Chaque mois, Claude, éditrice, pose une épineuse question littéraire. Et y répond avec piquant.
Chaque été, au moment de glisser maillots, paréos et autres instruments de plaisir dans sa valise, une question surgit: “Quel livre j’emporte?” Problème: à la même époque, les librairies sont généralement envahies de livres dont les quatrièmes de couverture nous promettent toutes le grand frisson à la lecture de la énième histoire d’amour impossible, la 30ème bio d’une star oubliée ou le 375ème guide de bien-être. La raison en est simple; les éditeurs, persuadés que la sainte trinité “sea, sex and sun” n’acceptera jamais Dame littérature à sa table, passent leur hiver à traquer le “feel good book” (comprenez le roman 0%, le Taillefine de papier) ou le livre événement (“Carla Bruni, une vie”). Et ainsi viennent les Musso, Levy, Pancol et autres amoureux de yaourts allégés. Mais surprise, l’an passé, le livre qui a caracolé en tête des ventes fut le petit Un été avec Montaigne d’Antoine Compagnon, qui nous invitait à nous balader, le temps de quarante courts chapitres, avec l’homme des Essais. Et cette année, qu’est-ce qu’on peut lire pour ne pas risquer l’insolation cérébrale?
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Un grand roman dont on ne parle plus, mais qui reste un bijou littéraire.
La démence du boxeur, François Weyergans, Grasset, 1992 (Folio, 2011)
Si vous n’avez jamais lu un livre dans lequel chaque phrase fait autant rire que pleurer, il faut lire Weyergans. Car en plus d’être le seul auteur à avoir reçu le Prix Renaudot ET le Prix Goncourt (Trois jours chez ma mère), il est l’un des rares contemporains à savoir mêler la tendresse à l’ironie pour nous faire voyager. Ici c’est chez Melchior, ancien producteur de cinéma, vieux bonhomme sympathique, que l’on se rend, ou plutôt dans la maison de son enfance qu’il vient de racheter et où il passe sa première journée. L’occasion d’assister au défilé de ses souvenirs, emporté par son humour et son immense poésie. Et celle, aussi, de découvrir un académicien pas comme les autres.
Pourquoi c’est mieux que Marc Levy? Parce qu’en plus d’être aussi léger et facile à lire que les romans d’été, La Démence du boxeur est un livre écrit par l’un des meilleurs stylistes de son époque.
Une bio qui ne ressemble à aucune autre, sur une écrivaine incroyable et signée d’une jeune femme tout aussi surprenante.
Sagan 1954, Anne Berest, Stock, 2014
À la manière d’un Magritte, Anne Berest a écrit une biographie qui n’en est pas une sur l’année 1954 de la vie de Françoise Sagan. Certes, elle nous entraîne dans le récit des mois intenses qui ont marqué, pour la jeune Françoise de 18 ans, son entrée en littérature. Mais elle nous livre en même temps sa propre histoire, celle de la rédaction de cette biographie. Parce que pour comprendre Sagan il fallait la devenir, et que pour comprendre ce qu’est une première publication, il fallait raconter ce qu’est l’écriture d’un texte, Anne Berest a choisi de se dévoiler. Mi-biographie, mi-récit personnel, d’une plume juste, documentée et sensible, elle trace ainsi des chemins de traverse entre le Paris 54 d’une jeune femme qui n’avait peur de rien et celui, 2014, duquel elle nous écrit. Bonjour justesse.
Pourquoi ca vaut mieux que les Muchachas de Katherine Pancol? Parce que plutôt que d’écouter la mère Pancol nous raconter les malheurs d’une femme battue, lire Berest, et Sagan avec elle, c’est rencontrer deux femmes vraiment fortes, suivre leur destinée, leurs pensées et leurs mots, autrement plus beaux et sincères que ceux de l’hispano-populo.
Un livre intelligent qui nous fait découvrir un auteur mythique et son œuvre, tout en douceur.
Un été avec Proust, Collectif, Equateurs, 2014
Lire À La Recherche du temps perdu, c’est entrer dans une cathédrale dont l’évêque nous parle moins de Dieu que de nous-mêmes, de nos douleurs, nos joies, de ce qui nous constitue, ce que nous sommes. Et c’est précisément cela que les neuf écrivains, philosophes, biographes et amoureux de Proust nous montrent dans ce petit livre merveilleux, aussi facile à lire qu’à transporter. À tour de rôle, ils reprennent les grands thèmes développés dans les sept tomes de La Recherche (le temps, l’amour, l’imaginaire, les lieux, les arts…), les expliquent et les illustrent de passages célèbres que l’on prend plaisir à lire ou à relire. C’est un régal, l’occasion pour ceux qui ne sont pas familiers de Proust de faire sa connaissance sous le soleil de ses plus brillants fidèles, et celle, pour ceux déjà conquis, de le redécouvrir.
Pourquoi c’est mieux qu’un livre de développement personnel? Parce que Marcel, ayant bien vécu avant d’écrire -et beaucoup souffert aussi-, avait compris un paquet de choses sur l’amour, la jalousie, la mémoire, la vie, qu’il a su raconter merveilleusement, dans le plus romanesque des romans. Et c’est ça, précisément, que nous montre cet ouvrage.
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