Mère d’un petit garçon de un an, la danseuse et actrice Claire Tran a créé une association, Parents & Féministes, pour promouvoir une parentalité égalitaire. Interview.
Elle a 33 ans, et elle est devenue mère d’un petit garçon il y a maintenant un an. Sans cette expérience de la maternité, la danseuse et actrice Claire Tran n’aurait sans doute jamais lancé cette association intitulée Parents & Féministes, “une organisation féministe pour une parentalité égalitaire”. Actuellement sur scène au Théâtre des Champs-Élysées dans un opéra mis en scène par Robert Carsen et bientôt à l’affiche de la comédie La Grande classe sur Netflix, la trentenaire a pris le temps de répondre à nos questions sur cette initiative bienvenue.
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Qu’est-ce qui a motivé la création de cette association?
Chacune de notre côté, malgré des expériences différentes, nous sommes arrivées au même constat: à l’arrivée d’un enfant, on se rend compte que l’égalité est loin d’être acquise. La parentalité est une situation où les inégalités et les biais sexistes sont exacerbés, à tous les niveaux. Par exemple, dès la grossesse, les pères sont relégués au second plan et on fait excessivement reposer les responsabilités liées à l’enfant sur la mère. Cela génère, entre autres, des inégalités dans le partage des tâches, de nombreuses injonctions à la mère parfaite et des souffrances pour beaucoup de parents. L’environnement sexiste continue à mesure que l’enfant grandit, comme en témoignent notamment la littérature jeunesse et les jouets qui exacerbent les stéréotypes de genre. Devenir parents, c’est donc réaliser qu’il reste un long chemin avant de vivre dans une société réellement égalitaire. C’est sur la base de ce constat que l’association est née, avec la volonté de faire entendre notre voix de parents féministes. C’est une association militante pour une parentalité plurielle et égalitaire.
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Vous avez également créé un compte Instagram…
Il nous a semblé important d’utiliser les réseaux sociaux comme outil pour toucher le plus grand nombre. Instagram est un vivier de comptes féministes et une plateforme assez bienveillante pour que chacun·e puisse exprimer ses idées et tisser des liens avec d’autres associations ou collectifs. À titre personnel, Instagram a pas mal contribué à mon éveil féministe.
Quelles sont les actions mises en places par l’association?
Nous mettons en place des groupes de parole* à Paris et Rennes -où se trouvent la majorité de nos membres- afin d’aider les jeunes parents, en particulier les mères, à sortir de l’isolement et à faire de la prévention sur la santé psychique et physique. Par exemple, les dépressions post-partum sont souvent ignorées et diagnostiquées trop tard. Nous nous sommes rendu compte qu’après l’accouchement il n’y a quasiment aucun accompagnement pour aider à “devenir parent mère”, ce qui contraste avec la surveillance médicale étroite effectuée pendant la grossesse. Cela peut être difficile, voire une vraie souffrance, de se retrouver seule à la maison avec un nourrisson toute la journée et la nuit. Nous sommes en train de recenser les groupes de parole sur la parentalité qui sont organisés sur tout le territoire français. Nous souhaitons proposer une carte territoriale en accès libre et collaborative afin que les parents et surtout les mères soient mieux renseignées sur les options qui s’offrent à eux/elles au moment de la naissance de leur bébé. Nous souhaitons également mettre en place des conférences avec des ateliers, par exemple sur le thème du congé paternité. Cela se ferait avant la fin 2019 avec des intervenant·e·s divers·e·s, notamment des universitaires. Enfin, nous travaillons à la rédaction d’un manifeste, qui définira de manière précise nos demandes pour que l’égalité entre les femmes et les hommes soit respectée à tout moment de la parentalité.
Quelle est ta définition d’une parentalité féministe?
C’est une parentalité qui refuse les injonctions patriarcales au sein de la famille comme à l’extérieur. Une parentalité qui essaie au maximum d’appliquer une éducation non-sexiste et non-genrée. Pour moi, c’est impératif que les parents montrent l’exemple en termes d’égalité de sexe, sinon on ne s’en sortira jamais. Dans ma sphère privée, j’essaie de mettre en pratique au maximum une éducation exempte de virilité toxique et d’idées préconçues sur ce que le filles et les garçons peuvent ou doivent faire. Mon fils a un an et j’ai confiance, il sera un homme féministe et libre demain. Je fais tout pour en tout cas!
“Sans un vrai congé paternité et faute de temps disponible pour les pères, la femme devient le plus souvent l’experte en soins au bébé et en matière d’intendance liée à l’enfant.”
L’allongement du congé paternité est-il la clé pour l’égalité femmes-hommes?
C’est sans doute l’une des clés! Les pères retournent au travail au bout de 11 jours -pour ceux qui prennent ce congé-, or c’est vraiment trop tôt. Inévitablement, un écart se creuse entre les femmes et les hommes à ce moment précis. Sur le plan domestique et familial, sans un vrai congé paternité et faute de temps disponible pour les pères, la femme devient le plus souvent l’experte en soins au bébé et en matière d’intendance liée à l’enfant. Les habitudes prises pendant les premiers mois risquent de perdurer au-delà de la fin du congé maternité et la mère continuera par la suite d’être l’experte “enfant” du couple. Un vrai congé paternité permettrait de rompre cette prise d’habitudes et de donner la possibilité aux pères d’investir pleinement leurs fonctions parentales dès la naissance de leur enfant. Sur le plan de la santé et du bien-être, un allongement du congé paternité nous semble important pour lutter contre l’isolement et la souffrance que subissent beaucoup de mères. S’occuper d’un enfant les premiers mois peut être très dur, en particulier en raison du manque de sommeil. Il ne nous semble pas raisonnable de faire reposer cette responsabilité sur la seule mère, il faut impliquer pleinement l’autre parent. Enfin, sur le plan professionnel, le congé paternité obligatoire serait une avancée importante pour lutter contre les inégalités femmes-hommes. On sait qu’elles sont discriminées, notamment à l’embauche et sur le salaire, en raison du congé maternité, qu’il soit pris ou que ce soit juste une éventualité. Un vrai congé paternité permettrait de lisser en partie cette discrimination puisque les employeur·seuse·s se rendront compte que les hommes aussi peuvent être parent et qu’eux aussi devront s’absenter s’ils ont des enfants. Pour toutes ces raisons, on ne voit pas comment atteindre une parentalité égalitaire et féministe sans un vrai congé paternité. Il est indispensable!
Propos recueillis par Julia Tissier
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