Six ans après sa libération, Clara Rojas, qui fut enlevée avec Ingrid Bétancourt par les Farc en 2002, revient sur la scène politique en Colombie. L’occasion pour notre correspondante à Bogota de la soumettre à une interview “Le retour”.
C’est dans un manteau rouge, couleur du parti qu’elle représente, que l’on retrouve Clara Rojas. Depuis deux mois, l’agenda de cette ancienne otage des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) déborde. Dimanche prochain marquera la fin d’une campagne marathon pour la compagne d’infortune d’Ingrid Bétancourt qui se présente aux élections législatives colombiennes dans la circonscription de Bogota. À 49 ans, Clara Rojas a été séquestrée près de six ans dans la jungle où elle a mis au monde un enfant. Libérée depuis janvier 2008, elle nous parle de son engagement en politique, de son fils, de sa nouvelle vie.
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Qu’est-ce qui vous a poussée à vous présenter à ces élections législatives pour le Partido Liberal? Pourquoi avez-vous quitté le parti écologique?
Depuis ma libération, c’est la seconde fois que je me présente à des élections pour le Partido Liberal. La dernière fois c’était en 2010, pour un poste de sénatrice. J’ai perdu. Je suis alors devenue la directrice de la Fondation País Libre (Pays Libre) et j’ai écrit deux livres. En réalité, ce n’était pas la première fois que je travaillais pour le Partido Liberal. En 1998, avant de rejoindre Oxygeno Verde, fondé par Ingrid Bétancourt, nous en faisions toutes les deux partie.
“En décembre dernier, le Partido Liberal m’a proposé d’être tête de liste pour la circonscription de Bogota.”
Au moment de l’affaire 8000 (Ndlr: affaire de corruption ayant grandement terni l’image du parti), nous avons décidé de quitter le Partido Liberal, comme beaucoup d’autres. En décembre dernier, ils m’ont proposé d’être tête de liste pour la circonscription de Bogota et j’ai trouvé l’idée intéressante. Malgré sa grande ouverture, je n’ai pas l’impression que le parti écologique pouvait m’offrir d’aussi bonnes opportunités et c’est vrai qu’à ma libération, les membres du Partido Liberal ont été les premiers à me dire: “Ce parti est ta maison.”
Est-ce difficile d’être une femme politique en Colombie?
Je crois que nous sommes en pleine période de transition. Depuis la loi sur les quotas, 30% des postes du secteur public sont tenus par des femmes. Mais on se demande parfois si les femmes sont entendues pour leurs idées ou pour la bonne application de ces quotas. Pourtant, je pense que la femme colombienne a atteint un grand professionnalisme et ce, dans tous les secteurs. En politique, nous sommes peu nombreuses à être aussi indépendantes que je le suis et d’une certaine manière, j’espère ouvrir une voie. J’ai d’ailleurs proposé la création d’un ministère de la femme. Il existe encore d’immenses disparités entre hommes et femmes dans ce pays, sans parler des 18 millions de mères célibataires qui font vivre, seules, leurs familles.
Vous vous présentez à des élections en plein processus de paix, à l’heure où votre gouvernement négocie avec les Farc, vos geôliers pendant près de six ans… Comment faites-vous?
J’ai fait un travail personnel, et j’ai décidé de pardonner. Je ne crois pas que l’on puisse vivre dans la haine et la rancoeur et j’ai eu besoin d’avancer, peut-être comme l’ont fait les Européens après la Seconde guerre mondiale. Ma décision est individuelle, mais j’aimerais que les Farc fassent eux aussi un travail de réconciliation avec leurs victimes.
“Maintenant, les Farc doivent faire un travail de pardon avec les crimes qu’ils ont commis.”
Le président de la République leur a demandé pardon pour les “Falsos positivos” (Ndlr: scandale politique ayant impliqué des soldats de l’armée colombienne dans l’assassinat de civils innocents afin de les faire passer pour des guérilleros morts au combat) ainsi que toutes les victimes de l’État durant ces cinquante années de guerre. Maintenant, les Farc doivent faire ce même travail avec les crimes qu’ils ont commis. Je crois que lorsqu’ils auront rendu les armes et que ce processus de paix sera enfin finalisé et signé, ils pourront avoir un réel accès à la vie politique, notamment au niveau régional.
“J’ai cru comprendre qu’Ingrid Bétancourt souhaitait revenir en Colombie, elle est Colombienne et si elle désire participer de nouveau à la vie politique, je crois qu’ici les portes sont ouvertes. Et le temps guérit les plaies.”
Avez-vous gardé un contact avec Ingrid Bétancourt?
Nous nous sommes revues deux fois depuis ma libération: le jour de la sienne (Ndlr: le 2 juillet 2008), puis lors du Women’s Forum de Deauville en 2009. Elle vit désormais à l’étranger, nous ne correspondons pas directement, donc les nouvelles que j’ai d’elle sont celles que je lis dans la presse. J’ai cru comprendre qu’elle souhaitait revenir en Colombie, ce qui me semble être son bon droit. Ingrid est colombienne et si elle désire participer de nouveau à la vie politique, je crois qu’ici les portes sont ouvertes. Et le temps guérit les plaies.
Maintenant que cela fait six ans que vous avez retrouvé la liberté, quel souvenir gardez-vous de votre “retour à la vie”?
Retrouver la liberté a été pour moi quelque chose de merveilleux. Retrouver le contact avec ma famille, ma maison, mes vêtements… Tout cela a créé un moment très excitant et plein d’émotions. J’ai passé mes premiers mois de liberté à l’étranger, au bord d’une plage, où j’ai pu rétablir le lien avec mon fils. J’ai eu du mal avec certaines choses comme le téléphone portable, le bruit ou la lumière artificielle, mais en même temps, je retrouvais des plaisirs simples comme passer une soirée à discuter avec des amis, manger un bon fruit tropical ou une glace, tout un tas de petites choses qui me manquaient dans la jungle. Je suis finalement une personne assez simple. J’aime lire, écrire, m’occuper de mon fils, faire du sport et retrouver mes amis. Là forcément, avec la campagne, je suis juste un peu plus fatiguée.
“Emmanuel sait parfaitement qu’il est né dans la jungle, en captivité. Il sait aussi que j’ai été séquestrée, puis libérée. Les choses ont toujours été très claires.”
Emmanuel, votre fils né en captivité, va bientôt fêter ses 10 ans. Que sait-il? Que souhaitez-vous lui transmettre de vos années de captivité?
Emmanuel sait parfaitement qu’il est né dans la jungle, en captivité. Il sait aussi que j’ai été séquestrée, puis libérée. Les choses ont toujours été très claires. Évidemment, tout cela a été dit et expliqué de façon à ne pas générer un plus grand traumatisme. Notre famille est atypique c’est sûr, mais comme beaucoup d’autres. Moi, je crois qu’on a toujours une deuxième chance dans la vie et c’est ce que je souhaite lui enseigner. J’ai un esprit sportif: je sais gagner ou perdre, et me remettre au travail pour préparer le tournoi suivant. Je lui souhaite d’avoir une vie paisible et surtout, qu’il se sente impliqué dans son identité colombienne. Je crois que la seule façon de transformer les choses est de s’approprier les problèmes d’une situation afin de proposer des solutions et des idées. Ce pays est un pays jeune et c’est ce qu’il a de merveilleux. C’est donc particulièrement excitant de pouvoir dire à son enfant: “Regarde, voici ton pays, et tout reste encore à construire.”
Propos recueillis par Margot Loizillon à Bogota (Colombie)
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