Dans un premier film gracieux, La Femme de compagnie, la réalisatrice Anja Marquardt montre le quotidien d’une assistante sexuelle. Rencontre.
C’est un film intimiste et enveloppant, aussi délicat que le sujet qu’il traite: avec La Femme de compagnie (She’s Lost Control en VO), Anja Marquardt signe un premier long-métrage adroit et élégant, tout en tension subtile. L’excellente actrice américaine Brooke Bloom, précédemment repérée, entre autres, dans Swim Little Fish Swim de Ruben Amar et Lola Bessis, y campe Ronah, une assistante sexuelle dont la solitude rivalise avec celle de ses patients. Dans un New York qui semble déserté, La Femme de compagnie plonge dans l’intime quotidien de ces soignantes d’un genre à part, dont la mission est de briser l’isolement sentimental de leur partenaire.
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Pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire d’une assistante sexuelle?
Tout d’abord, je précise que les termes corrects seraient plutôt “partenaire sexuel de substitution” ou “par intérim”, d’après les membres de cette profession. À l’époque où j’ai écrit le film, cela semblait un sujet assez moderne et à propos. C’était avant la vague Tinder, il y avait des émissions et des guides pratiques sur à peu près tous les sujets, sauf sur les moyens de se connecter, dans le premier sens du terme, à quelqu’un d’autre.
“Le simulacre est devenu notre nouveau quotidien.”
Aujourd’hui, la technologie nous permet de nous connecter en temps réel et parfois d’une manière très intime, avec une très grande facilité. Le simulacre est devenu notre nouveau quotidien. On utilise désormais des robots pour soigner des patients grâce à des caresses qui les relaxent. La protagoniste de mon film apporte à ses clients la simulation finale; cela dit, c’est aussi une forme d’amour qui peut, parfois, permettre d’évoluer. J’imagine qu’il n’y a pas de réponse toute faite.
Ton film met en scène une femme: s’agit-il d’une profession exclusivement féminine, ou certains hommes l’exercent?
Certains hommes la pratiquent également. D’ailleurs, nous avons été conseillés entre autres par un homme, dont la clientèle était principalement féminine.
Qu’as-tu appris de ce métier en côtoyant des partenaires de substitution?
Ils ont une approche très froide de leur travail. Il y a des règles et des lignes directrices à respecter. Nous avons très vite compris que ce n’est pas un métier accessible à n’importe qui; les deux personnes qui nous ont conseillés possèdent une incroyable connaissance de la psychologie, beaucoup d’empathie et du cran.
“Les premiers films demandent une formidable volonté de la part du réalisateur.”
De g. à d.: Brooke Bloom, Anja Marquardt et le directeur de la photograhie Zachary Galler aux Independent Spirit Awards, DR
Tu as écrit, réalisé, produit et co-monté le film: cherchais-tu, contrairement à ton héroïne, à “garder le contrôle”? (Ndlr: en anglais, le titre du fllm est She’s lost control.)
C’est seulement en se jetant dans le vide que la magie apparaît. Les premiers films demandent une formidable volonté de la part du réalisateur. En ce qui me concerne, j’ai dû endosser de multiples casquettes. Le film a pratiquement été conçu hors du système, je n’ai eu d’autre choix que de devenir productrice. À un moment, nous avons retardé le tournage du film de six mois afin de pouvoir travailler avec la merveilleuse Brooke Bloom.
“J’ai relevé mes manches et passé deux mois seule dans la salle de montage.”
L’une des conséquences de ce délai fut la démission d’un collaborateur de longue date -supposé monter le film- pour rejoindre un bien plus gros projet qui l’a occupé plus de six mois.J’ai alors relevé mes manches et passé deux mois seule dans la salle de montage. C’était intense! Mais ça a aussi été un mal pour un bien: le film tourne tellement autour du ton juste, m’enfermer dans cette pièce m’a permis de le façonner. J’ai ensuite été rejointe par Nick Carew (Ndlr: monteur) pour le dernier mois, et voilà, le film était prêt. Nick est un merveilleux monteur et un collaborateur que j’estime beaucoup.
© Arsenal Institut
As-tu aussi choisi la musique? Y-a-t-il un rapport entre le titre de ton film et le morceau de Joy Division du même nom?
Le titre She’s Lost Control, est clairement un hommage à l’esprit de Joy Division. Pour la scène de danse, j’ai choisi l’une des mes chansons favorites des Strokes, Machu Picchu. Son rythme et sa mélodie sont assez imprévisibles et j’espérais que Brooke et Marc (Ndlr: Menchaca, l’autre acteur principal) ne la connaissent pas, ce qui était le cas. À l’instant où la musique a commencé, tout le monde sur le plateau s’est bouché les oreilles. “C’est quoi ce truc??”, ont-ils demandé. Pour moi, c’est un mélange de rock des années 70 et de musique futuriste. Ce qui représente assez bien la vision que j’ai du film. Une relique un peu perverse des seventies, une femme qui enseigne à ses clients les voies de l’intimité, et à l’inverse, ce concept de simulation -de l’amour, de ce qui fait de nous des humains- qui est, lui, plutôt futuriste.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski, avec Mathilde Delhaume
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