André Téchiné a fait appel à Céline Sciamma pour écrire le scénario de son nouveau film, Quand on a 17 ans. Rencontre avec l’auteure et réalisatrice.
Deux ans après L’Homme qu’on aimait trop, qui s’intéressait à l’affaire Agnès Le Roux, André Téchiné revient avec Quand on a 17 ans. Un film optimiste, qui voit deux adolescents apprivoiser leur violence en acceptant leur homosexualité, et qui évoque inévitablement Les Roseaux sauvages, chef-d’œuvre du même réalisateur sorti en 1994 et auréolé de quatre César.
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Pour cette nouvelle variation autour de la découverte de l’identité sexuelle, le cinéaste de 73 ans a fait appel à Céline Sciamma, qu’il a invitée à cosigner le scénario. Coutumière des questions d’identité et grande exploratrice de l’adolescence, l’auteure et réalisatrice de Bande de filles a apporté sa vision délicate et son style frontal à cette belle histoire d’amour torturé. Entretien.
À quand remonte ta première rencontre cinématographique avec André Téchiné?
Je pense que le premier film de lui que j’ai vu était Les Roseaux sauvages, ou Ma Saison préférée. En tout cas, à partir du moment où j’en ai vu un, j’ai vu tous les autres dans la foulée. J’ai d’abord remonté le temps en visionnant toute sa filmographie à rebours jusqu’à Barocco, puis je l’ai suivi en temps réel en allant voir ses nouveaux films en salle. À cette époque, je devais avoir environ 16 ans et toute ma vie était déjà ritualisée autour du cinéma.
Et votre première rencontre IRL?
La première fois que je l’ai croisé, il était président du jury dans un festival à Turin. C’était au moment de Naissance des pieuvres. Mais la vraie rencontre, c’était il y a deux ans, pour écrire Quand on a 17 ans. Son producteur m’a appelée, on s’est donné rendez-vous le lendemain dans un café et on s’est dit oui au terme d’un rendez-vous d’une heure.
Kacey Mottet Klein et Corentin Fila, alias Damien et Thomas © Wild Bunch
Au moment où il t’a appelée, tu as dû tomber de ta chaise, non?
Oui, bien sûr. J’étais émue, car c’est un cinéaste qui a beaucoup compté dans la genèse de ma cinéphilie. C’est quelqu’un avec qui j’avais déjà un dialogue et, quand le dialogue devient tout à coup réciproque, il y a quelque chose d’assez symbolique qui se joue, voire même de romanesque. J’avais l’affiche de Ma Saison préférée épinglée en énorme dans ma chambre et là, soudainement, je pouvais participer.
Qu’est-ce qui l’a séduit dans le regard que tu portes sur l’adolescence?
D’une part, je pense que cela a un rapport avec la représentation. Les figures adolescentes que je choisis jouent à la fois avec les archétypes de cinéma, avec une forme d’héroïsme adolescent, et en même temps mes personnages, dans leur singularité et dans leurs trajets, sont des figures un peu plus marginales. Mais André Téchiné me parlait aussi beaucoup de dramaturgie. Il souhaitait quelque chose d’assez droit, un film d’action peu dialogué, une forme de signature qu’il avait pu entrevoir dans mes films et notamment dans Tomboy, car Bande de filles n’était pas encore sorti. Il voulait un film au présent, où les personnages ne sont pas dans le débat sur eux-mêmes mais dans le trouble, dans l’action, dans cette pulsation-là. Lui qui a une tendance aux récits un peu plus choraux avait envie de quelque chose de beaucoup plus resserré. Cette volonté a été clairement énoncée dans notre partenariat.
Vous avez 35 ans d’écart, André Téchiné et toi: avez-vous ressenti des différences générationnelles en travaillant ensemble?
Quand on a 17 ans n’est pas un film où les personnages se confrontent à la société, mais où ils se confrontent à eux-mêmes. André disait toujours qu’on n’était pas en train de faire un portrait sociologique, donc il n’y avait pas de volonté de débattre avec la société dans laquelle s’insère l’histoire. Et en même temps, Téchiné avait une vraie volonté de faire quand même un nouveau film générationnel, notamment dans l’optimisme qu’il dégage. À travers l’absence de conflit au moment où le personnage de Damien fait son coming out auprès de sa mère, il y avait l’envie de raconter une progression, une autre époque. Et de faire des propositions.
“Les questions de représentation avec lesquelles on travaille, on en est conscients et on s’amuse avec, on prend parti.”
C’est-à-dire?
Le film pourrait par exemple être taxé de naïf là où il y a une acceptation de la part de la mère. Je crois qu’André Téchiné à ce moment-là n’élude pas du tout la question, mais qu’il fait au contraire une proposition. C’est l’endroit où le cinéma peut être engagé. Là où la dramaturgie aurait tendance à privilégier le conflit, il y a quelque chose de surprenant dans cette proposition et ce n’est pas de la naïveté, mais une décision de notre part. Les questions de représentation avec lesquelles on travaille, en tant que scénaristes et cinéastes, on en est conscients et on s’amuse avec, on prend parti.
Il y a beaucoup de similitudes entre Quand on a 17 ans et Les Roseaux sauvages. À quel point aviez-vous ce dernier film en tête au moment de l’écriture?
On n’en parlait pas plus que ça. On n’a pas cherché à faire Les Roseaux 2016, ni l’anti-Roseaux. Moi, par exemple, je n’ai pas revu le film, sciemment. C’est davantage aujourd’hui, à la faveur de la promotion, où les deux films sont beaucoup comparés, qu’on en parle entre nous.
Corentin Fila et Sandrine Kiberlain © Wild Bunch
D’après le dossier de presse du film, il était important pour André Téchiné que le personnage de Thomas soit métis. Dans quelle mesure ta propre volonté de montrer plus de diversité au cinéma a-t-elle influé sur lui?
Il faudrait le lui demander, car c’est quelque chose dont on n’a pas vraiment parlé. C’est lui qui est arrivé avec ce désir de mettre en scène un personnage métis, il tenait cette envie des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë et du personnage de Heathcliff, qui est lui-même métis. Je crois qu’il y a aussi, encore une fois, une question de représentation, l’envie de se dire: “Ce jeune Français dans la montagne, et si c’était un jeune homme métis?” Il y a un appel d’air dans cette question et André Téchiné est très soucieux de ça, de proposer quelque chose qui vibre un peu, qui change.
Avant qu’il fasse appel à toi, tu as dit que tu voulais arrêter de parler d’adolescence. Quels sont les prochains thèmes que tu as envie d’aborder?
Je ne pense pas changer d’obsessions, mais les formes, elles, peuvent changer. J’ai, par exemple, envie de travailler avec des acteurs et des actrices professionnels. J’ai beaucoup travaillé en tant que scénariste ces temps-ci: je viens de terminer l’écriture du premier long-métrage de Para One, et puis du film d’animation Ma Vie de courgette. Je n’ai pas encore commencé l’écriture de mon prochain film mais cet été, je m’y mets!
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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