L’auteur pourrait, par sa méthode, céder à la tentation d’un énième livre de développement personnel, livrant quelques règles de vie qu’il suffirait de suivre à la lettre pour trouver le Graal. Si, en effet, le livre est construit à partir d’injonctions – “écoutez-vous“, “émerveillez-vous“, “restez fidèle à votre désir“, “décidez“, “faites confiance au mystère“… -, la lecture échappe à ce cadre bêtement scolaire tant la démonstration de l’auteur emprunte des chemins qui ouvrent plus la réflexion qu’ils ne l’enferment dans un cadre rigide. Certes guidée par un tropisme pédagogique, en forme d’adresse frontale à son lecteur, la réflexion tient moins d’une leçon de vie, en surplomb, qu’une invitation faite à chacun de déduire, par soi-même, la leçon de sa propre vie.
C’est en s’inspirant des philosophes, mais aussi de personnalités diverses (anonymes, sportifs, toujours présents dans les réflexions de Pépin, dont on devine la fascination pour les exploits de joueurs de tennis ou de basketteurs, experts en matière de confiance dans leurs gestes, de Federer à James LeBron) que nous pouvons mieux saisir les enjeux de la confiance en soi. Chacun mesure bien qu’elle agite, pour le pire et le meilleur, nos vies quotidiennes, autant dans la vie affective que dans le travail, autant dans la vie solitaire que dans les rapports sociaux.
Une manière “d’affronter l’incertitude et le doute”
Parmi les divers enseignements que Pépin tire de ses lectures éclairantes, il en est au moins deux qui s’imposent comme des idées fortes et structurantes : la confiance en soi est “toujours en même temps une confiance en autre chose que soi”, d’une part, et la confiance en soi est une manière “d’affronter l’incertitude et le doute”, plutôt que une forme d’assurance souveraine. Avoir confiance en soi implique autant de voir plus loin que soi que de consentir à sa propre fragilité et d’en faire quelque chose. Ce double mouvement du regard et de la conscience construit un rapport au monde par lequel une forme d’élévation de soi opère.
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L’expérience esthétique nous rappelle à cet impératif quasiment catégorique selon lequel la contemplation de la beauté (quelle que soit la forme qu’on lui prête : une œuvre d’art, un paysage, un visage, un passing-shot…) nous rend davantage présents à nous-mêmes et au monde. C’est par cet effet de présence, souligne Pépin, qu’elle a “le pouvoir de réveiller notre confiance en soi“. La beauté qui s’ouvre et s’offre à nous, dans quelques circonstances heureuses de la vie, nous le rappelle : “nous habitons ce monde“. Afin d’étayer cette intuition et en faire une sorte de vérité, Pépin évoque un moment d’éternité lorsqu’il découvrit dans sa jeunesse une toile de Rothko, moins comme une épreuve mystique que comme une pure expérience vitale. “Fréquenter la beauté, c’est se rapprocher de soi ; non pas simplement s’évader mais plonger au fond de soi pour y trouver la possibilité de la confiance”, écrit-il. Se laisser guider par la beauté, c’est donc dépasser la simple fonction de spectateur émerveillé du monde ; c’est être “rendu à notre présence au monde”.
Avoir confiance en soi, ce n’est surtout pas être sûr de soi
Cette présence au monde se déploie aussi dans la capacité que nous avons de faire confiance à nos seules intuitions, à ce que Charles Pépin appelle “s’écouter”. Emerson, toujours lui, écrivait ainsi : “L’homme devrait apprendre à détecter et à observer cette lueur qui, de l’intérieur, traverse son esprit comme un éclair”. S’écouter, c’est être forcément attentif aux moindres mouvements qui nous agitent ; mais c’est aussi, comme le disait Bergson, “accueillir dans l’instant la totalité de notre passé, de notre vécu”.
Cette acceptation exige de l’agilité, de la souplesse et de la force à la fois, en conditionnant une métamorphose intérieure. Pour conquérir cette confiance en soi, il faut savoir hésiter, douter, tâtonner, se perdre, décider à un moment, en prenant en compte à la fois tout ce qui nous a constitué et tout ce que nous ne pouvons pas savoir ou comprendre : bref, il faut s’ouvrir en profondeur à “l’acceptation de l’incertitude”. Admirer, rester fidèle à son désir ou faire confiance au mystère de la vie ne suffisent pas si ce principe d’incertitude n’est pas saisi à la mesure de sa complexité, moins paralysante que proactive.
Avoir confiance en soi, ce n’est surtout pas être sûr de soi, insiste Pépin, mais “c’est trouver le courage d’affronter l’incertain au lieu de le fuir”. “Trouver dans le doute, tout contre lui, la force de s’élancer” : ce serait cela au fond la confiance en soi, cette force qui propulse vers un ailleurs autant qu’elle concentre une énergie en soi-même. La tâche est autant infinie que créative, impossible que nécessaire. Emerson, encore lui, nous le rappelait déjà en écrivant : “le trajet du meilleur des navires n’est qu’une ligne brisée formée de centaines de bords”. A la manière de ce navire avançant dans des eaux tempétueuses, Charles Pépin tire sans s’épuiser des bords pour nous conduire vers une conscience plus claire de soi : à défaut de l’avoir trouvée, le lecteur a le sentiment, arrivé à bon port, que la confiance en soi est un horizon à portée de main. Comme si confiance de soi et conscience de soi participaient d’un même élan.
La confiance en soi, une philosophie, de Charles Pépin, Allary éditions, 216 p, 19 euros
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